À haute pression, l'hydrogène devient métallique. L'ajout d'atomes de soufre peut alors le transformer en matériau supraconducteur. On le savait déjà mais ce qui est nouveau est que des chercheurs ont réussi à obtenir aujourd'hui cet état à température presque ambiante, 15 °C, en lui ajoutant aussi du carbone. Seul bémol pour ce succès sans précédent avec un supraconducteur, le sulfure d'hydrogène carboné doit être maintenu à une pression de plusieurs millions d'atmosphères.


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    Imaginez un monde où les diagnosticsdiagnostics médicaux précoces pour les cancerscancers et les AVCAVC obtenus avec un IRMIRM soient aussi faciles à faire et répandus que ceux réalisés par échographieéchographie ou avec des radiographiesradiographies classiques. Imaginez un monde où le transport de l'énergie électrique se fait sans perte -- ce qui aiderait à faire une transition écologique douce -- et où l'on peut rejoindre Pékin, par exemple, au départ de Kiev (en Ukraine) en seulement une heure grâce à des trains hypersoniques en lévitation magnétique circulant dans des tubes sous vide. Imaginez enfin un monde où des tokamaks comme IterIter seraient aussi rendus plus performants grâce à des aimants révolutionnaires.

    Un tel monde, où pourrait également avoir pris forme une nouvelle révolution dans le domaine de l'électronique avec des dispositifs moins gourmands en énergie et plus efficaces, serait possible si l'on découvrait des matériaux supraconducteurs à température et pression ambiante qui plus est, faciles et peu chers à fabriquer tout en étant mécaniquement et chimiquement robustes.

    « Nous vivons dans une société des semi-conducteurs, et avec ce type de technologie, vous pouvez amener la société dans une société supraconductrice où vous n'aurez plus jamais besoin de choses comme des batteries », déclare à ce sujet Ashkan Salamat de l'université du Nevada à Las VegasVegas, coauteur avec Ranga Dias, de l'université de Rochester, et d'autres collègues, d'un article qui s'annonce retentissant et que vient juste de publier le journal Nature.


    Cette vidéo explique simplement, en images animées avec l'aide de la « Petite Voix », ce qu'est le phénomène de supraconductivité et les propriétés des matériaux supraconducteurs : absence de résistance électrique, phénomène de lévitation... Une vidéo coréalisée avec L’Esprit Sorcier.© CEA Recherche

    Supraconductivité à température ambiante, la piste du sulfure d'hydrogène

    Les physiciensphysiciens y annoncent en effet avoir obtenu une phase supraconductrice dans un simple composé à base de sulfure d'hydrogènesulfure d'hydrogène H2S que l'on a mélangé avec du méthane CH4. Le record de température est battu puisque la température critique en dessous de laquelle on obtient cette phase, où l'électricité peut s'écouler sans résistancerésistance grâce à des effets quantiques, n'est que de 15 °C !

    Mais tout n'est pas rose pour autant car les pressions nécessaires pour obtenir la supraconductivitésupraconductivité sont de l'ordre de 2,6 millions d'atmosphèresatmosphères. Il ne s'agit donc pour le moment que d'une curiosité de laboratoire. On peut néanmoins penser que c'est un encouragement de plus pour aller sur la piste des supraconducteurs exotiquesexotiques qui permettraient les révolutions technologiques dont on a parlé précédemment.


    Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © University of Rochester

    Cet exploit n'est pas complètement une surprise et il donne effectivement des espoirs supplémentaires. Pour le comprendre, rappelons tout d'abord que la supraconductivité a été découverte il y a plus de 100 ans, le 8 avril 1911. Elle a fasciné bien des physiciens, comme Vitaly Ginzburg et Pierre-Gilles de Gennes, et a donné lieu à l'attribution de plusieurs prix Nobel comme celui de Lev Landau.

    Il se trouve qu'en 1935, un autre prix Nobel de physiquephysique d'origine hongroise, Eugene Wigner, avait sa fameuse prédiction de l'existence à hautes pressions d'une phase métallique de l'hydrogène, avec son collègue le physicien états-unien Hillard Bell Huntington. Dès la fin des années 1960, un célèbre physicien du solidesolide, le britannique Neil William Ashcroft, arrive à la conclusion que, non seulement l'hydrogène métallique était peut-être un supraconducteur, mais qu'il pouvait le rester dans des conditions de températures et de pressions ambiantes car étant métastablemétastable.

    Rappelons que le diamantdiamant est un exemple bien connu du phénomène de métastabilité car il s'obtient à partir du graphitegraphite porté initialement à de hautes pressions et des températures élevées, telles que celles régnant à plus de 150 kilomètres à l'intérieur de la Terre. Il reste cependant à l'état de diamant à la surface de la Terre même des milliards d'années après sa formation, à moins d'être à nouveau chauffé à hautes températures.


    En 1935, le physicien Eugene Wigner prédisait qu’en portant l’hydrogène à très hautes pressions, il serait possible de le transformer en métal. Plus de 80 ans ont passé et le défi de l’hydrogène métallique a été relevé. Paul Loubeyre (CEA), Florent Occelli (CEA) et Paul Dumas (Synchrotron Soleil) espéraient y parvenir... comme plusieurs autres équipes à travers le monde. Un reportage d’Olivier Boulanger datant de 2017. © universcience.tv

    En quête d'un supraconducteur métastable à température ambiante

    Une quête de ce graal qu'est l'hydrogène métallique supraconducteur à température ambiante a été engagée depuis une certain temps et, en ce début d'année 2020, une étape significative sur cette route avait été atteinte comme Futura l’expliquait dans un précédent article au sujet de l'annonce faite de la réussite d'une équipe française composée de Paul Loubeyre et Florent Occelli, deux chercheurs du CEA (Commissariat à l'Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives) et de Paul Dumas, chercheur émérite de l'Institut de ChimieChimie du CNRS, détaché au Synchrotron SoleilSoleil.

    Leurs résultats, également publiés dans le journal scientifique Nature, concernaient en effet l'obtention d'une phase métallique de l'hydrogène pour la première fois et d'une façon qui apparaît incontestable aux trois chercheurs. Dans son interview, Florent Occelli nous avait expliqué à l'époque que, d'une part, lui et ses collègues avaient obtenu de l'hydrogène moléculaire et pas encore vraiment l'hydrogène métallique mais qu'en plus, ils n'en étaient pas encore à montrer qu'il était supraconducteur.

    Quand nous lui avions demandé de confirmer qu'il existait bien des composés à base d'hydrogène qui sont supraconducteurs à hautes pressions, le physicien nous avait répondu : « Oui, comme le sulfure d'hydrogène (H2S) et notamment l'hydrure de lanthanelanthane (LaH10) mais ces composés ne sont pas métastables et ne restent donc pas supraconducteurs à pression ambiante. On a des raisons de penser qu'il faudrait au moins un composé binairebinaire avec l'hydrogène, c'est-à-dire des hydrures métalliques avec au moins deux types d'éléments métalliques associés aux atomesatomes d'hydrogène. C'est une voie de recherche actuellement explorée, d'autant plus que les hydrures déjà obtenus sont supraconducteurs à des pressions plus basses que celles de l'hydrogène métallique et qui sont aujourd'hui plutôt faciles à réaliser ».

    Les physiciens états-uniens ont procédé comme dans le cas de leurs collègues français pour faire leur découverte, justement avec un composé binaire de l'hydrogène qu'ils ont comprimé à l'aide d'une presse à enclume de diamants.


    La supraconductivité du sulfure d'hydrogène à 190 K pourrait s'expliquer

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 25/04/2015

    À haute pression, l'hydrogène devient métallique. L'ajout d'atomes de soufresoufre peut alors le transformer en matériaumatériau supraconducteur, une propriété que le sulfure d'hydrogène semblait conserver jusqu'à la température de 190 kelvinskelvins. Ce qui laissait penser qu'il contenait peut-être la clé de l'énigme des cupratescuprates. Mais ce n'est pas le cas...

    Il y a presque 30 ans, lorsque les premiers supraconducteurs à haute température critique ont été découverts, on espérait que les progrès allaient être rapides tant sur le plan théorique que sur le plan pratique en direction de création de matériaux supraconducteurs à température ambiante. Malheureusement, les supraconducteurs exotiques que sont les cuprates gardent toujours jalousement leurs secrets. On sait toutefois que, contrairement aux supraconducteurs conventionnels, les paires de Cooper qui s'y forment ne prennent pas naissance selon un mécanisme bien compris dans le cadre de la théorie BCS.

    Différentes stratégies sont en cours d'étude pour percer l'énigme des cuprates et on a entre-temps découvert d'autres types de supraconducteurs exotiques, comme ceux à fermions lourds. Le record de haute température attesté pour les cuprates est de 164 kelvins (K). Il faut toutefois exercer de hautes pressions pour obtenir ce résultat car, à pression ambiante, il n'est que de 133 K. Récemment, un groupe de chercheurs a obtenu un résultat intrigant en comprimant à 150 GPa du simple sulfure d’hydrogène (H2S).

    Dans ce réseau cubique de H<sub>3</sub>S, les atomes d'hydrogène (en mauve) oscillent et sont responsables de l'existence de quanta d'excitation, que l'on appelle des phonons. Ils sont responsables de l'apparition d'une phase supraconductrice dans ce solide cristallisé. © <em>Donostia International Physics Center</em>
    Dans ce réseau cubique de H3S, les atomes d'hydrogène (en mauve) oscillent et sont responsables de l'existence de quanta d'excitation, que l'on appelle des phonons. Ils sont responsables de l'apparition d'une phase supraconductrice dans ce solide cristallisé. © Donostia International Physics Center

    Le sulfure d'hydrogène imposerait des oscillateurs quantiques anharmoniques

    Les théoriciens se sont bien sûr tout de suite penchés sur la question. Il s'agit d'un système physique simple et des températures critiques aussi élevées ne se rencontrent d'ordinaire qu'avec des supraconducteurs qui ne sont pas décrits par la théorie BCS. Il pouvait donc s'agir d'une fenêtrefenêtre sur les mécanismes de la supraconductivité exotique. Mais une équipe internationale de chercheurs anglais, canadien, chinois, espagnol et français vient de publier sur arXiv un article qui suggère qu'il n'en est rien.

    Pour atteindre cette conclusion, les physiciens ont, comme il se doit, utilisé les lois de la physique quantique. Ils ont commencé par établir que le sulfure d'hydrogène perdait sa stabilité sous haute pression et que le H2S devenait soit un matériau à base de HS2 soit un solide cristallin à base de H3S formant un réseau cubique (les deux composés prennent en fait une forme métallique aux hautes pressions étudiées). Ils ont ensuite montré que cette dernière forme était bien capable d'exhiber une phase supraconductrice à haute température critique au-dessus de 200 GPa.

    Comme dans le cadre de la théorie BCS, les paires de Cooper se forment sous l'effet des interactions des électronsélectrons avec les phonons du réseau cristallinréseau cristallin, c'est-à-dire les analogues des photonsphotons pour les ondes sonoresondes sonores dans les réseaux des solides cristallisés. Mais, dans le cas présent, le simple modèle d'un oscillateur harmonique pour décrire de petites vibrationsvibrations des atomes d'hydrogène autour de leur position d'équilibre ne suffit plus. Il faut prendre en compte un modèle d'oscillateur plus complexe avec des vibrations qui sont dites anharmoniques.