Les dipneustes sont de drôles de poissons puisqu'ils possèdent des poumons. Ce sont aussi les animaux qui possèdent l'ADN le plus long jamais séquencé ! Il est quatorze fois plus long que celui de l'être humain.
Durant le Dévonien, qui s'étend entre -419 et -358 millions d'années, les sarcoptérygiens sortent de l'eau pour conquérir la terre ferme. Ce clade phylogénétique est composé de deux lignées : celle des cœlacanthes, dont les ancêtres sont retournés à l'eau après en être sortis, et celle dont les descendants sont les tétrapodes et les dipneustes. Les tétrapodes regroupent aujourd'hui les reptiles, les mammifères, les amphibiens et les oiseaux. Ces derniers ont tous pour cousins lointains les dipneustes, des poissons osseux un peu étranges puisqu'ils possèdent un poumon fonctionnel en complément de leurs branchies. Ils peuvent donc remonter à la surface pour respirer à l'air libre. À cause de leur place unique dans l'évolution, les dipneustes font l'objet de recherches scientifiques depuis longtemps.
Il fallait au moins une équipe internationale de 19 scientifiques pour étudier en détail le génome du dipneuste australien (Neoceratodus forsteri). Ce dernier possède le génome animal le plus long jamais séquencé ! Il comprend 43 milliards de paires de bases, soit 14 fois plus que le génome de l'être humain. Les détails de ce séquençage hors norme ont été publiés dans Nature.
Le dipneuste, plutôt tétrapode ou poisson ?
Pour venir à bout des 43 milliards de paires de bases du génome du dipneuste, les ordinateurs ont dû tourner à plein régime pendant 100.000 heures. À la fin, les scientifiques n'ont pas pu assembler l'intégralité du génome mais une majeure partie qui représente 37 milliards de paires de bases. Cet assemblage a permis de répondre à une vieille question : les dipneustes sont-ils plus proches des cœlacanthes ou des tétrapodes ? Pour cela, ils ont étudié la structure de régions génétiques non codantes répétées appelées « longs éléments intercalaires répétés » (ou Line en anglais) qui composent 90 % du génome du dipneuste australien. En effet, la nature de ces motifs génétiques est propre à chaque espèce.
La structure des longs éléments intercalaires répétés du dipneuste australien est beaucoup plus proche de celle des amphibiens, et donc des tétrapodes, que de celle des poissons à nageoires rayées (les actinoptérygiens). De ce point de vue, le cœlacanthe est plus proche des actinoptérygiens.
Un génome qui grandit encore
Par la taille imposante de leur génome, les dipneustes se rapprochent des salamandres, notamment de l'axolotl. La petite salamandre mexicaine possédait le génome animal le plus imposant connu avant que celui du dipneuste ne soit décortiqué. Avec ses 32 milliards paires de bases, le génome de l'axolotl est respectable mais reste 30 % plus modeste.
Le génome du dipneuste est devenu si imposant grâce à l'acquisition et l'accumulation d'éléments génétiques transposables comme les Line. Selon les scientifiques, il a connu une période d'expansion génétique au moment où les premiers sarcoptérygiens sont sortis de l'eau. Actuellement, le génome des dipneustes grandit toujours mais à une vitesse beaucoup plus faible qu'à cette époque. Les scientifiques estiment que l'expansion génétique s'est considérablement ralentie depuis que le Gondwana a commencé à se fissurer.
Il existe actuellement six espèces de dipneustes, souvent qualifiées de fossiles vivants, à l'instar du cœlacanthe, puisque leur morphologie n'a pratiquement pas évolué au cours des derniers millions d'années. C'est particulièrement frappant pour le dipneuste australien. Des spécimens ayant vécu il y a 100 millions d'années et dont les fossiles ont été analysés, ont pratiquement la même apparence que les individus modernes.