Poussée par le réchauffement climatique, la biodiversité se déplace. Les animaux, mais aussi les plantes. Et même les arbres. Mais les champignons dont ils ont impérativement besoin pour survivre les suivront-ils ? Des chercheurs s’en inquiètent. Pour mieux comprendre pourquoi, nous avons interrogé Marc-André Selosse, mycologue au Museum d’Histoire Naturelle.


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    Dans un monde qui change, toutes les espèces doivent s'adapter. Toutes. Y compris les arbres. Par le passé, ceux-là mêmes qui semblent si solidement ancrés à leurs sols ont déjà su migrer vers des régions plus clémentes. Poussés par des changements climatiques naturels. Généralement seulement de quelques dizaines de kilomètres par siècle. Ce qui pourrait s'avérer largement insuffisant pour faire face à la rapiditérapidité du réchauffement climatique que nous vivons aujourd'hui.

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    Alors, certains ont commencé à déplacer des espèces d'arbres. Avec l'espoir de les aider à s'adapter. D'autres s'inquiètent des dommages que cela pourrait occasionner aux écosystèmes. Et une étude publiée par une équipe de la Society for the Protection of Underground Networks (SPUN) et de l'université du Michigan (États-Unis) dans les Proceedings of the National Academy of Sciences signale en plus que l'opération pourrait s'avérer bien plus délicate qu'ils l'imaginaient. À cause de ce qui se passe dans le secret des sols. Ou plutôt, de ce qui pourrait bien ne plus se passer.

    Les arbres et les champignons entretiennent une relation étroite

    « Dans le système racinaire d'un arbre, on peut trouver jusqu'à plusieurs centaines d'espèces de champignons. Des champignons filamenteux sans lesquels l'arbre ne peut pas se développer. Parce que ces champignons dits mycorhiziens lui fournissent des nutrimentsnutriments du sol essentiels à sa survie », nous explique Marc-André Selosse, mycologue au Museum d'Histoire Naturelle. Les arbres, en retour, offrent aux champignons le sucresucre qui leur permet de se développer.

    Or, les chercheurs de la SPUN révèlent aujourd'hui que cette relation symbiotique est en danger. Ils ont plus particulièrement étudié des arbres qui vivent dans l'extrême nord. De grands conifères qui s'accompagnent classiquement de champignons mycorhiziens appelés champignons ectomycorhiziens. Et leurs modèles montrent que 35 % des partenariats entre les arbres et les champignons qui interagissent avec leurs racines seraient affectés négativement par le réchauffement climatique anthropique.

    Ce cortinaire est un des champignons mycorhiziens qui vivent en symbiose avec les arbres. © Mateo Barrenengoa, SPUN
    Ce cortinaire est un des champignons mycorhiziens qui vivent en symbiose avec les arbres. © Mateo Barrenengoa, SPUN

    De la difficulté pour les arbres à s’épanouir sans champignons

    « Ces travaux sont intéressants », commente pour nous Marc-André Selosse. Ils mettent en lumièrelumière comment la migration des arbres dans notre climatclimat qui change à grande vitesse pourrait bien ne pas être seulement limitée par la disponibilité d'espace à des latitudeslatitudes ou à des altitudes plus élevées, mais aussi, par la disponibilité de partenaires symbiotiques.

    Le saviez-vous ?

    Les températures qui grimpent, les sécheresses qui se multiplient, les incendies qui font rage, la surexploitation ou encore la pollution sont autant de phénomènes qui nuisent aussi grandement de nos jours à la résilience des arbres et de nos forêts. Tout comme la perte de la biodiversité animale que l’on oublie trop souvent de mentionner. « Car ce sont les animaux qui dispersent aussi bien les graines des arbres que les champignons qui se reproduisent dans les sols, comme les truffes », rappelle Marc-André Selosse, mycologue au Museum d’Histoire Naturelle.

    Pour nous aider à comprendre l'importance de la découverte, Marc-André Selosse fait le parallèle avec notre microbiotemicrobiote. « Nous vivons aujourd'hui avec environ un tiers de microbesmicrobes en moins dans notre corps que par le passé. Et nous sommes toujours là pour en parler. Mais les études montrent que ce manque nous rend plus sensibles à certaines maladies. L'obésitéobésité, le diabètediabète. Comme nous, si les arbres perdent de leurs champignons, ils perdront de la santé et de la résiliencerésilience. » D'ailleurs, les chercheurs de l'université du Michigan le confirment. Les arbres ayant un taux de survie plus élevé aux limites des aires de répartitionaires de répartition des espèces sont ceux qui possèdent des champignons mycorhiziens les plus diversifiés.

    L’adaptation des arbres au réchauffement climatique, mythe ou réalité ?

    « Les modèles présentés dans cette étude pourraient encore être améliorés en tenant compte de deux facteurs importants, estime Marc-André Selosse. L'évolution pourrait faire son effet même à moyen terme. Surtout sur les champignons qui connaissent un cycle assez court. À l'inverse, il y pourrait se présenter une problématique de synchronisation des temporalités de vie. Avec le réchauffement climatique, les saisonssaisons changent. Résultat, un décalage pourrait se créer entre les besoins des uns et des autres. Que se passera-t-il si les champignons se mettent à demander du sucre à un moment où les arbres seront incapables de leur en fournir ? »

    Penser seulement adaptation au climat, c’est de la foutaise.

    Autant de questions qui mènent le professeur du Museum d'Histoire Naturelle à une conclusion que personne n'a réellement envie d'entendre. « Penser seulement adaptation au climat, c'est de la foutaise. À force de chercher, on finira par rencontrer le moment où on n'y arrivera plus. Et on pourra dire adieu à tous les précieux services écosystémiques que nous rendent les arbres. Ce dont nous avons vraiment besoin, c'est d'arrêter le réchauffement climatique en faisant tomber nos émissions de gaz à effet de serre à zéro. »