Des chercheurs ont découvert un étrange « lac » sous-marin, reposant au fond de la mer Rouge. Phénomène rare, il s’agit d’une poche d’eau hypersalée et sans oxygène, pourtant habitée par des colonies bactériennes.


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    L’eau de mer est salée, tout le monde le sait. Si la teneur en sel est en moyenne de 35 g/L, la salinitésalinité est cependant variable. Elle peut en effet être modifiée par les contraintes locales que sont les apports d'eau douce continentale et l'évaporation. La teneur en sel de la mer Noire est ainsi plutôt faible à cause de l'apport de plusieurs fleuves, alors que la Méditerranée et sursalée à cause de la forte évaporation qu'elle subit.

    Il existe également de faibles variations de la salinité en surface, qui dépendent principalement de la zone climatique (tropicale, intertropicale...), des saisons et des courants. En général, ces variations s'équilibrent avec la profondeur. Au niveau des moyennes latitudes, la forte évaporation fait que l'eau est plus salée en surface qu'en profondeur. Puis, en descendant, on observe une diminution rapide de la salinité, définissant ainsi un fort gradientgradient de salinité vertical que l'on appelle halocline. La salinité, parallèlement à la température, influence fortement la densité de l'eau de mer, ce qui génère une forte stratification qui se développe essentiellement entre 0 et 500 mètres de profondeur.

    Un lac d’eau hypersalée découvert sur le fond de la mer Rouge

    Mais il existe des cas extrêmes, relativement rares, où l'eau de mer est tellement salée qu'elle « coule » littéralement vers le fond sous l'effet de sa forte densité pour former d'étranges lacs sous-marins. Récemment, une telle piscine de saumuresaumure a été découverte au fond du golfe d'Aqaba, au nord de la mer Rougemer Rouge.

    OceanX a fait une découverte surprenante : un bassin de saumure grouillant de vie, à plus de 1.700 mètres de profondeur. © OceanX

    En plongeant à 1.770 mètres de profondeur, l'un des sous-marins ROV de l'expédition OceanX est en effet tombé sur une vaste étendue d'eau saumâtreeau saumâtre de 10.000 m2. Les analyses réalisées au sein de ce véritable lac sous-marin ont révélé la présence d'importantes communautés de microbesmicrobes. Et cela est loin d'être une évidence, car ce type d'environnement est particulièrement inhospitalier. Premièrement, la salinité y est extrêmement élevée. Elle a en effet été mesurée à 160 PSU, soit 160 grammes de sel par kilo d'eau ! Deuxièmement, la quantité d'oxygène y est quasiment nulle, définissant un environnement anoxiqueanoxique. L'étude des organismes vivants dans ce type d’environnement est donc particulièrement importante pour comprendre les capacités d'adaptation de la vie à des conditions très hostiles, une question essentielle pour la recherche de traces de vie sur d'autres planètes.

    Une intéressante archive géologique renfermant les traces de plusieurs séismes et tsunamis

    L'autre question qui a intéressé les scientifiques en charge de cette mission océanographique est l'origine de ce lac de saumure. Deux hypothèses sont avancées. La première est la dissolution de roches évaporitiquesroches évaporitiques présentes dans les sédimentssédiments du fond de la mer Rouge. Les évaporites, comme le sel ou le gypsegypse, sont des roches issues de l'évaporation de l'eau de mer. Ces niveaux se seraient formés au moment de la crise de salinité de la fin du MiocèneMiocène, au moment où la mer Rouge était en train de s’ouvrir et formait alors un bassin peu profond et encore fermé. La deuxième hypothèse fait intervenir une évaporation à l'airair libre de l'eau de mer au niveau des sebkhassebkhas actuelles, qui sont des dépressions inondables et peu profondes, situées sur la côte. Le liquideliquide hypersalé produit au niveau des sebkhas percolerait ainsi à travers le plateau côtier pour venir s'accumuler en pied de pente, au fond de l'océan.

    À gauche (a), les colonies de microbes sont visibles sur le pourtour du lac de saumure. À droite (b), les mesures réalisées dans le niveau d'eau saumâtre. © Purkis et al. 2022, <em>Nature Communications </em>
    À gauche (a), les colonies de microbes sont visibles sur le pourtour du lac de saumure. À droite (b), les mesures réalisées dans le niveau d'eau saumâtre. © Purkis et al. 2022, Nature Communications

    Ce lac de saumure renferme également une intéressante archive géologique, avec la présence de dépôts sédimentaires qui témoignent, selon les auteurs de l'étude publiée dans Nature Communications, de l'occurrence de plusieurs tsunamistsunamis, causés par de puissants tremblements de terretremblements de terre qui ont secoué la région sur les derniers siècles.

    Cette étude montre tout l'intérêt scientifique que représente ce type de lac saumâtre, dont on ne connaît actuellement que quelques dizaines d'exemples.