Analysées mètre par mètre, les carottes extraites des glaces antarctiques de la station Concordia, grâce au programme Epica, ont permis de déterminer les teneurs atmosphériques en gaz carbonique et en méthane depuis 800.000 ans, le record actuel. L'une des conclusions était attendue : jamais depuis cette époque, la concentration en CO2 n'a été aussi élevée qu'aujourd'hui. L'étude met aussi en lumière des variations insoupçonnées du climat sur différentes échelles

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    Une carotte de glace encore dans sa tige de forage. Elle vient d'être extraite au Dôme C, à Concordia, dans le cadre du programme Epica. © CNRS Photothèque/L. Augustin

    Une carotte de glace encore dans sa tige de forage. Elle vient d'être extraite au Dôme C, à Concordia, dans le cadre du programme Epica. © CNRS Photothèque/L. Augustin

    C'est l'aboutissement d'un travail de dix ans qui vient d'être publié dans deux articles de la revue scientifique Nature. Depuis 1995, le projet Epica (European Project for Ice Coring in Antarctica) rassemble des équipes de dix pays européens autour de forages dans la station Concordia, en Antarctique, au niveau du Dôme C.

    En 2004, les prélèvements de carottes atteignaient 3.270 mètres, très près du socle rocheux. A cette profondeur, la glace est enfouie depuis environ 800.000 ans, une valeur que l'on appelle son âge. C'est la plus vieille glace connue... Avant ce forage, les plus anciens prélèvements avaient atteint 420.000 ans, pour une carotte extraite en 1998 sur la base russe de Vostok, en Antarctique également, et 650.000 ans, au Dôme C (résultats publiés en 2005).

    Une longue analyse commençait alors pour en extraire les bulles d'airair emprisonnées. Les résultats qui viennent d'être publiés, notamment par des équipes du LSCE (Laboratoire des Sciences du Climat et l'Environnement) et du LGGE (Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l'Environnement), concernent le gaz carboniquegaz carbonique (CO2) et le méthane. Sur cette carotte de plus trois kilomètres, les glaciologues ont patiemment effectué une analyse pour chaque mètre de glace, soit une période de 380 ans. C'est la meilleure résolutionrésolution obtenue sur une aussi longue duréedurée. Le gain par rapport aux résultats déjà connus est particulièrement net pour le méthane, jusque-là moins bien étudié que le gaz carbonique, dont les enregistrements ont été minutieusement collectés sur de nombreuses carottes en Antarctique et au Groenland.

    Que nous disent ces mesures ? La conclusion la plus frappante est que les concentrations actuelles en gaz carbonique, de 380 ppmv (parties par million en volumevolume), et en méthane, 1.800 ppbv (parties par milliard en volume), sont les plus élevées sur cette longue période de 800.000 ans. Dans cette durée, le précédent pic de CO2 n'a atteint que 320 ppmv. L'étude a par ailleurs mis en évidence la concentration la plus faible connue à ce jour, 172 ppmv, il y a 667.000 ans.

    Evolution au cours des derniers 800.000 ans des concentrations en gaz carbonique (courbe bleue) et en méthane (courbe verte), ainsi que des températures (courbe rouge). © Université de Berne/LGGE

    Evolution au cours des derniers 800.000 ans des concentrations en gaz carbonique (courbe bleue) et en méthane (courbe verte), ainsi que des températures (courbe rouge). © Université de Berne/LGGE

    Fluctuations à grandes échelles

    Cette longue série de données permet aussi de suivre l'évolution du climat sur différentes échelles. Comme l'avait montré des résultats publiés en 2007 dans Science, la Terre a connu durant ces 800.000 ans neuf cycles climatiques, alors que l'on en connaissait jusque-là que huit. L'étude confirme également l'excellente corrélation entre les températures en Antarctique, connues par ailleurs, et les quantités atmosphériques de ces gaz à effet de serre que sont le gaz carbonique et le méthane.

    Ces résultats montrent aussi des phénomènes sur des échelles de temps très longues. Ainsi, la concentration moyenne de CO2 varie de manière inattendue selon un rythme de plusieurs centaines de milliers d'années. Pour expliquer cette lente variation, les auteurs avancent l'hypothèse d'un effet de l'érosion continentale, qui modifie le cycle du carbonecycle du carbone. Les chercheurs constatent également une bonne corrélation entre l'augmentation de la teneur en méthane et le renforcement des moussonsmoussons en Asie du sud-est, observé sur des milliers d'années.

    A échelle beaucoup plus petite, un phénomène étonnant a été découvert. Au début de chaque glaciationglaciation, durant le premier millénaire, c'est-à-dire très tôt, la teneur en méthane se met à fluctuer rapidement. La même instabilité a été observée pour le gaz carbonique lors de la glaciation qui a débuté il y a 770.000 ans. C'est ce caractère systématique qui surprend les chercheurs. On supposait plutôt que de telles variations dépendaient des quantités de glace emprisonnées dans les calottes glaciairescalottes glaciaires ou de l'intensité de la glaciation, et donc qu'elles devaient différer d'un épisode glaciaire à un autre. L'explication proposée par les auteurs est que les grands courants océaniques à l'échelle planétaire (la circulation thermohalinecirculation thermohaline) contribueraient alors à redistribuer les variations de température. Mais rien n'est certain et l'explication intéresse beaucoup les climatologuesclimatologues et les océanographes qui se demandent toujours quel effet aura le réchauffement actuel sur la circulation océanique.