6,5 sigmas, c'est bien au-dessus du seuil nécessaire dans les détecteurs pour faire la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs et c'est le seuil que des chercheurs australiens pensent avoir atteint en détectant un signal qu'ils attribuent à l'influence indirecte de particules de matière noire exotique en regardant avec une sorte de microscope électronique l'intérieur des protons. Il s'agirait de ce que l'on appelle des photons noirs. La prudence s'impose en attendant la confirmation par d'autres équipes de leur existence.

 


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    Cela n'est sans doute pas très connu mais dès les XIXe siècle et le tout début du XXe siècle, astronomesastronomes et physiciensphysiciens discutaient déjà de la question de savoir s'il existait dans l'Univers observable des masses de matière ne rayonnant pas, au contraire des étoiles, et dont la présence pouvait être inférée soit parce qu'elles bloquaient en absorbant la lumière des étoiles, soit par l'effet de leur gravitégravité sur le mouvementmouvement des étoiles. Il y a eu ainsi des travaux fascinants de Lord Kelvin et Henri Poincaré.

    Dès les années 1980, notamment en raison des travaux de Vera Rubin du point de vue observationnel, et théorique de James Peebles, la communauté des astronomes, cosmologistes et astrophysiciensastrophysiciens travaillait déjà sur le concept moderne de la matière noire telle qu'elle a surtout commencé à être connue du grand public au début des années 2000. Une des idées en vogue était d'expliquer cette matière noirematière noire par une toute petite masse que l'on pensait pouvoir attribuer aux neutrinosneutrinos du modèle standardmodèle standard de la physiquephysique des hautes énergiesénergies. Ils se sont avérés finalement trop légers mais l'hypothèse était raisonnable, d'autant plus que l'on sait qu'il existe un fond diffus de neutrinos, encore plus nombreux que les photonsphotons du rayonnement fossilerayonnement fossile et bien sûr que les protonsprotons, et de neutronsneutrons dans l'Univers observable.

    Une nouvelle physique au-delà du modèle standard

    Les extensions les plus simples du modèle standard impliquaient souvent des particules de matière noire avec les bonnes propriétés pour rendre compte des observations dans le monde des galaxiesgalaxies et des amas de galaxiesamas de galaxies. Hélas, la dernière décennie de la chasse aux particules de matière noire a été décevante et l'on se tourne maintenant vers des modèles de matière noire plus exotiqueexotique, voire même carrément vers une alternative consistant à modifier les lois de la mécanique céleste, la théorie Mond.

    Un dernier avataravatar des théories de la matière noire exotique fait partie de ce que l'on appelle « les théories des photons noirs », dark photons en anglais. Une équipe de physiciens australiens de l'Université d'Adelaide vient justement de publier un article que l'on peut trouver en accès libre sur arXiv à ce sujet.


    Une présentation des recherches au Jefferson Lab. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Jefferson Lab

    Si les chercheurs ont raison, ils ont découvert indirectement la présence des photons noirs en étudiant la façon dont se comportent des protons quand ils sont bombardés par des électronsélectrons à hautes énergies dont on se sert depuis longtemps pour en quelque sorte radiographier l’intérieur des protons au fameux Jefferson Laboratory, dans l'État de Virginie aux États-Unis.

    Les physiciens pensent que le signal de la présence de ces photons noirs atteint les 6,5 sigmas, ce qui veut dire dans le jargon scientifique qu'il y aurait moins d'une chance sur un million que le signal observé soit un effet du hasard. Il faut rester prudent quand même, ce ne serait pas la première fois que l'on détecte en science des signaux de ce niveau qui se sont révélés plus tard le produit d'une erreur cachée difficile à mettre en évidence au départ. Il suffit de citer à cet égard l'affaire des neutrinos transluminiques.

    Mais de quoi s'agit-il vraiment lorsque l'on parle de photons noirs qui seraient des particules de matière noire dans le travail des physiciens australiens ?

    Des cousins des photons du champ électromagnétique mais massifs

    Pour le comprendre, il faut explorer un peu la structure du modèle standard en physique des particules. Les forces y sont décrites par des champs qui sont les analogues des champs électromagnétiqueschamps électromagnétiques et par des équationséquations qui sont des analogues de celles de Maxwell, et que l'on appelle des équations de Yang-MillsYang-Mills. On peut alors introduire des analogues de la charge électrique et avec la mécanique quantiquemécanique quantique de nouvelles particules qui sont des cousins des photons.

    Surtout, les équations de Yang-Mills font intervenir ce que l'on appelle des groupes de Lie. Le champ électromagnétique est décrit avec le groupe que l'on appelle U(1), alors que le champ décrivant les forces nucléaires fortes entre les quarksquarks composant les protons et les neutrons est décrit par le groupe appelé SU(3) et la théorie dite de la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique. Souvent, les équations proposées pour aller au-delà du modèle standard introduisent d'autres groupes de Lie de la forme générale SU(n) ou encore SO(n) où n est un entier.

    On parle souvent d'une théorie unifiée des forces électromagnétiques et nucléaires faibles, le fameux modèle de Glashow-Salam-Weinberg. En fait, il ne s'agit pas vraiment d'une vraie unification. Il utilise deux groupes de Lie et deux « charges électriques ». Un premier ensemble d'équations avec une charge ressemble beaucoup aux équations de Maxwelléquations de Maxwell avec un champ que l'on va appeler B et un groupe de Lie qui est aussi U(1). Un second ensemble, avec la seconde charge fait aussi intervenir des équations de Yang Mills avec le groupe SU(2). On a alors un champ que l'on peut noter W.

    L'ensemble est complété par le champ du fameux boson de Brout-Englert-Higgs qui sert à donner des masses à certaines particules de la théorie électrofaiblethéorie électrofaible. Mais dans des réactions à très haute énergie ou dans un gazgaz de toutes ces particules à très haute température pendant le Big BangBig Bang, le champ BEH s'annule et les masses des particules interagissant avec ce champ s'annulent aussi.

    Après le Big Bang, à basses énergie et température, en même temps que les masses des particules étaient apparues, les champs W et B se sont mélangés pour donner le champ électromagnétique que l'on connaît sous la forme de ce que les physiciens appellent le potentiel vecteur A, mais aussi un champ Z et d'autres avatars du champ W. Les champs Z et A sont ceux des bosonsbosons Z et des photons, alors que pour les nouveaux champs W on a des bosons chargés, W+ et W-.


    En 1982, au Cern, une équipe de physiciens, dirigée par l’Italien Carlo Rubbia, réalise une des plus extraordinaires expériences de la physique contemporaine. L'objectif est de prouver l'existence de deux nouvelles particules subatomiques, les bosons W et Z, et de confirmer ainsi la théorie électrofaible proposée dans les années 1960 par Abdus Salam, Shelton Glashow et Steven Weinberg. © Cern, BBC Open University, YouTube

    Des anomalies dans les expériences de physique des particules

    Les photons noirs seraient les particules d'un autre champ avec un groupe U(1) issu d'une théorie unifiée plus large que celle du modèle électrofaible, comme la théorie des supercordesthéorie des supercordes, par exemple, et qui n'interagit pas ou peu avec les autres particules en dehors de la force de gravitationforce de gravitation et pas ou peu avec le champ électromagnétique, ce qui est une autre façon de dire que les photons noirs n'émettent pas ou très peu de photons classiques.

    Pour jouer le rôle de la matière noire ces photons doivent être massifs et très stables, suffisamment pour ne pas s'être désintégrés depuis le Big Bang où ils auraient été produits. Néanmoins, ils peuvent être émis et absorbés comme des photons classiques dans certaines conditions.

    Les chercheurs australiens ont utilisé les conclusions d'un modèle de photons noirs où le champ A' de ces photons se mélange au champ B du modèle électrofaible. Au final, dans une expérience de collisions entre des électrons et des protons, les quarks et les électrons ressentent l'équivalent d'une nouvelle force électrique qui influe sur la façon dont la collision se produit.

    En fait, c'est un peu comme si on regardait avec un très puissant microscope électroniquemicroscope électronique l'intérieur d'un électron et que l'image obtenue était différente que celle attendue avec uniquement des forces électriques ordinaires.

    Reste à voir si d'autres expériences vont aussi mettre en évidence l'existence des photons noirs. C’est peut-être déjà le cas avec la fameuse anomalie du moment magnétique des muons.