Face à la menace imminente d'un impact d'une comète géante, la survie de l'humanité serait en jeu. Dans un nouvel article, Jean-Marc Salotti analyse les défis complexes et les enjeux cruciaux liés à la construction d'abris capables d'assurer la survie à long terme après une catastrophe cosmique majeure. Une réflexion essentielle sur la possibilité et les conditions de survie en cas d'apocalypse venant du ciel. Interview avec ce spécialiste renommé.
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En juin 2022, Jean-Marc Salotti, Professeur à l'École nationale supérieure de cognitique, Bordeaux INP, et membre de l'Académie internationale d’astronautique ainsi que de l'association Planète Mars, a publié un article portant sur le risque d'extinction de l'humanité suite à l'impact potentiel d'un objet céleste géant. L'auteur, spécialisé dans ce domaine, a poursuivi ses recherches en se concentrant sur les capacités de survie de l'espèceespèce humaine dans un tel scénario.
Cette question est d'une grande complexité, notamment en raison de la difficulté à déterminer la durée maximale de survie dans de telles circonstances. Elle contribue aussi à élargir notre compréhension des enjeux liés à la survie de l'humanité en cas de catastrophe cosmique majeure, soulignant la nécessité d'explorer et de comprendre les multiples aspects impliqués dans de telles situations critiques.
Dans son nouvel article, publié récemment dans la revue Acta Astroanutica, Jean-Marc Salotti se penche spécifiquement sur les capacités de survie de l'humanité après l'impact d'une comète géante de longue période. Ces comètes, qui proviennent du nuage de Oortnuage de Oort, sont sur des orbites instables et il est relativement courant pour l'une d'entre elles de s'approcher du Système solaire interne et, potentiellement, d'être sur une trajectoire de collision avec la Terre. En revanche, elles sont détectées très tard, généralement seulement lorsqu'elles s'approchent de l'orbite de la planète NeptuneNeptune, environ cinq ans avant un impact potentiel.
“Elles sont détectées très tard, généralement seulement lorsqu'elles s'approchent de l'orbite de la planète Neptune, environ cinq ans avant un impact potentiel”
L'étude de Jean-Marc Salotti met l'accent sur les conséquences de l'impact et les conditions environnementales qui en résulteraient, entraînant une stérilisation complète et donc l'anéantissement de toutes les espèces animales et végétales terrestres, même microscopiques. Elle propose une classification des abris en fonction de leur capacité à assurer une survie à long terme.
L'article souligne la complexité de la situation, mettant en avant le fait que la survie dépend à la fois de l'énergieénergie libérée lors de l'impact et de la durée de l'hiverhiver sans soleilsoleil, communément appelé « hiver nucléairehiver nucléaire ». Il insiste sur les défis et les contraintes à relever dans la constructionconstruction d'abris complets capables d'assurer la survie de l'humanité pendant une période pouvant aller de plusieurs décennies à plus d'un siècle, en cas d'impact majeur d'une comète géante. En conclusion, l'étude tente de répondre à la question de savoir s'il est possible de survivre et, dans l'affirmative, dans quelles conditions. L'article est en accès libre sur Science Direct.
Pour compléter et enrichir l'article, Jean-Marc Salotti répond à nos questions tout en apportant des éclaircissements sur certains points.
Futura : Quel est l'intérêt scientifique et politique de ce type d'article, notamment en matière d'alerte, de lancement de programmes, d'identification et de protection des lieux pouvant servir d'abris ?
Jean-Marc Salotti : Du point de vue scientifique, cet article apporte des éléments de réponse à la question du risque d'annihilation de l'humanité si une comète géante de longue période était soudainement détectée et qu'une collision avec la Terre était prédite. Cette étude permet notamment de mieux comprendre le contexte de la survie dans des abris souterrains, les problèmes auxquels il faudrait faire face et les causes potentielles de la fin de l'humanité. Du point de vue politique, aucune recommandation explicite n'est formulée. Il est théoriquement possible de construire et tester de gigantesques abris souterrains, mais le coût de ces tests, à mener sur plusieurs décennies, paraît rédhibitoire. Pour préserver l'humanité, une alternative, qui nécessite un engagement politique fort, est d'établir des bases permanentes et autonomes sur d'autres planètes de façon préventive, donc sans attendre la détection d'une comète géante, car il serait trop tard.
Futura : Est-il juste de penser que nous ne disposons actuellement pas de programmes de surveillance terrestres ou spatiaux suffisamment avancés pour détecter des menaces potentielles avec plus de cinq ans d'avance ?
Jean-Marc Salotti : Malheureusement, les télescopestélescopes terrestres les plus puissants ne peuvent détecter les objets célestes de 100 kilomètres de diamètre que s'ils sont assez proches, à peu près à hauteur de la planète Neptune. D'ailleurs, une étude relativement récente suggère qu'il existe des milliers d'astéroïdesastéroïdes de cette taille dans la ceinture de Kuiperceinture de Kuiper, donc un peu plus loin que Neptune, mais qu'ils n'ont pas été détectés en raison de la faiblesse de leur lumièrelumière. Si on voulait répertorier ces astéroïdes de manière exhaustive, il faudrait envoyer des milliers de sondes équipées de télescopes, et quadriller le ciel prendrait des décennies, ce qui serait fastidieux et terriblement coûteux. Pour les comètes géantes de longue période, dont la population dans le nuage de Oort est elle aussi estimée à plusieurs milliers, ce serait encore plus compliqué de les détecter longtemps à l'avance car elles viennent de beaucoup plus loin, et même si on les détectait à hauteur de la ceinture de Kuiper, on aurait 9 à 10 ans de temps d'alerte au lieu de 5, ce qui serait mieux, mais toujours insuffisant pour construire et tester correctement des abris souterrains.
Futura : Existe-t-il des projets en cours visant à développer des systèmes de surveillance extrêmement précis dans le domaine de la détection des objets en provenance de l’espace lointain ?
Jean-Marc Salotti : Oui, le programme Pan-Starrs, par exemple, qui a permis de détecter de gros astéroïdes de la ceinture de Kuiper dans une petite zone du ciel. Ces observations ont permis justement d'estimer le nombre de gros astéroïdes par extrapolation, en posant l'hypothèse que leur répartition était relativement homogène. Mais ce genre de programmes est insuffisant pour répertorier les astéroïdes qui ont un albedo faible ou qui sont un peu plus loin que les autres. Quant aux comètes de longue période, comme je l'ai indiqué, elles n'apparaîtront qu'au dernier moment.
Illustration de la probabilité de survie pour différentes catégories d'abris. © Droits réservés
Futura : Quel est le niveau de maturité actuel des technologies requises pour concevoir des abris de très longue durée, en se référant à l'échelle TRL ?
Jean-Marc Salotti : Ces abris comporteraient un grand nombre de systèmes différents pour gérer l'airair, l'énergie, la production de nourriture, la santé, et la fabrication d'objets divers. Chaque système est à un niveau TRL élevé pour fonctionner quelques années, mais le problème est de tenir potentiellement plusieurs décennies, en changeant ou réparant les pièces défectueuses. Dans ce cas, je pense qu'on est à un TRL de faisabilité de niveau 3, car il est difficile de savoir à l'avance ce qui va dysfonctionner et comment il faut prévoir la maintenance et les réparations.
Futura : D'ici combien d'années l'humanité pourrait-elle être en mesure, sur le plan technologique, de construire des abris de très longue durée dans un délai de seulement cinq ans ?
Jean-Marc Salotti : Je pense que l'humanité pourrait tester et valider ces technologies lors de l'établissement de bases permanentes sur la Lune ou Mars. Donc pas avant une cinquantaine d'années, et encore, car il n'est pas certain que la validation sur ces corps célestes soit transposable au contexte environnemental d'un impact cataclysmique. Il est même presque certain que ce serait plus compliqué de survivre sur Terre que sur Mars s'il n'était pas possible d'exploiter l'énergie solaire.
Futura : Devrions-nous envisager le financement de programmes exploratoires pour la réalisation de ce type d’abris ?
Jean-Marc Salotti : Je n'en suis pas sûr. En revanche, c'est une raison supplémentaire pour promouvoir la conquête spatiale.
Futura : Faut-il sanctuariser des sites naturels qui pourraient servir d’abri ?
Jean-Marc Salotti : Oui, c'est une bonne idée. Il faudrait en particulier étudier et répertorier les grandes cavités comportant un important réservoir d'eau souterrain. Les contraintes à respecter sont nombreuses, par exemple l'existence de parois solidessolides qui ne risquent pas de se fracturer en cas de tremblement de terretremblement de terre, mais la présence d'eau présente un avantage certain, car c'est très probablement l'élément le plus important de la survie. Et les besoins sont gigantesques, car on pourrait exploiter l'eau pour de multiples usages, y compris la régulation thermique d'une mini-centrale nucléairecentrale nucléaire.
Futura : À mesure que le temps passe, l'humanité continuera à étendre sa colonisation dans le Système solaire. En conséquence, pourrait-on affirmer qu'en cas de menace imminente sur Terre dans un siècle, la meilleure solution serait d'accélérer la présence humaine au-delà de la planète, où les chances de survie de notre espèce seraient potentiellement supérieures à celles dans des abris terrestres ou des réserves fermées ?
Jean-Marc Salotti : Oui, c'est une des conclusions que l'on peut tirer de cette étude. Et il n'y a pas que l'espèce humaine, car tous les organismes vivants terrestres seraient menacés d'extinction. L'autre conclusion est que l'humanité pourrait être plus résiliente que prévu, car il paraît possible de tenir une trentaine d'années dans les abris d'accumulation. Autrement dit, contrairement à ce que d'autres études suggèrent, il n'est pas certain que l'impact d'une comète de 100 kilomètres de diamètre soit assez énergétique pour annihiler l'humanité. Une comète un peu plus grosse, ou animée d'une vélocitévélocité plus importante, pourrait être requise.