Le célèbre glaciologue français, pionnier de l'analyse du climat passé dans les carottes de glace, vient de recevoir une nouvelle récompense, le prix Blue Planet, en même temps que le Brésilien José Goldemberg, physicien et Secrétaire d'Etat à l'Environnement de l'Etat de São Paulo. Un prix mérité, qui donne l'occasion de rappeler les avancées auxquelles Claude Lorius a participé.

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    La base Concordia sous la Lune. © Programme de recherche en Antarctique/Institut polaire Paul-Emile Victor

    La base Concordia sous la Lune. © Programme de recherche en Antarctique/Institut polaire Paul-Emile Victor

    Le prix Blue Planet, créé en 1992 par la fondation japonaise Asahi Glass, récompense chaque année deux personnalités ou organisations qui ont apporté une contribution importante à la connaissance ou à la protection de l'environnement. Le Brésilien José Goldemberg, un physicienphysicien de l'université de São Paulo, spécialiste de l'énergieénergie, occupe actuellement des fonctions ministérielles et a œuvré pour le développement des agrocarburantsagrocarburants dans son pays.

    Il partage le prix avec le glaciologue Claude Lorius, premier Français à recevoir cette récompense. On ne résume pas facilement la carrière de ce grand homme de sciences, académicien depuis 1994 et pionnier de l'étude du climat dans les glaces. Mais l'exercice est salutaire car les scientifiques de son envergure ne sont pas légion et son œuvre a déjà marqué les esprits. Si les expressions réchauffement climatique et gaz à effet de serre sont aujourd'hui connues de tous, on le doit en partie à Claude Lorius, qui a commencé à en parler il y a trois décennies.

    Ce grand connaisseur du milieu de polaire, et de l'Antarctique en particulier, a participé à 22 campagnes. Le compte a été fait : au total, Claude Lorius a passé six années sur le continent antarctique... Son aventure professionnelle commence en 1955. Encore étudiant, il répond à une proposition d'expédition. Il a le choix entre un travail à Tamanrasset et une expérience, un peu folle et inédite, imaginée à l'occasion de l'année géophysique internationale. Il s'agit de partir pour la Terre Adélie durant un an, avec deux autres personnes (un étudiant et un responsable, un ingénieur ayant déjà l'expérience du milieu polaire) pour s'installer, en isolement presque total, sur la base Charcot (baptisée en l'honneur du commandant Charcot, grand explorateur polaire). Ce camp n'est pas situé sur la côte, comme la plupart des autres installations de l'époque, mais à plusieurs centaines de kilomètres dans les terres, à peu près sur le pôle sud magnétique, à 2.400 mètres d'altitude. C'est vers cet inconnu qu'il s'envole après un entraînement au Groenland et dans les Alpes françaises.

    Claude Lorius © LGGE

    Claude Lorius © LGGE

    A la découverte d'un continent inconnu

    Le trio y reste environ une année, avec la base côtière comme seul contact, épisodique. Les conditions sont rudes. La température moyenne annuelleannuelle est de -40°C. Le générateurgénérateur d'électricité déclare forfait assez vite, le premier jour où le thermomètrethermomètre descend en dessous de -45°C. A son retour, Claude Lorius saisit une autre opportunité : un raid d'exploration avec une équipe américaine sur 1.400 kilomètres, soit plus de cent jours de voyage. Preuve que le continent est très mal connu, l'expédition découvre... une chaîne de montagnes. Les Américains baptisent l'un des ses sommets mont Lorius.

    En 1963, le chercheur passe une thèse sur un sujet pointu : établir la relation entre la température à laquelle la glace se forme et la proportion des isotopesisotopes de l'oxygène et de l'hydrogènehydrogène dans les moléculesmolécules d'eau. Ce travail initiateur apporte une possibilité nouvelle : déterminer la température ambiante au moment où s'est formée la glace extraite d'un forage dans un glacierglacier. Claude Lorius prend ensuite la direction du laboratoire de glaciologie (à Grenoble), au CNRS. En 1968, déjà, la dénomination s'enrichit d'un mot récent : environnement. Toujours présent à Grenoble, il est devenu le LGGE (Laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement).

    A cette époque commencent les grands forages dans la glace. En 1974, un avion Hercules C130 américain dépose une équipe internationale (trois Français, un Russe et un Américain), quelque part sur la partie française de l'Antarctique, à 1.400 kilomètres de la côte, à l'endroit appelé aujourd'hui Dôme C et sur lequel se trouve la base européenne Concordia. L'expédition commence par une double catastrophe. Le C130 se retourne au décollage et l'appareil suivant se crashe à son tour. Il n'y a pas de victimes mais les Etats-Unis ont perdu deux avions sur les cinq basés en Antarctique... En 1978, les Américains, sans rancune, ramènent l'équipe au même endroit, avec un équipement lourd. Cette fois, le forage atteint mille mètres. A son plus profond, la glace date de 30.000 ans environ, une époque située dans la dernière période glaciairepériode glaciaire. A l'intérieur, on découvre des bulles d'airair.

    On peut lire le passé dans une bulle

    Claude Lorius racontera plus tard que l'idée de s'intéresser à ces bulles lui est venue en regardant éclater celles emprisonnées dans des glaçons fondant dans son whisky. La scène se déroulait sur le lieu du forage et le glaçon avait été extrait de la carottecarotte. Ces petites explosions devaient être dues à la pressionpression. Ces bulles recélaient donc des données physiquesphysiques capables de raconter quelque chose. Pourquoi ne pas analyser l'air qui s'y trouve enfermé ? Il faudra des années avant que cette intuition d'un soir devienne une méthode scientifique.

    Après ce succès, en 1984, en pleine guerre froide, l'équipe française est invitée par les Soviétiques à la station Vostok (en Antarctique), où a été effectué un forage de plus de 3.000 mètres, et s'y rend... avec un avion de l'US Navy. La carotte dévoile 150.000 ans de climat, que les Français vont aider à analyser.

    A l'intérieur des bulles, les chercheurs mesurent les teneurs en différentes molécules et découvrent des variations importantes à l'échelle des millénaires de ce que l'on a pris l'habitude d'appeler les gaz à effet de serre, c'est-à-dire, notamment, le gaz carboniquegaz carbonique et le méthane. Ces variations sont visiblement corrélées à celles des températures. Pour la première fois, on met clairement en évidence la relation entre la composition changeante de l'atmosphèreatmosphère et le climat, un effet qui vient s'ajouter aux variations dues aux changements d'orbiteorbite de la Terre. Les mêmes résultats s'accumulent dans d'autres forages effectués ailleurs en Antarctique ou au Groenland.

    Une carotte de glace fraîchement extraite du forage Concordia, au Dôme C. © CNRS Photothèque/L. Augustin

    Une carotte de glace fraîchement extraite du forage Concordia, au Dôme C. © CNRS Photothèque/L. Augustin

    Dans les couches récentes des carottes glaciaires, les teneurs en gaz carbonique et en méthane grimpent en flèche à partir des débuts de l'ère industrielle. Les teneurs actuelles sont supérieures à celles qu'a connues l'atmosphère depuis plusieurs centaines de milliers d'années. L'information commence à se diffuser. En 1987, dans la revue américaine Nature, Claude Lorius explique que « la planète devrait sensiblement se réchauffer au cours du 21ème siècle, au risque d'affecter les ressources en eau, l'agricultureagriculture, la santé, la biodiversitébiodiversité et, d'une façon générale, les conditions de vie des humains... ». En France, le premier ministre d'alors (Michel Rocard) demande à rencontrer le glaciologue pour se faire expliquer cette affaire.

    Ces travaux lui vaudront de nombreuses récompenses, dont le Prix Humboldt en 1989 (allemand) puis une succession d'autres, dont la médaille d'or du CNRS en 2002. Claude Lorius devient connu, fait le tour de plateaux télé et écrit des ouvrages de vulgarisation.

    Huit cent mille ans d'archives

    Mais il n'a pas pris sa retraite et initie, dans les années 1990, le programme de forage européen Epica (European Project for Ice Coring in Antarctica), qui rassemble douze pays sur la base Concordia. Démarré en 1994, il atteindra en 2004 la profondeur de 3.270 mètres, tout près du socle rocheux. A cet endroit, cette profondeur est un plongeon dans le passé jusqu'à 800.000 ans (la relation entre la profondeur et l'âge de la glace varie avec le lieu puisqu'elle dépend des quantités de neige qui tombent chaque année).

    En 2004, une consécration semble le toucher particulièrement : il apparaît dans le Petit Larousse illustré. Le prix Blue Planet vient désormais s'ajouter aux précédents... Pour en savoir plus, une bonne idée est d'écouter la longue interview (une heure) qu'il a accordée récemment à Canal Académie, le site de l'Académie des sciences. Une autre est de suivre les avancées de l'année polaire internationale, en cours actuellement, par exemple sur votre site préféré !