Depuis quelque temps, la circulation océanique dans l’Atlantique ralentit. Et certains craignent des conséquences importantes sur le climat, notamment en Europe. Des chercheurs américains apportent aujourd’hui une nouvelle base scientifique sur laquelle poser de futures prédictions.


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    Dans l'océan Atlantique, une sorte de convoyeur géant transporte les eaux chaudes des tropiques, et même de l'hémisphère sud, vers l'Atlantique nord. Là, elles refroidissent, coulent et retournent vers le sud en empruntant la voie des profondeurs océaniques. Les spécialistes parlent d'une circulation océanique méridienne dans l'Atlantique (AMOC). Et ces courants marins participent à la régulation du climat mondial. Or, les preuves d'un ralentissement de cette circulation semblent s'accumuler. Il y a un an, des travaux révélaient ainsi qu'elle connaissait son niveau le plus bas en 1.600 ans.

    Qui de l'oeuf ou de la poule ?

    Une question restait toutefois en suspens : entre altération de l'AMOC et brusques changements climatiques, lequel arrive le premier ? Une étude menée par des chercheurs de l'université de Columbia (États-Unis) apporte aujourd'hui une réponse. Elle donne même une idée de la rapiditérapidité -- finalement toute relative -- avec laquelle un ralentissement de l'AMOC impacterait notre climat.

    « Nos estimations indiquent que l'état de l'océan peut être considéré comme un signal qui nous alerte d'un changement climatiquechangement climatique à venir », explique Francesco Muschitiello. Il y a 13.000 ans, par exemple, l'AMOC a commencé à s'affaiblir environ 400 ans avant la dernière grande vague de froid qu'a connue notre planète. Les températures au Groenland ont alors rapidement chuté de 6 °C. Puis, il y a 11.000 ans, elle s'est renforcée environ 400 ans avant un réchauffement spectaculaire et brutal de l'atmosphère. En quelques décennies, les températures au Groenland ont augmenté de 8 °C.

    L’étude montre que des changements sont apparus dans la puissance de l’AMOC (en bleu) des centaines d’années avant des changements brusques de températures au Groenland (en rouge). La colonne grise symbolise la dernière grande vague de froid. © Francesco Muschitiello et al., université de Columbia
    L’étude montre que des changements sont apparus dans la puissance de l’AMOC (en bleu) des centaines d’années avant des changements brusques de températures au Groenland (en rouge). La colonne grise symbolise la dernière grande vague de froid. © Francesco Muschitiello et al., université de Columbia

    Extrapoler sur l’avenir ?

    Pour arriver à ces conclusions, les chercheurs se sont d'abord intéressés à des carottes de glace du Groenland afin de se faire une idée des changements de températures au fil des temps. Ils ont ensuite analysé des sédimentssédiments extraits du fond de la mer de Norvège. Pour dater ces derniers avec précisions, ils se sont appuyés sur des sédiments issus de lacs scandinaves et sur des couches de cendres provenant de deux anciennes éruptions volcaniqueséruptions volcaniques. Puis, ils ont comparé leurs résultats à l'âge qu'ils pouvaient déduire des mesures de carbonecarbone 14 dans les océans profonds.

    La différence entre les deux leur a donné le temps nécessaire à l'eau pour s'enfoncer dans la zone étudiée sous l'effet de l'AMOC. La datation directe au carbone 14 des sédiments marins, en effet, ne tient pas compte du temps que met le carbone 14 atmosphérique pour se frayer un chemin dans l'océan.

    Malgré les certitudes désormais affichées quant aux événements survenus dans le passé de notre planète, les chercheurs restent prudents lorsqu'il s'agit d'extrapoler sur l'avenir. L'AMOC semble avoir commencé à s'affaiblir il y a environ 150 ans. Mais les conditions sont différentes aujourd'hui. Les températures globales sont plus élevées. Et le ralentissement de l'AMOC, bien que marquant à notre échelle, reste bien moins spectaculaire que celui survenu il y a 13.000 ans. « Quoi qu'il en soit, le ralentissement observé aujourd'hui de l'AMOC devrait constituer une préoccupation. Un appel à être plus à l'écoute des océans », conclut Francesco Muschitiello.


    Un refroidissement rapide de l’Atlantique nord nous menace-t-il ?

    La probabilité d'un ralentissement de la circulation des courants en Atlantique nord, dont le Gulf StreamGulf Stream est l'une des branches, est plus grande que prévu selon des chercheurs du CNRS. Or, ce risque est aussi celui d'un refroidissement dans cette région, lequel serait donc dû au réchauffement global. L'effet sur le climat devrait être davantage pris en compte, affirment-ils.

    Article du CNRS paru le 15/02/2017

    Toutes les projections des modèles climatiquesmodèles climatiques actuels détectent le ralentissement de la circulation océanique de retournement (ou thermohaline), ou Amoc (Atlantic meridional overturning circulation)), dont fait partie le fameux Gulf Stream qui apporte la chaleurchaleur de la Floride jusqu'aux côtes européennes. Ce phénomène pourrait entraîner un bouleversement climatique sans précédent. En 2013, le GiecGiec, se basant sur les résultats d'une quarantaine de projections climatiques, a estimé que ce ralentissement s'installerait progressivement et sur une échelle de temps longue. Un refroidissement rapide de l'Atlantique nord au cours du XXIe siècle semblait donc peu probable.

    Dans le cadre du projet européen Embrace, une équipe d'océanographes a réexaminé ces 40 projections climatiques en se focalisant sur un point névralgique au nord-ouest de l'Atlantique nord : la mer du Labrador. Cette région est le siège d'un phénomène de convectionconvection (donc une circulation d'eau verticale), qui nourrit à plus grande échelle la circulation océanique de retournement. En hiverhiver, ses eaux de surface se refroidissent fortement, deviennent plus denses que les eaux de profondeur et plongent vers le fond. La chaleur (relative) des eaux profondes est ainsi transférée vers la surface et empêche la formation de banquisebanquise. Cette zone d'échange peut s'étendre jusqu'à 3.000 m de profondeur.

    Les tonalités de bleu indiquent l’épaisseur de la couche d’eau mélangée par les mouvements verticaux entre la surface et la profondeur (<em>Mixed layer depth</em>), atteignant jusqu’à 3.000 m en mer du Labrador, entre le Groenland et le Canada. La ligne rouge indique la région étudiée et la ligne jaune délimite la zone où cette couche dépasse 1.000 m d’épaisseur. Les mouvements convectifs dans cette zone influencent les mouvements horizontaux en surface (lignes blanches). À l’inverse, les courants de surface (au nord, la gyre circumpolaire) favorisent (quand ils sont forts) les échanges verticaux ou les ralentissent (quand ils faiblissent). © Giovanni Sgubin, Epoc
    Les tonalités de bleu indiquent l’épaisseur de la couche d’eau mélangée par les mouvements verticaux entre la surface et la profondeur (Mixed layer depth), atteignant jusqu’à 3.000 m en mer du Labrador, entre le Groenland et le Canada. La ligne rouge indique la région étudiée et la ligne jaune délimite la zone où cette couche dépasse 1.000 m d’épaisseur. Les mouvements convectifs dans cette zone influencent les mouvements horizontaux en surface (lignes blanches). À l’inverse, les courants de surface (au nord, la gyre circumpolaire) favorisent (quand ils sont forts) les échanges verticaux ou les ralentissent (quand ils faiblissent). © Giovanni Sgubin, Epoc

    Les meilleurs modèles indiquent un refroidissement futur

    Choisissant d'étudier ce phénomène de convection en détail, des chercheurs du laboratoire Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (CNRS, université de Bordeaux) et de l'université de Southampton ont développé un nouvel algorithme pour analyser les 40 projections climatiques prises en compte dans le dernier rapport du Giec. Cet outil est capable de repérer les variations rapides des températures à la surface de l'océan. Cette « moulinette statistique » a révélé que 7 des 40 modèles climatiques étudiés projetaient un arrêt complet de la convection engendrant des refroidissements abrupts - 2 ou 3 degrés en moins de dix ans - de la mer du Labrador, induisant de fortes baisses des températures dans les régions côtières de l'Atlantique nord.

    Mais un tel refroidissement rapide, simulé seulement par quelques modèles, est-il vraisemblable ? Pour répondre à cette question, les chercheurs se sont penchés sur la variable clé du déclenchement de la convection hivernale : la stratificationstratification océanique. Ces variations verticales de la densité des massesmasses d'eau sont bien reproduites dans 11 des 40 modèles, qui donc peuvent être considérés comme les plus fiables. Or, parmi ces 11 modèles, 5 simulent une baisse rapide des températures de l'Atlantique nord, soit 45 %.

    Ces résultats issus de modèles climatiques, qui viennent d'être publiés dans la revue Nature Communications, pourront être confrontés aux futures données du projet international Osnap, qui prévoit l'installation de bouées fixes dans le gyregyre subpolaire. De quoi anticiper de possibles refroidissements rapides dans les années à venir. Ce risque devra par ailleurs être pris en compte dans les politiques d'adaptation au changement climatique des régions bordant l'Atlantique nord.

    Repris du communiqué du CNRS.