L'« enfant terrible du Pacifique » s'est montré particulièrement capricieux en 2015-2016. En provoquant ici des sécheresses, là un redoublement des précipitations, El Niño a favorisé un peu partout sur le globe l'émergence de maladies potentiellement mortelles, selon une étude dirigée par la Nasa.


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    L'épisode El NiñoEl Niño de 2015-2016, le plus intense depuis celui de 1997-1998, restera dans les annales. C'est en partie à cause de lui que 2016 s'inscrit comme l'année la plus chaude jamais enregistrée, avec +1,3 °C par rapport à l'ère préindustrielle. Phénomène qui démarre approximativement tous les quatre ans dans le centre et l'est du Pacifique, au niveau de l'équateur, sous forme d'un courant océanique chaud, El Niño a en effet le don de perturber le climat mondial. Il modifie le régime des vents et des précipitations, la trajectoire des ouragans, les températures... Et ce faisant, il crée des conditions favorables au déclenchement ou à l'intensification des épidémiesépidémies.

    Dans une étude parue dans Nature Scientific Reports, Assaf Anyamba, du NasaNasa Goddard Space Flight CenterGoddard Space Flight Center, et ses collègues détaillent l'ampleur des répercussions sanitaires associées à El Niño de 2015-2016. Il en ressort que, dans certaines régions aux États-Unis, en Afrique de l'Est, au Brésil et en Asie du Sud-Est, il a généré des écarts de précipitations de 14 à 81 %, en plus ou moins, par rapport à la normale, entraînant inondationsinondations et sécheressessécheresses. Parallèlement, le nombre de patients atteints de la pestepeste, du choléracholéra et de la denguedengue dans ces régions était de 2,5 à 28 % supérieur par rapport aux années sans El Niño.

    Émergence de plusieurs maladies épidémiques à travers le globe durant le phénomène El Niño de 2015-2016. Les quatre cas étudiés en détails (États-Unis, Afrique de l'Est, Brésil et Asie du Sud-Est) sont encadrés en rouge. © Assaf Anyamba <em>et al.</em>, <em>Nature Scientific Reports</em>, 2019
    Émergence de plusieurs maladies épidémiques à travers le globe durant le phénomène El Niño de 2015-2016. Les quatre cas étudiés en détails (États-Unis, Afrique de l'Est, Brésil et Asie du Sud-Est) sont encadrés en rouge. © Assaf Anyamba et al., Nature Scientific Reports, 2019

    Des pics d'épidémies liés aux perturbations météo

    Cet El Niño, historiquement violent, s'est rendu coupable de nombreux maux, dont une recrudescence du paludismepaludisme, du chikungunyachikungunya, de ZikaZika, de la peste et de la dengue. Mais il est aussi à l'origine de bien d'autres problèmes de santé telles que l'insécurité alimentaire due à de mauvaises récoltes, ou les maladies respiratoires liées à la pollution de l'airair par les feux de forêts, eux-mêmes induits par les sécheresses. Les chercheurs ciblent, dans leur étude, quatre cas d'école répartis à travers le monde : la peste et les hantavirus aux États-Unis, le choléra en Tanzanie et enfin, la dengue au Brésil, en Thaïlande et en Indonésie.

    En analysant les données satellites sur les précipitations, les températures de surface et le couvert végétal durant El Niño, ainsi que les données de santé publique tirées, entre autres, du système ProMed sur la période 1996-2016, les chercheurs ont pu faire le lien entre les précipitations et l'émergenceémergence de ces maladies localement. Dans les États américains du Colorado et du Nouveau-Mexique, ils notent un pic du nombre de cas de peste en 2015 (+28 % par rapport aux années sans El Niño) et de hantavirus en 2016, imputable à des précipitations accrues (+135,58 mm par rapport à la normale saisonnière) à travers le Sud-Ouest américain, qui ont entraîné en cascade une explosion de la végétation et donc de la population de rongeursrongeurs, vecteurs de ces maladies.

    Constat similaire en Tanzanie, où El Niño a amplifié l'épidémie de choléra (+2,71 % de cas) en augmentant les précipitations (+280,4 mm), favorisant ainsi la contaminationcontamination de l'eau potable par les eaux uséeseaux usées et la transmission de la maladie. Au Brésil et en Asie du Sud-Est, c'est l'inverse. En 2015, l'épidémie de dengue s'est aggravée au Brésil (+2,90 % de cas), ainsi qu'en Indonésie et en Thaïlande (+1,61 % de cas), à cause des hausses de températures et de la sécheresse (-124,30 mm de précipitations au Brésil et -36,37 mm en Asie du sud-est par rapport à la normale). Les moustiquesmoustiques ont proliféré dans les villes, où ils ont pu trouver des points d'eau.

    L'intense El Niño de 2015-2016 a créé des conditions favorables à l'explosion de maladies à travers le monde, comme par exemple une épidémie de dengue en Asie du Sud-Est. Explications dans cette vidéo. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa's Goddard Space Flight Center

    Des prévisions météo pour anticiper les crises sanitaires

    Tout au long de l'épisode El Niño de 2015-2016, depuis son commencement jusqu'à son épuisement, les chercheurs ont surveillé ses effets sur la météométéo, et particulièrement ceux attendus sur les précipitations, propices à la prolifération d'animaux ou d'insectesinsectes, vecteurs de maladies. Ces informations ont servi à alerter les services concernés, dont l'OMSOMS et la FAOFAO, des risques d'émergence d'épidémies dans certaines régions.

    Le pouvoir de sauver des vies

    Les prévisions météo ont « le pouvoir de sauver des vies, observe Assaf Anyamba, premier auteur de l'étude, dans un communiqué de la Nasa. Beaucoup de maladies, en particulier celles véhiculées par les moustiques, ont un temps de retard de deux à trois mois après les changements météorologiques ». Par exemple, les chercheurs ont anticipé un accroissement des précipitations en Afrique de l'Est et ont averti les autorités compétentes dès 2015. Une épidémie de fièvre de la vallée du Rift a pu être évitée de la sorte.

    Cette maladie, transmissible à l'Homme, touche avant tout le bétail, chez lequel elle se transmet par les moustiques, et se montre souvent fatale. Des mesures de préventionprévention, en l'occurrence des campagnes de vaccinationvaccination du bétail, ont pu être prises à temps, ce qui a « vraisemblement évité des milliers de cas humains et de décès chez les animaux », d'après Kenneth Linthicum de l'USDA-Agricultural Research Service Center pour l'entomologieentomologie médicale, agricole et vétérinairevétérinaire en Floride, co-auteur de l'étude.

    Dérèglement du climat et flambée des épidémies, voilà des conséquences inquiétantes d'El Niño qui ne sont pas très éloignées des effets à plus grande échelle, sur le long terme, du changement climatiquechangement climatique. Sous son influence, l'« enfant terrible du Pacifique » en personne, tout comme sa petite sœur La NiñaLa Niña, devrait gagner en intensité. Dans la foulée, les crises sanitaires imputables à El Niño risquent de s'aggraver.