Les trous noirs géants ne sont pas tous tapis sagement au cœur des galaxies. Certains sont nomades et on peut parfois les observer dans le domaine des rayons X, probablement à la suite d'une rencontre avec une étoile. De récentes simulations de collisions entre galaxies contenant ces trous noirs géants laissent maintenant penser qu'environ 10 % de la masse du cosmos contenue dans des trous noirs supermassifs l'est dans des astres de genre errant dans les halos de matière noire des galaxies.


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    Au début des années 1960 la découverte des quasars a stupéfié les astronomesastronomes. Si l'on prenait leurs décalages spectraux vers le rouge au sérieux en accord avec la loi de Hubble-Lemaître, il fallait les considérer comme distants de plusieurs milliards d'années-lumière et incroyablement lumineux, trop pour que le rayonnement produit soit l'effet des réactions thermonucléaires dans des étoiles. Aussi, dès 1964, les grands astrophysiciensastrophysiciens russes Yakov Zel'dovich et Igor Novikov (et l'États-unien Edwin Salpeter) avaient-ils proposé que les quasars, plus généralement les noyaux actifs de galaxiesnoyaux actifs de galaxies, soient des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs accrétant de la matière. En 1971, Donald Lynden-Bell et Martin Rees proposaient de leur côté qu'il en existait un au cœur de la Voie lactéeVoie lactée. Au moins depuis le début des années 1990, il semblait clair que la plupart des grandes galaxies devaient probablement abriter en leur centre l'un de ces astresastres compacts, ce que les observations ne cessèrent de soutenir. Aujourd'hui, on peut même en faire des images comme l'ont montré les membres de l’Event Horizon Telescope avec M87*.

    Les observations montrent aussi des galaxies en collision et il est devenu clair que dans certains cas au moins, les fusionsfusions de galaxies allaient conduire à des fusions de trous noirs supermassifs, ce qui contribuait à leur croissance et rendait en partie compte des massesmasses atteintes par ces objets, allant de quelques millions à plusieurs dizaines de milliards de masses solaires. De fait aussi, on voit clairement dans certaines galaxies deux voire trois trous noirs supermassifs, ce qui s'explique bien si ce mécanisme de croissance est opérant. On a des raisons de penser malgré tout depuis une dizaine d'années, d'abord en raison de simulations et finalement là aussi d'observations, que l’essentiel de la croissance de ces objets se fait par l’accrétion de courants froids d’hydrogène et d’hélium canalisés par des filaments de matière noire.


    Une vidéo sur Romulus et les trous noirs supermassifs errants. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © YaleCampus

    Des trous noirs supermassifs qui ne « sédimentent » pas au cœur des galaxies

    Parmi les simulations cosmologiques savantes sur des superordinateurssuperordinateurs permettant de comprendre ce qui se passe dans le royaume des galaxies et leurs interactions avec les trous noirs supermassifs qu'elles contiennent, il y a celle appelée Romulus. Elle tient compte d'un grand nombre de corps célestes et d'une série de boucles de rétroactionsboucles de rétroactions dérivant de plusieurs phénomènes relevant d'une description non linéaire de la physique en jeu. La simulation Romulus tient notamment compte d'une modélisationmodélisation plus précise de l'accrétionaccrétion de la matière par un trou noir supermassif ainsi que de la fameuse formule dite de « friction dynamique » du grand astrophysicien indien et prix Nobel de physiquephysique Chandrasekhar décrivant la perte d'énergieénergie d'un corps céleste massif, comme une étoile ou un trou noir, en mouvementmouvement dans le gazgaz autogravitant d'étoiles dans une galaxie.

    Dans le cadre de la simulation Romulus, la prise en compte de cette formule montre notamment que les trous noirs supermassifs peuvent mettre beaucoup de temps avant d'entrer en coalescencecoalescence après la fusion des deux galaxies qui les contenaient, voire rester en orbiteorbite autour de la galaxie produite.

    L'astrophysicien Angelo Ricarte, du Center for Astrophysics | Harvard & Smithsonian (CfA) vient de publier avec ses collègues Michael Tremmel, Priyamvada Natarajan, Charlotte Zimmer, tous de l'université  de Yale, et Thomas Quinn de l'université de Washington, un article intéressant dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society et en accès libre sur arXiv, faisant état de nouveaux résultats à ce sujet avec la simulation Romulus.

    C'est la suite de travaux qu'ils mènent à ce sujet depuis plusieurs années et ils annoncent être arrivés à une prédiction étonnante. Environ 10 % de la masse contenue sous forme de trous noirs supermassifs ne se trouve pas sous la forme de ces astres compacts au cœur des galaxies mais bien sous la forme de trous noirs supermassifs errant autour des grandes galaxies, dans leur halo de matière noirematière noire, et laissés dans cette situation à l'occasion de fusions mineures de galaxies.

    Cette portion était de plus en plus grande au fur et à mesure que l'on remonte dans le passé.

    Une image de la simulation informatique Romulus montrant une galaxie de masse intermédiaire, sa région centrale brillante avec son trou noir supermassif, et les emplacements (et vitesses) des trous noirs supermassifs « errants » (ceux qui ne sont pas confinés au noyau ; le marqueur 10kpc correspond à une distance d'environ 32.000 années-lumière). Des simulations ont étudié l'évolution et l'abondance des trous noirs supermassifs errants ; dans l'univers primitif, ils contiennent la majeure partie de la masse qui se trouve dans les trous noirs géants. © Ricarte et al, 2021
    Une image de la simulation informatique Romulus montrant une galaxie de masse intermédiaire, sa région centrale brillante avec son trou noir supermassif, et les emplacements (et vitesses) des trous noirs supermassifs « errants » (ceux qui ne sont pas confinés au noyau ; le marqueur 10kpc correspond à une distance d'environ 32.000 années-lumière). Des simulations ont étudié l'évolution et l'abondance des trous noirs supermassifs errants ; dans l'univers primitif, ils contiennent la majeure partie de la masse qui se trouve dans les trous noirs géants. © Ricarte et al, 2021

     


    Chandra découvre un trou noir errant de 100.000 masses solaires

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 10/10/2016

    Les trous noirs géants ne sont pas tous tapis sagement au cœur des galaxies. Certains sont nomades. On vient de découvrir le plus lumineux d'entre eux dans le domaine des rayons Xrayons X, probablement à la suite de sa rencontre avec une étoile qu'il a dévorée il y a des milliards d'années.

    Les collisions de galaxies suivies de fusions sont fréquentes dans le cosmoscosmos. On pense d'ailleurs qu'une partie du processus de croissance des galaxies se fait de cette façon, l'autre partie faisant intervenir des courants de gaz froids que ces objets accrètent.

    Comme des trous noirs massifs sont présents dans presque toutes les galaxies - sous forme de trous noirs de masses intermédiaires pour les plus petites et sous forme de trous noirs supermassifs pour les plus grandes -, il doit aussi se produire des fusions de trous noirs.

    On observe parfois d'ailleurs, dans une galaxie, la présence de deux trous noirs géants dans son cœur, témoignant d'une fusion récente à l'échelle de l'histoire de l'universunivers. On détecte ces trous noirs notamment par les émissionsémissions de rayons X issues d'un disque de matière chaud qui se forme lorsqu'ils accrètent de la matière.


    Les trous noirs sont parmi les objets les plus opaques de l'univers. Heureusement, ils sont en revanche parmi les plus attractifs, et c'est par leur pouvoir d'attraction démesuré que nous pouvons les détecter. Les trous noirs géants sont les ogres les plus monstrueux du zoo cosmique, mais ils ne sont pas des armes de destruction massive. Les jets de matière qu'ils éjectent auraient contribué à allumer les premières étoiles et à former les premières galaxies. © Groupe ECP, Du Big Bang au vivantvia YouTube

    Une source de rayons X très lumineuse

    Les astrophysiciens qui étudient ces phénomènes s'appuient donc particulièrement sur les télescopestélescopes à rayons X mis en orbite (les plus célèbres sont ChandraChandra, pour la NasaNasa, et XMM NewtonNewton, pour l'ESAESA). Un article disponible sur arXiv annonce d'ailleurs qu'une découverte fascinante a été faite en analysant patiemment les données collectées par ces instruments en observant une région du ciel dont environ 500 images prises par le télescope spatial Hubbletélescope spatial Hubble ont été rassemblées pour constituer la bande de Groth étendue, en anglais Extended Groth Strip1 (EGS1). C'est une image à grand champ d'une région entre la constellation de la Grande Ourseconstellation de la Grande Ourse et celle du Bouvier.

    Au début des années 2000, Chandra et XMM Newton y ont détecté une source de rayonnement X particulièrement lumineuse mais transitoire qui figure maintenant dans les archives des astrophysiciens sous la dénomination de XJ1417+52. Les mesures indiquent qu'elle se trouvait à 4,5 milliards d'années-lumière de la Voie lactée, juste à côté d'une galaxie lenticulairegalaxie lenticulaire dénommée quant à elle SDSS J141711.07+522540.8, ou plus sobrement GJ1417+52.

    Cette image a été prise dans le visible par le télescope Hubble dans la bande de Groth étendue. Un zoom sur une galaxie lenticulaire montre une source lumineuse indiquée par un cercle. Un autre zoom, cette fois-ci avec Chandra, montre une source X en fausse couleur (mauve). © Rayons X : Nasa/CXC/UNH/D.Lin <em>et al.</em> ; visible : Nasa/STScI
    Cette image a été prise dans le visible par le télescope Hubble dans la bande de Groth étendue. Un zoom sur une galaxie lenticulaire montre une source lumineuse indiquée par un cercle. Un autre zoom, cette fois-ci avec Chandra, montre une source X en fausse couleur (mauve). © Rayons X : Nasa/CXC/UNH/D.Lin et al. ; visible : Nasa/STScI

    Un trou noir, vestige d'une galaxie naine démantelée ?

    XJ1417+52 faisait clairement partie des sources X hyper lumineuses ou en anglais hyper-luminous X-ray source (HLX). La quantité d'énergie libérée dans ce domaine de longueur d'ondelongueur d'onde et ses caractéristiques s'expliquent bien si l'on est en présence d'une trou noir accrétant de la matière et dont la masse doit être d'environ 100.000 masses solaires, un trou noir de masse intermédiaire donc, puisque les trous noirs supermassifs contiennent de quelques millions à quelques milliards de masses solaires.

    La source XJ1417+52 n'étant pas localisée dans GJ1417+52, il s'agit d'un trou noir errant, encore appelé nomade. Celui-ci appartenait probablement à une galaxie nainegalaxie naine passée trop près de la galaxie lenticulaire et qui a été démantelée par les forces de maréeforces de marée.

    On connaissait déjà de tels trous noirs nomades mais, au maximum des émissions X, la luminositéluminosité atteinte par XJ1417+52 a dépassé d'un facteur 10 celle des autres trous noirs errants détectés jusqu'à aujourd'hui. Par ailleurs, cette source détient un autre record : elle est 10 fois plus éloignée que celle associée au précédent trou noir nomade qui détenait le record de distance.

    Il est raisonnable de penser que le pic de luminosité X s'est produit lorsqu'une étoile s'est approchée trop près du trou noir intermédiaire et qu'elle a subi un traitement similaire à celui du scénario des crêpes stellaires, proposé il y a quelques décennies par Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet et Brandon Carter.