La vague des antivaccins déferle en continu dans la plupart des pays démocratiques. Dans un essai, des chercheurs délivrent quelques pistes pour parvenir à endiguer ce mouvement dangereux pour la santé publique mondiale.
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À l'ère de la post-vérité, le mouvementmouvement antivaccination prend de l'ampleur à travers le monde et surtout en France, dans le pays même de son inventeur. Récemment, un essai publié dans le célèbre British Medical Journal relate plusieurs pistes pour combattre et endiguer le mouvement. Son propos cible surtout la communication en matièrematière de santé. Comment des influenceurs/influenceuses (nommé le « nouveau pouvoir »)) réussissent-ils à mieux convaincre certaines personnes que les autorités sanitaires en vigueur (nommé « l'ancien pouvoir ») ? De là vient leur constat d'apprendre de cet état de fait et de proposer des mesures pour métamorphoser la communication concernant la santé.
Mais avant d'entrevoir les réponses qu'a apportées l'auteure principale de cet essai à nos questions, il est bon de rappeler le contexte historique du mouvement, son évolution, son amplification ainsi que les paramètres psychologiques et sociologiques classiques de ses adeptes. Pour ce faire, nous avons interviewé Lucie Guimier, géographe et analyste en géopolitique de la santé publique qui a réalisé sa thèse sur la rougeole et le mouvement antivaccination.
Antivaccin : un mouvement aussi ancien que la vaccination
Futura : Quand commence la genèse du mouvement antivaccination moderne ? Qui compose ce mouvement ?
Lucie : Le mouvement antivaccin a toujours existé mais son déploiement et les protestations associées s'intensifient en France à partir de 1902, année de la première loi de santé publique instaurant l'obligation vaccinale. Au départ, ce sont plutôt des médecins qui sont contre le fait que l'État s'immisce dans leur pratique professionnelle. Actuellement, ce mouvement touche toutes les classes sociales mais les arguments antivaccins varient selon les idéologies, les croyances religieuses ou philosophiques des individus. Avant les réseaux sociauxréseaux sociaux et la démocratisation d'InternetInternet, le refus vaccinal concernait surtout des personnes avec un niveau socioculturel élevé, il s'agissait d'une certaine manière de se distancier du reste de la société. Cette volonté de distanciation est toujours prégnante aujourd'hui dans le mouvement antivaccin, mais avec son expansion, on constate inévitablement une percée des arguments antivaccins auprès de populations moins favorisées et plus sensibles aux théories du complot. C'est en partie ce qui fait la force du mouvement antivaccination aujourd'hui.
Futura : Le mouvement a-t-il un leader réel ou chacun s'approprie l'idée générale du mouvement (l'aversion à la vaccination) par rapport à son vécu propre ?
Lucie : Il y a des chefs de files, des personnes qui grâce à leur notoriété, diffusent d'autant mieux l'idéologie du mouvement. Mais comme je le soulignais précédemment, les adeptes de ce mouvement sont hétérogènes et ne sont pas antivaccins pour les mêmes raisons. Ils n'ont pas tous les mêmes arguments. On peut retrouver des personnes religieuses, athées, anticapitalistes, écologistes, nationalistes, bref une bonne partie de la société y est représentée.
Comment endiguer ce mouvement dans notre société moderne ?
Nous l'avons vu, l'avènement d'Internet a permis la propagation et l'expansion de ce mouvement. Pour mieux comprendre ce que proposaient les scientifiques qui ont rédigé l'essai, Futura a également interviewé l'auteure principale de ce dernier, Mme Katheryn Perera, directrice du National Health Service Horizon. Cet essai intitulé « Nouveau pouvoir contre ancien pouvoir : pour vaincre l'antivaccination et ses militants, nous devons apprendre d'eux » propose plusieurs pistes de communication en matière de santé pour contrer le mouvement dangereux qu'est celui de l'antivaccination.
Futura : Il semble que votre stratégie n'est pas de convaincre les antivaccins mais plutôt d'équilibrer le nombre d'informations et de posts auxquels une personne hésitante sera exposée. Est-ce exact ?
Dr Perera : Eh bien, c'est à la fois pour équilibrer et pour convaincre ! Mais il s'agit avant tout de créer des itinéraires d'égal à égal pour le partage d'informations et d'apprentissage, qui, nous le savons, sont beaucoup plus efficaces pour influencer les croyances et, en retour, les comportements que celui de l'ancien pouvoir (les directives d'experts, en somme).
Futura : Vous proposez donc une restructuration complète de la communication en santé ? Utiliser les mêmes armes que les communautés antivaccination (histoires, émotions, choc, etc.), sauf que, contrairement au mouvement antivaccination, cette communication serait influencée par le « vieux pouvoir », c'est-à-dire, de vraies études et le protocoleprotocole de revue par les pairs. Est-ce correct ?
Dr Perera : Oui, tout à fait. Je pense qu'il s'agit de réinventer la façon dont nous communiquons en matière de santé. C'est aussi une histoire de valeur. Il faut comprendre que les patients, dans de nombreux cas, sont mieux placés pour faire passer des informations que les structures formelles des services de santé - à titre d'exemple.
Que valent vraiment ces stratégies ?
Afin de savoir ce que valaient réellement ces stratégies dans le milieu de la communication en santé, Futura a interviewé Laure Dasinières, spécialiste en communication dans le domaine de la santé.
Futura : Ces stratégies proposées par le Dr Perera dans l'essai sont-elles réalisables et peuvent-elles être bénéfiques ?
Laure : Je suis partagée. Il y a un discours officiel et qui doit le rester. Aux États-Unis, il y a eu des médecins qui ont utilisé la rhétorique complotiste pour pousser des patients à se vacciner. Je trouve ça hâtif et peu pertinent car ça va à l'encontre du consentement éclairé - c'est même du mensonge. En revanche, s'appuyer sur des relais/des influenceurs peut être une bonne idée, mais il ne faut pas que ce soit factice.
Futura : Mais alors, quelles pistes suivre pour changer le paradigme de la communication en santé ?
Laure : Il faut éviter d'infantiliser le patient ou les proches, d'exclure le patient du protocole de prise en charge, d'imposer aux proches un fardeau trop lourd à porter et sous-estimer la souffrance des proches. À cela s'ajoute le fait de faire de la morale, d'omettre les sujets sensibles ou tabou tels que la sexualité. On le comprend donc, tout l'objectif est de restaurer la confiance et d'instaurer une communication à double sens et symétrique.
Futura : Que faut-il mettre en œuvre pour restaurer ces deux piliers essentiels de la communication santé ?
Laure : Le malade doit rester la personne centrale, il faut favoriser son expression et celle de ses proches afin de pouvoir évaluer la souffrance de chacun. Développer l'empathie (c'est-à-dire une capacité à se mettre à la place de l'autre avec bienveillance, implication et détachement émotionnel). Cette attitude favorise une reconnaissance expérientielle du patient et donc l'expression de son récit de vie. Nous devons cultiver une communication claire, sans ambiguïté et adaptée à la situation. En somme, être authentique, fournir une information claire, loyale, sincère, compréhensible et adaptée à la demande, aux besoins, aux ressources du patient et à ce qu'il est prêt à entendre au moment donné. Sans oublier de vérifier que l'information a bien été comprise. Pour cela, il faut la reformuler ou la faire reformuler par le patient.
Futura : Quel sera le travail des agences de communication santé dans un tel bouleversement des pratiques ?
Laure : Le travail des agences de communication santé sera dès lors de proposer à leurs clients (laboratoires, institutions, associations...) de développer des outils qui permettent de contribuer à améliorer la relation patients-soignants, notamment en participant à l'éducation thérapeutique du patient. Idéalement, on travaillera sur différents supports afin de solliciter les canaux visuels, auditifs et kinesthésiques afin de s'adapter au mieux aux besoins du patient. Ainsi, de nombreux formats pourront être suggérés : congrès et e-congrès, rencontres, brochures et livrets d'informations, sites web, applicationsapplications mobilesmobiles, vidéos et podcasts, forums, réseaux sociaux, serious game en ligne ou dans la vraie vie. Les ressorts sont multiples et seront mûrement pensés en fonction des publics ciblés et de leurs motivations. Cela vaut pour toutes les campagnes de préventionprévention et de sensibilisation.
Futura : Enfin, que pensez-vous des initiatives pour ironiser le mouvement ou les critiques infondées ?
Laure : L'ironie envers les antivaccins me paraît improductive et nocive (en polarisant, toujours plus, en renforçant les « clans » et en tuant toute possibilité de dialogue). Certaines prises à partie un peu rapides de la part de certaines communautés le sont également. Récemment, une information a circulé sur une mère qui n'a pas donné de TamifluTamiflu à son enfant (ce dernier est malheureusement décédé de la grippegrippe). La maman, pour des raisons inconnues, a demandé puis suivi les conseils de personnes appartenant à la communauté antivaccination sur le réseau social FacebookFacebook. Notons que ces individus sont clairement dangereux et, n'ayons pas peur des mots, ils ont du sang sur les mains. Cependant, si on regarde de plus près les recommandations de la Haute Autorité de SantéHaute Autorité de Santé sur le Tamiflu, ce médicament n'est pas recommandé pour les jeunes enfants (balance bénéfices-risques négative, efficacité faible...). En fait, l'enfant serait sans doute mort de toute façon. Pour résumer et conclure, taper sur tout le monde, tout le temps, me semble être une réelle perte de temps compte tenu de l'improductivité de la pratique.
Ce qu’il faut
retenir
- L'antivaccination est aussi vieille que la vaccination et touche toutes les sphères de la société.
- Métamorphoser la communication santé en utilisant les mêmes armes et les mêmes canaux que les antivaccins pourrait s'avérer judicieux pour lutter contre ce mouvement.
- Néanmoins, il faut redoubler de prudence afin de restaurer la confiance et la bonne communication entre les patients et les soignants.