Sur Titan, la sonde Cassini fait de l'océanographie. En scrutant au radar les profondeurs d'une mer d'hydrocarbures, elle en a déterminé la nature - du méthane, et non de l'éthane, comme on l'a longtemps cru -, mesuré la profondeur - plus grande que prévu - et analysé les sédiments, faits de matière organique. Et sur la côte, les terrains sont curieusement « humides » (humides au sens de Titan, bien sûr).
Grâce à la sonde Cassini, dépêchée autour de Saturne depuis bientôt 12 ans pour enquêter sur la planète géante, ses célèbres anneaux, ses nombreuses lunes et aussi son environnement, à plus de 1,3 milliard de kilomètres du Soleil, les chercheurs ont pu faire plus ample connaissance avec Titan (5.150 km de diamètre), le plus grand de tous ses satellites.
C'est un monde étrange qui partage plusieurs traits communs avec la Terre et suscite depuis plusieurs décennies, de par la chimie qui s'y opère, une attention toute particulière des exobiologistes. D'abord, il possède à l'instar de notre Planète bleue, une épaisse atmosphère riche en azote (95 % contre 78 % pour la Terre). Plus bas, sous son enveloppe opaque et brumeuse, Cassini a révélé des reliefs familiers comme des montagnes, des dunes, des mers, des lacs, des rivières... mais à la différence notable qu'il y fait très froid : -180 °C en moyenne. Dans ces conditions et avec la pression qui règne, il est bien sûr inutile d'espérer un cycle de l'eau, laquelle est là-bas une roche dure. Sur Titan, c'est le méthane à l'état liquide qui en a repris le rôle, au gré des saisons de 7,5 ans.
Du méthane plutôt que de l’éthane
Comme l'ont révélé les survols successifs de Cassini (le 119e est programmé pour le 6 mai), des mers et une myriade de petits lacs constellent la surface de Titan, principalement dans son hémisphère nord, à l'exception d'un seul. Ces réservoirs liquides couvrent quelque 1,6 million de kilomètres carrés, soit environ 2 % de la totalité du globe. C'est dans la région du pôle nord que se situent les trois plus grandes mers : Kraken Mare, Ligeia Mare et Punga Mare, respectivement 1.170 km, 500 et 380 km de diamètre.
C'est en étudiant Ligeia Mare avec le radar de la sonde qu'une équipe dirigée par Marco Mastrogiuseppe de l'université Cornell à Ithaca, a réussi à déterminer, en 2014, la composition du liquide qui remplit cette mer : essentiellement du méthane. Le résultat avait quelque peu surpris mais dans une nouvelle étude qui vient de paraître dans le Journal of Geophysical Research : Planets et à laquelle le chercheur fut associé, la présence abondante de méthane est confirmée.
« Avant Cassini, nous nous attendions à ce que Ligeia Mare soit surtout faite d'éthane, commente Alice Le Gall, chercheuse au Latmos et membre de l'équipe du radar, car il est produit en abondance dans l'atmosphère par le rayonnement solaire qui brise les molécules de méthane. Au lieu de cela, cette mer est principalement composée de méthane pur. »
Comment l'expliquer ? Pour l'auteure principale de l'article, il est possible que Ligeia Mare soit « réapprovisionnée par des pluies fraîches de méthane, ou que quelque chose en retire l'éthane ». Il est possible qu'il s'accumule au fond du lac ou encore qu'il rejoigne la grande voisine Kraken Mare, ce qui demande à être vérifié.
Océanographie extraterrestre
Lors de survols en 2013, une expérience avec le radar permit de sonder les abysses de Ligeia Mare. L'évènement est remarquable : c'est la première fois que l'on mesure la profondeur d'une mer sur un autre monde. Résultats surprenants : elle atteint 160 mètres et abrite un sédiment intéressant. Tout au fond, « nous avons trouvé [qu'elle] est probablement recouverte d'une couche de boue riche en matière organique » indique Alice Le Gall.
Son origine est à chercher dans la dense atmosphère orangée, riche en azote et d'un peu de méthane. Les molécules les plus lourdes pleuvent probablement sur le sol et dans les lacs où ils s'y retrouvent aussi drainés par les rivières. Finalement, seuls coulent vers le fond les composés insolubles dans le méthane liquide comme le benzène et les nitriles (des molécules où le carbone et l'azote sont liés par une triple liaison, comme dans le cyanure d'hydrogène). Ils s'y entassent pour former cette vase d'hydrocarbures.
L'analyse des données du radar entre 2007 et 2015, alors que l'hémisphère nord de Titan passait progressivement de l'hiver au printemps, suggère que le littoral de Ligeia Mare n'est pas net. Il apparaît au contraire poreux et inondé. En outre, la température de la mer et des territoires qui la bordent est restée sensiblement la même tout au long de cette période, ce qui suggère que toutes ces régions sont « humides », c'est-à-dire, sur Titan, imbibées d'hydrocarbures.
« C'est un merveilleux exploit de l'exploration que faire de l'océanographie extraterrestre sur une lune lointaine, a salué Steve Wall, chef adjoint de l'équipe du radar au JPL. Titan ne cessera jamais de nous surprendre. »