Lors de la fusion de deux étoiles à neutrons les pressions et les températures atteintes pourraient conduire les quarks et les gluons confinés dans les protons et les neutrons à se transformer en un plasma appelé parfois quagma. Cette transition de phase produirait des ondes gravitationnelles caractéristiques prouvant son occurrence.


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    L'Univers observable est un laboratoire de physique des hautes énergies où la nature mène en quelque sorte pour nous des expériences que nous ne pouvons pas mener sur Terre ou difficilement. Cela fait, par exemple, des décennies que les astrophysiciensastrophysiciens relativistes échangent des idées avec les physiciensphysiciens nucléaires pour mieux comprendre tout à la fois la physique des étoiles à neutrons et celle des noyaux sur Terre dans des conditions de températures et de pressions extrêmes qui régnaient aussi au moment du Big BangBig Bang.

    Pour ces chercheurs, l'ouverture de l'ère de l'astronomie gravitationnelle, avec la détection directe sur Terre des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles par les membres des collaborations LigoLigo et VirgoVirgo, a été une formidable nouvelle. Leur excitation a sans doute été à son comble quand ces mêmes membres ont annoncé la détection de la source GW170817, car il est rapidement devenu clair qu'il s'agissait d'une collision d'étoiles à neutrons produisant une kilonova.

    Des kilonovae aux quarks

    En effet, ces astresastres sont transparentstransparents aux ondes gravitationnelles qu'ils émettent, elles portent codées en elles de nombreuses informations sur leur structure et leur composition. Extrêmement compacts, d'un diamètre de quelques dizaines de kilomètres, ils sont si denses qu'une cuillerée à café de leur matièrematière peut peser jusqu'à un milliard de tonnes environ. Pour les décrire on doit donc aussi bien utiliser les équationséquations de la relativité généralerelativité générale et des modèles d'astrophysiqueastrophysique relativiste - on peut les trouver dans le fameux ouvrage Gravitation que le prix Nobel de physique Kip Thorne avait coécrit et publié en 1973 avec ses collègues John Wheeler et Charles Misner - que des modèles décrivant ce que l'on appelle l'équation d'état de la matièreétat de la matière nucléaire. Les étoiles à neutrons deviennent alors une sorte de banc d'essai où tester la théorie de la relativité générale d’Einstein et obtenir des précisions sur l'équation d'état de la matière nucléaire et la physique qui la détermine.


    La saga de la détection de GW170817. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Science vs Cinema

    En l'occurrence, cette physique repose sur la théorie des quarks proposée indépendamment par George Zweig et Murray Gell-Mann en 1964. Cette théorie a ensuite été complétée au début des années 1970 par Gell-Mann et Harald Fritzsch, alors que les données expérimentales commençaient à fournir des preuves incontestables de la structure en quarksquarks des protonsprotons et des neutrons en particulier, et plus généralement de ce que l'on appelle des hadronshadrons. En effet, en 1972, les deux physiciens ont fini par découvrir les équations de la QCD (la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique) qui gouverne les forces nucléaires entre les quarks en introduisant des cousins du photonphoton, les gluonsgluons.

    L'année suivante, en 1973, Gross, Politzer et Wilczek découvrent aussi la liberté asymptotique découlant de ces équations et impliquant que les forces entre quarks ne font qu'augmenter si l'on essaie de les séparer, tant et si bien que l'énergie utilisée pour tenter de le faire provoque la formation de nouveaux quarks qui se lient rapidement en donnant des hadrons.

    Cela va mettre fin aux doutes sur la théorie des quarks car, curieusement dans les expériences, ces nouvelles particules ne pouvaient pas être isolées ni observées séparément comme c'est le cas pour les composants des atomesatomes, électronsélectrons et nucléonsnucléons. Les collisions d'hadrons, supposés être formés de quarks, ne donnaient jamais que des hadrons.


    Une présentation du quagma. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Fermilab

    Des quarks et des gluons confinés dans des hadrons

    Toutefois, la QCD nous dit aussi que dans un gazgaz de protons et de neutrons comprimé et porté à une température 100.000 fois plus élevée que celle régnant à l'intérieur du SoleilSoleil, ces nucléons vont tout de même « fondre ». Le résultat sera un liquideliquide ultradense dans lequel les quarks et les gluons se comporteront comme s'ils étaient libres. Mais dès que la température va descendre en dessous d'environ mille milliards de degrés, ce plasma de quarks-gluons, parfois appelé quagma ou encore QGP, se condensera en une myriademyriade d'hadrons généralement instables, au sein desquels quarks et gluons seront à nouveau confinés.

    Les physiciens étudient depuis quelques décennies ce quagma dont ils ont démontré l'existence, notamment dans des expériences menées au Cern avec le LHC. Ils peuvent de cette façon remonter à une période de l'histoire de l'Univers observable où celui-ci était âgé de moins d'un millionième de seconde. Cette phase de la matière n'a pas encore livré tous ses secrets et elle devrait permettre de remonter plus loin dans le passé du CosmosCosmos. On compte justement sur l'étude des étoiles à neutrons pour cela.


    Cette simulation montre la densité de la matière ordinaire (principalement des neutrons) en rouge-jaune. Peu de temps après la fusion des deux étoiles, le centre extrêmement dense devient vert, représentant la formation du plasma quark-gluon. © Lukas R. Weih & Luciano Rezzolla (2019)

    Aujourd'hui, un groupe de physiciens de l'université Goethe de Francfort et du Frankfurt Institute for Advanced Studies vient de publier un article dans Physical Review Letters, que l'on peut consulter sur arXiv, dans lequel ils annoncent avoir obtenu un résultat intéressant concernant justement le quagma et les étoiles à neutrons en utilisant des superordinateurssuperordinateurs.

    En effet, les chercheurs ont simulé non seulement la fusionfusion d'étoiles à neutrons et le produit de la fusion pour explorer les conditions dans lesquelles une transition de phasetransition de phase des hadrons pouvait mener à un plasma de quarks-gluons, mais aussi comment ce phénomène pourrait affecter l'émissionémission d'ondes gravitationnelles, accompagnant la fusion des deux astres compacts au point d'y laisser une signature.

    Les résultats obtenus ont été présentés en ces termes par l'un des auteurs de l'article, le professeur Luciano Rezzolla de l'université Goethe : « Par rapport aux simulations précédentes, nous avons découvert une nouvelle signature dans les ondes gravitationnelles qui est nettement plus claire à détecter. Si cette signature se produit dans les ondes gravitationnelles que nous recevrons des futures fusions d'étoiles à neutrons, nous aurons une preuve claire de la création du plasma de quarks-gluons dans l'Univers actuel ».