Les théories en vigueur estimaient jusque-là qu’une partie de la population humaine avait progressivement perdu sa peau noire durant les migrations depuis l’Afrique, en remontant vers des contrées où le soleil frappe moins fort. Elles sont toujours admises, mais d’autres paramètres, moins évidents, pourraient expliquer la clarté de la peau des Européens, qui s’est amplifiée ces 5.000 dernières années.

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    Voilà environ 200.000 ans, Homo sapiens apparaissait en Afrique, recouvert d'une peau noire. Cette caractéristique cutanée, due à la production de mélaninemélanine par les cellules spécialisées, semble indispensable dans cette région du monde où le soleil sévit durement, car elle limite les risques de cancers de la peau. Après bien des millénaires, il y a environ 50.000 ans, certaines populations ont commencé à quitter le continent noir et à remonter vers le Moyen-Orient, carrefour incontournable de l'Europe et de l'Asie.

    En remontant vers des territoires plus au nord, la force de frappe du soleil diminue. La noirceur de la peau se révèle moins utile et peut même devenir contraignante sous des latitudeslatitudes plus élevées. Car le rayonnement solairerayonnement solaire permet la synthèse de vitamine D, en complément des apports alimentaires. Arborer une peau plus claire dans des climatsclimats plus rudes revêt donc un avantage, soumis à la sélection naturellesélection naturelle.

    Le scénario semble linéaire... mais ne colle pas parfaitement avec les découvertes récentes. Une recherche portugaise menée en 2012 sous-entendait que les processus de sélection se sont opérés des dizaines de milliers d'années après la sortie de l'Afrique. Un peu tard pour que le manque de soleil soit le seul facteur mis en cause. En janvier dernier, l'étude du squelette d'un chasseur-cueilleur ayant vécu dans l'actuelle Espagne il y a 7.000 ans révélait qu'il portait les gènesgènes lui conférant une peau plus mate que celle des Méditerranéens actuels, suggérant qu'en certains points du globe au moins, l'épidermeépiderme se serait encore éclairci depuis cette époque.

    Le teint de plus en plus pâle

    Une équipe de chercheurs dirigée par Mark Thomas, de l'University College de Londres, a entrepris de creuser la question en extrayant de l'ADNADN de 63 squelettes retrouvés dans l'actuelle Ukraine. Seuls 48 d'entre eux, datés de 6.500 à 4.000 ans par rapport au présent, ont pu fournir les séquences complètes de trois gènes particuliers, liés à la couleur de la peau, des yeuxyeux et des cheveux, afin d'étudier les différents variants. Tyr est impliqué dans la synthèse de mélanine, Slc45a2 intervient dans le contrôle de la distribution des enzymes produisant des pigments à travers la cellule, tandis que Herc2 joue un rôle primordial dans la couleur de l’iris des yeux.

    Les yeux bleus seraient apparus après une mutation spontanée il y a quelques millénaires, et le caractère, jugé attirant, se serait répandu dans diverses régions du monde. © Garretttaggs55, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Les yeux bleus seraient apparus après une mutation spontanée il y a quelques millénaires, et le caractère, jugé attirant, se serait répandu dans diverses régions du monde. © Garretttaggs55, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Dans les Pnas, ces données ont été comparées à celles obtenues sur 60 Ukrainiens modernes, ainsi que sur 246 séquences émanant de populations vivant dans les alentours. Les analyses révèlent que la fréquence des allèlesallèles liés à des peaux ou des cheveux plus clairs a nettement augmenté depuis cette époque. À titre indicatif, les Ukrainiens d'aujourd'hui possèdent huit fois plus de variants Tyr associés à une peau claire et quatre fois plus d'allèles corrélés aux yeux bleus que ceux qui les ont précédés de quelques millénaires. Les Africains, eux, n'en présentent aucun. De tels résultats suggèrent donc que les actuels occupants de l'Ukraine ont le teint plus pâle encore que leurs ancêtres.

    Alimentation et séduction, le secret de la sélection des peaux claires

    Impact des seules mutations aléatoires ou d'une sélection positive de ces gènes ? Des simulations informatiquessimulations informatiques expressément conçues pour distinguer les deux aspects ont permis de conclure. En prenant en compte la taille des populations de l'époque et les taux d'altérations géniquesgéniques, les auteurs ont montré que ces variants ont subi une pression de sélection très importante il y a 5.000 ans, aussi forte que ceux qui permettent de digérer le lactoselactose ou de résister au paludismepaludisme. L'évolution de la couleurcouleur de la peau n'aurait pas été constante.

    Cela amène les scientifiques à une autre question : pourquoi un tel processus de sélection naturelle des dizaines de milliers d'années après la sortie d'Afrique ? Les auteurs émettent deux hypothèses distinctes. D'abord, étant donnée la chronologie des événements, ils supposent que ces populations anciennes constituaient les premiers groupes d'agriculteurs. Leur nourriture nouvelle, à base de céréales notamment, était bien moins riche en vitamine D que celles des chasseurs-cueilleurschasseurs-cueilleurs, leurs ancêtres, qui profitaient des bienfaits du poissonpoisson ou du foiefoie des animaux. D'où l'intérêt d'augmenter la production de cette vitamine indispensable par la peau.

    Pourquoi des yeux bleus et des cheveux blonds ? Ces deux critères ne peuvent être liés au régime alimentaire. Les auteurs y voient l'œuvre de la sélection sexuelle, les personnes présentant ces caractéristiques se révélant plus désirables. Leurs particularités physiquesphysiques les rendaient originales et plus séduisantes. Même les guppys, de petits poissons, sont attirés par ce qui sort du lot...