Représentatifs de la période dite de la Grande Oxygénation, les fers rubanés pourraient avoir joué un rôle majeur dans l’initiation d’importants épisodes volcaniques dans l’histoire de la Terre. Plongée au cœur d’un mécanisme complexe s’étageant sur plus de 240 millions d’années.
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Drôle d’aspect pour ces roches âgées de plus de 2 milliards d’années, formées de bandes de couleur jaune, brune, rouge, orange et noire. Fortement reconnaissables, ces roches d’origine sédimentaire sont connues sous le nom de formations ferrifères rubanées ou de fers rubanés. Leur formation est associée à de grands événements dans l’histoire de la Terre. Elles témoignent notamment des interactions complexes et sur le très long terme des différentes enveloppes terrestres.
Les fers rubanés, témoins de l’oxygénation de l’atmosphère il y a 2,5 milliards d’années
Les fers rubanés doivent leur couleur à la forte quantité de fer qu’elles renferment. Avec au minimum 15 % de ce métal, ces formations représentent le principal minerai de fer exploité actuellement dans le monde. Formées majoritairement durant l’Archéen (plus de 2,5 milliards d’années) ou durant le début du Protérozoïque (entre 2,5 et 1,9 milliards d’années), ces roches se composent d’alternances de lits de silice (contenant plus ou moins de fer) et d’hématite (oxyde de fer), ce qui leur donne cet aspect en ruban. Cette architecture litée est liée à leur origine sédimentaire marine.

Leur composition bien particulière est quant à elle un indicateur fort des conditions très éloignées de l’actuel qui régnaient alors dans les océans au début de l’histoire terrestre. Pas seulement dans les océans, d’ailleurs. Car si les fers rubanés sont issus de la précipitation de sédiments dans une eau riche en ion du fer, l’action de certains micro-organismes et notamment le processus de photosynthèse sont supposés avoir facilité la précipitation de ces minéraux. Ces roches seraient ainsi les témoins de l’augmentation de l’oxygène dans l’atmosphère terrestre il y a environ 2,5 milliards d’années. Le développement de tapis de bactéries photosynthétiques dans les océans aurait en effet produit de grandes quantités d’O2, menant à l’oxydation de l’eau et des éléments la composant. Le fer, présent en grande quantité dans le milieu marin, aurait été apporté par l’intense activité volcanique régnant à cette époque.

Mais ce n’est pas tout. Car si ces roches se sont formées en lien avec une activité volcanique, elles pourraient également être elles-mêmes à l’origine d’importantes éruptions survenues bien plus tard. Il s’agit là de la conclusion d’une nouvelle étude publiée dans la revue Nature Geoscience.
Plongée dans les profondeurs du manteau
La croûte océanique sur laquelle se déposent les sédiments, dont les fers rubanés, a en effet une durée de vie plutôt limitée. Elle est recyclée au bout de 200 millions d’années environ au niveau des zones de subduction qui participent à la fermeture des océans et au rapprochement des plaques continentales. Lors de son passage en subduction, la croûte océanique emporte ainsi dans les profondeurs du manteau une partie des sédiments qu’elle transporte, le reste se retrouvant accrété au niveau de la marge ou accumulé sous la croûte chevauchante. Les formations ferrifères rubanées subissent le même sort. Si les gisements que l’on retrouve aujourd’hui sont issus des roches qui ont été préservées, il est probable que de grandes quantités aient tout simplement coulé dans les profondeurs terrestres. Constituées largement de fer, ces roches sont en effet plus denses que les roches mantelliques. Lors de leur subduction, elles vont ainsi avoir tendance à s’enfoncer dans le manteau, où elles vont subir toute une série de changements de minéralogie et de structure suivant l’augmentation de la pression et de la température. C’est le processus de métamorphisme.
Plusieurs études ont d’ailleurs montré l’évolution du comportement des oxydes de fer sous les conditions oppressantes régnant à la base du manteau terrestre. Là, ces minéraux deviennent en effet fortement conducteurs, du point de vue thermique mais également électrique. Pour les chercheurs à l’origine de cette nouvelle étude, la présence de fers rubanés dans ces niveaux très profonds aurait pu permettre un transfert accru de la chaleur.
La formation de zones enrichies en fer dans le manteau inférieur aurait donc pu aider à la formation de panaches mantelliques. Ces anomalies thermiques permettent la remontée de matériel chaud jusque sous la croûte, menant au développement d’une activité volcanique dite de « point chaud », à l’image du volcanisme hawaïen.

Une anomalie thermique dans les profondeurs pour un résultat explosif en surface
L’étude suggère ainsi que les fers rubanés seraient à l’origine de grands épisodes volcaniques, connus sous le nom de « grandes éruptions basaltiques » menant à la formation de « grandes provinces ignées ». Cette hypothèse est appuyée par une corrélation d’âges. Ainsi, la plupart de ces événements volcaniques majeurs ont été précédés par une phase de dépôts de fers rubanés au fond des océans. Ces deux épisodes, dépôts puis volcanismes, sont espacés à chaque fois d’environ 241 millions d’années. Une corrélation forte qui respecte la durée des cycles tectoniques.
En résumé, les micro-organismes ayant participé à l’oxygénation de l’atmosphère auraient permis la formation de roches qui, 241 millions d’années plus tard, auraient initié des épisodes volcaniques majeurs à la surface de la Terre. Une chaîne de causes à conséquences complexe, s’étalant sur plusieurs centaines de millions d’années, qui illustre parfaitement les interactions entre la biosphère, l’atmosphère et la géosphère.