Il y a environ 400 millions d’années, les océans de la Terre subissaient une série de crises biologiques connue sous le nom d’extinction du Dévonien. Si l’on sait que la disparition de près de 70 % des espèces marines à ce moment-là est liée à un manque crucial d’oxygène dans les océans, la cause exacte était encore mal comprise. Des scientifiques viennent cependant d’établir que le grand responsable serait le développement rapide des racines des arbres durant cette période.


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    Le Dévonien, qui s'étage de 419 à 358 millions d'années, est l'une des périodes géologiques les plus tourmentées qu'ait connues la Terre. En seulement 61 millions d'années, six crises biologiquescrises biologiques se sont succédé, menant à l'extinction de nombreuses espèces marines. Parmi elles, se trouve d'ailleurs l’une de cinq grandes extinctions de masse.

    Si durant cette période, la biodiversité marine est donc sévèrement touchée, à terre les choses se passent pourtant bien différemment. Le Dévonien est en effet une période plutôt positive en ce qui concerne le développement des arbres et des plantes. Bien que diamétralement opposés, ces deux événements pourraient-ils être liés ?

    Des océans dépourvus d’oxygène

    L'on sait aujourd'hui que les extinctions marines du Dévonien sont associées à une diminution drastique du taux d'oxygène dans les océans. Il s'agit d'événements que l'on qualifie d'anoxiquesanoxiques. Sur l'ensemble de la période, la répétition de ces événements aurait entraîné la disparition de près de 70 % des espèces, qui étaient alors principalement marines.   

    Les trilobites faisaient partie des espèces peuplant les océans du Dévonien. © auntspray, Adobe Stock
    Les trilobites faisaient partie des espèces peuplant les océans du Dévonien. © auntspray, Adobe Stock

    Plusieurs causes ont été proposées pour expliquer ces baisses répétitives du taux d'oxygène dans les océans : glaciationsglaciations, impacts d'astéroïdesastéroïdes, éruptions volcaniqueséruptions volcaniques... ou encore l'établissement des plantes vasculairesplantes vasculaires sur les continents. Dans un article publié dans la revue Geological Society of America Bulletin, une équipe de scientifiques appuie cette dernière hypothèse par de nouveaux résultats.

    Le développement des plantes terrestres s'est en effet accompagné par l'établissement de nombreux et complexes systèmes racinaires. Or, en ponctionnant les nutrimentsnutriments en profondeur, les racines auraient induit une importante modification de la biogéochimie du sol, sans commune mesure avec ce que la Terre aurait connu précédemment.

    Les racines à l’origine d’un relargage massif de nutriments dans les océans

    Le développement extrêmement rapide des systèmes racinaires, en lien avec l'explosion du règne végétal à cette époque, aurait ainsi entraîné un pompage excessif des nutriments du sol. Or, à la mort des plantes, et en l'absence de formation de sol capable de les retenir, ces nutriments se seraient retrouvés lessivés vers les océans, en quantité extrêmement importante, favorisant le développement massif de certaines alguesalgues. En consommant une grande partie de l'oxygène présente dans l'eau, ces micro-organismesmicro-organismes seraient donc à l'origine des événements anoxiques ayant entraîné des extinctions à répétition dans le milieu marin.

    Paysage du Dévonien, marqué par un très rapide développement des plantes à racines. © Eduard Riou (1838-1900), <em>The World Before the Deluge 1872</em>, États-Unis, Wikimedia Commons, domaine public
    Paysage du Dévonien, marqué par un très rapide développement des plantes à racines. © Eduard Riou (1838-1900), The World Before the Deluge 1872, États-Unis, Wikimedia Commons, domaine public

    Les scientifiques se sont basés sur l'étude de roches sédimentairesroches sédimentaires déposées au fond d'anciens lacs du Dévonien pour identifier des variations cycliques dans le niveau de phosphorephosphore, un élément chimiqueélément chimique qui s'avère être un nutriment essentielnutriment essentiel à la vie terrestre. En comparant ces cycles à ceux du paléoclimat, les chercheurs ont découvert que les périodes sèches coïncidaient avec de forts taux de phosphore dans les sédimentssédiments, signifiant une arrivée massive de ce nutriment dans les bassins océaniques et lacustreslacustres. Les périodes sèches sont en effet associées à une mortalité accrue des plantes, et donc à une libération excessive des nutriments piégés dans les racines en décomposition.  

    Anoxie des océans, un problème actuel mais avec une cause différente

    On peut se poser la question : pourquoi ce lien de cause à effet n'est-il plus observé aujourd'hui ? Tout simplement parce qu'en 400 millions d'années, le système terrestre s'est adapté à la présence d'une importante couverture végétale et que de nouvelles interactions sont nées, notamment grâce aux organismes fouisseurs comme les vers de terre, qui permettent de piéger dans les sols les nutriments relargués lors de la décomposition de la matièrematière organique.   

    Les lacs et océans actuels sont de plus en plus sujets à un phénomène d'eutrophisation. L'apport d'éléments nutritifs favorise la production de certaines algues qui appauvrissent le milieu en oxygène. © F. lamiot, Wikipédia, CC by-sa 2.5
    Les lacs et océans actuels sont de plus en plus sujets à un phénomène d'eutrophisation. L'apport d'éléments nutritifs favorise la production de certaines algues qui appauvrissent le milieu en oxygène. © F. lamiot, Wikipédia, CC by-sa 2.5

    Ce problème d'eutrophisationeutrophisation par le développement des algues et de début d'anoxie du milieu océanique, nous le rencontrons pourtant actuellement. Sauf qu'aujourd'hui, ce ne sont pas les plantes qui sont à l'origine de l'excès de nutriments dans les océans, mais bien nos pratiques agricoles et la dégradation des sols en lien avec l'activité humaine. La période dévonienne devrait nous alerter sur les conséquences dramatiques que provoquent à court et moyen termes ces conditions environnementales détériorées.