Tout a commencé en 1961, lorsque des ossements de dinosaures ont été retrouvés par le géologue Robert Liscomb près de la rivière Colville en Alaska. Depuis, des dizaines d'autres restes ont été trouvés, remettant en question l'idée de dinosaures ne pouvant vivre que dans un climat chaud. Mais à quoi ressemblaient-ils ?


au sommaire


    La découverte a été faite en 1961, puis oubliée durant des décennies ensuite. Des restes de dinosaures en Alaska sur les rives de la rivière Colville prouvent que des dinosaures y ont séjourné. Des dents ou de minuscules os qui datent de 73 millions d'années. À cette époque, l'Alaska appartenait à un grand continent situé encore plus au nord, appelé Laramidia, s'étendant jusqu'au Mexique.

    À la différence d'aujourd'hui, l'endroit restait plongé dans l'obscurité près de quatre mois par an. Mais ce n'est pas le seul changement : le climat, à cette époque, était bien plus chaud, si bien que la température descendait parfois sous les -10 °C, mais n'atteignait pas non plus les grands froids de l'actuel Arctique. Le sol se recouvrait cependant de neige pendant une bonne partie de l'année. Oubliée jusqu'en 1984, cette toute première trouvaille a été suivie par bien d'autres, jusqu'à ce que les abords de la rivière Colville soient considérés comme l'une des régions les plus riches en fossiles du monde, avec plusieurs milliers de restes trouvés. « C'est probablement la couche d'os de dinosaures la plus intéressante de tout l'État de l'Alaska, explique à BBC future Patrick S. Druckenmiller, paléontologuepaléontologue à l'université d'Alaska. Ils vivaient pratiquement au pôle Nord. »

    Plusieurs espèces de dinosaures ont été retrouvées dans des régions qui se situaient très près des pôles il y a des centaines de millions d'années. © 3D motion, Adobe Stock
    Plusieurs espèces de dinosaures ont été retrouvées dans des régions qui se situaient très près des pôles il y a des centaines de millions d'années. © 3D motion, Adobe Stock

    De nombreuses espèces endémiques des pôles

    Depuis, des restes similaires ont été découverts en Australie, au nord de la Russie et même au Svalbard, montrant que les dinosaures prospéraient dans les régions de grand froid ! Mais comment se sont-ils retrouvés aussi près des pôles ? Une hypothèse était qu'ils migraient, au même titre que les oiseaux dont ils sont les ancêtres. Ils auraient ainsi pu parcourir plusieurs milliers de kilomètres à chaque migration. Mais lors de l'étude des milliers de restes retrouvés, un élément a frappé les chercheurs : certains correspondaient à des fœtusfœtus non éclos. Or, la période d'incubation pouvait durer plus de six mois pour certaines espèces de dinosaures, rendant la migration impossible. « Cela défie toute logique. Nous sommes à peu près sûrs que ces dinosaures étaient des résidents à l'année », confirme Patrick S. Druckenmiller.

    Les espèces restaient donc au nord toute l'année. Une idée confirmée par la suite des recherches : certains dinosaures identifiés ne l'ont été que sur des sites spécifiques. « Nous n'avions pas seulement un ou deux types de bébés dinosaures, nous avons en fait des preuves de sept groupes différents de dinosaures, y compris des herbivores et des carnivores, des petites espèces et des grandes espèces », explique Druckenmiller. Comme Ugrunaaluk kuukpikensis, appartenant à la famille des hadrosauridéshadrosauridés, les « dinosaures à becbec de canard », et endémiqueendémique de l'Alaska. Son nom signifie littéralement « brouteur ancien du fleuve Colville » en langue inupiaq.

    Squelette reconstitué d'un jeune <em>Ugrunaaluk kuukpikensis</em>, au Perot Museum, Texas. © Rodney, Flickr Perot Museum, Wikimedia Commons
    Squelette reconstitué d'un jeune Ugrunaaluk kuukpikensis, au Perot Museum, Texas. © Rodney, Flickr Perot Museum, Wikimedia Commons

    Étaient-ils réellement différents des autres dinosaures ?

    L'une des questions soulevées par ces découvertes concernait bien sûr la physionomie de ces nouveaux dinosaures : comment s'étaient-ils adaptés au froid ? Notamment, l'hibernation : selon Patrick S. Druckenmiller, « il y a des raisons de croire que peut-être certaines des plus petites espèces, en particulier les herbivores, étaient assez petites pour faire un terrier et hiberner pendant l'hiverhiver ». Mais de nombreuses analyses, dont la dernière en 2021, ont montré grâce à la structure des anneaux de croissance sur les os des dinosaures qu'il n'y avait pas de période d'hibernation. En revanche, ces dinosaures appartenaient aux endothermes, signifiant qu'ils avaient le sang chaud ! Une caractéristique qu'ils ne partageaient pas forcément avec leurs compères plus près de l'équateuréquateur. Côté apparence, ils possédaient très probablement des plumes, comme une majorité de dinosaures, mais les fossilesfossiles trouvés montrent une physionomie similaire avec ceux des latitudeslatitudes moins élevées !


    Les dinosaures polaires n'hibernaient pas

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco paru le 08/08/2011

    Contrairement à ce que l'on pensait il y a plus de dix ans, les os des dinosaures ayant vécu au voisinage du cercle polairecercle polaire antarctiqueantarctique au CrétacéCrétacé n'indiquent pas de différences de physiologie avec les dinosaures ayant vécu sous des latitudes plus basses. On ne peut plus en déduire qu'ils hibernaient.

    La découverte d'os de dinosaures en Australie, datant du Crétacé inférieur, avait été une surprise. En effet, du fait de la dérive des continents, l'Australie se trouvait bien plus près du Pôle sud il y a un peu plus de 100 millions d'années. Il fallait donc en conclure que des dinosaures avaient vécu dans des régions où les températures et l'ensoleillement n'étaient pas vraiment compatibles avec des animaux à sang froid.

    Certes, la répartition des continents à cette époque modifiait sans aucun doute les courants océaniques et atmosphériques. De sorte que, et du fait d'une forte activité volcanique (la quantité de CO2 dans l'atmosphèreatmosphère était plus élevée), on a toutes les raisons de penser que le climat global était plus chaud avec un gradientgradient thermique moins important de l'équateur aux pôles. D'ailleurs, les archives géologiques montrent l'absence vraisemblable de calotte à cette époque. Il semblait donc que les dinosaures polaires pouvaient alors présenter une physiologie similaire à celle de nos actuels animaux à sang froid, comme les iguanes des Galápagos, et ce devait être encore plus vrai,  à fortiori, pour les dinosaures vivant sur les autres continents au Crétacé inférieur. Peut-être même étaient-ils à sang chaud, comme les mammifères et les oiseaux.

    Toutefois, les premières analyses des os des dinosaures australiens ont montré qu'il existait des différences laissant supposer que ces animaux hibernaient plusieurs mois de l'année.

    La publication récente dans Plos One d'un article (donné en lien ci-dessous) par un groupe de paléontologistes remet en cause cette affirmation.

    Tibia de dinosaure trouvé en Australie sur le site de Flat Rocks. © <em>Monash University </em>
    Tibia de dinosaure trouvé en Australie sur le site de Flat Rocks. © Monash University 

    Des anneaux de croissance pour les os des dinosaures polaires

    La paléontologue Holly Woodward, actuellement en thèse avec le fameux Jack Horner, y montre en effet avec ses collègues qu'il existe des sortes d'anneaux de croissance dans les os des dinosaures australiens. Or ceci n'est pas compatible avec des dinosaures effectuant des longues périodes d'hibernation.

    La raison de ce retournement de situation vient en partie du fait que les os de dinosaures australiens datant du Crétacé inférieur n'avaient pas encore été retrouvés en quantités suffisantes. Woodward et ses collègues ont cette fois-ci pu analyser les tissus osseux fossilisés de dix-sept dinosaures ornithopodes et théropodesthéropodes vivant il y a entre 112 et 100 millions d'années. Sauf chez les dinosaures âgés de moins d'un an, des anneaux de croissance sont bien présents et la structure de l'os montre une croissance rapide similaire à ceux des dinosaures trouvés ailleurs sur la planète.

    Bien que l'on ne puisse pas en conclure que les dinosaures polaires n'avaient pas malgré tout une physiologie différente, aucune trace n'en est donc trouvée dans leurs os. Cela laisse penser que très tôt dans leur histoire, les dinosaures disposaient d'une physiologie leur permettant de coloniser un grand nombre de niches écologiques différentes, d'où la raison de leur succès pendant près de 160 millions d'années.