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« Système nerveux entériqueentérique » : c'est ainsi que les physiologistes nomment cet énorme ensemble de neurones entourant le système digestif (« il y en a autant que dans le cerveau de mon chienchien » affirme Michael Schemann, de l'université de Munich). Longtemps, il a été considéré comme un système de contrôle automatique des mouvementsmouvements péristaltiques mais, depuis une vingtaine d'années, les découvertes s'accumulent pour en faire un « deuxième cerveau », selon l'expression de Michael Gershon, pionnier dans ce domaine. « Je dirais que c'est plutôt lui le premier cerveau car il est apparu chez les tout premiers animaux » estime Michel Neunlist, de l'Inserm de Nantes.
Le documentaire de Cécile Denjean, qui sera présenté ce soir au festival Pariscience et qu'Arte a déjà diffusé, laisse parler ces spécialistes du sujet en Allemagne, en Chine, aux États-Unis et en France. Jamais le film ne montre de scènes difficiles à supporter pour le profane. « Je ne voulais pas d'images de coloscopie ! » résume la réalisatrice. Elle a eu l'heureuse idée de projeter des images sur des corps humains pour évoquer l'intérieur depuis l'extérieur. Ce parti pris esthétique rend le documentaire agréable à regarder, sans que soit affecté le niveau scientifique.
Le ventre contient autant de neurones que le cerveau d’un chien et bien plus de bactéries que l'organisme entier ne comporte de cellules. Il reçoit du cerveau des informations via le nerf vague mais l’influence, en retour, par des molécules. Son fonctionnement reste en grande partie mystérieux car, comme le dit l’un des spécialistes interrogés : « Pour le moment, on n’y comprend pas grand-chose. » © Arte France - Inserm – Scientifilms - 2013
Des découvertes étonnantes attendent d'ailleurs le spectateur. Les travaux de l'équipe de Nantes, par exemple, ont montré que les neurones entériques prélevés sur des patients atteints de la maladie de Parkinson présentaient les mêmes anomalies que les neurones du cerveau (une information relayée à l'époque par Futura-Sciences qui avait interrogé Pascal Derkinderen)). Résultat en forme de questions: une biopsie permettrait-elle un diagnosticdiagnostic précoce ? Des maladies neurodégénérativesmaladies neurodégénératives, comme AlzheimerAlzheimer, pourraient-elles être ainsi repérées ?
L'encéphale et le «cerveau intestinal» s'influencent mutuellement
Les chercheurs ne cessent de découvrir des liens entre le « cerveau du haut » et le « cerveau du bas », comme le dit le commentaire du film. Le nerf vaguenerf vague est connu, la sérotoninesérotonine moins. Secrétée par le tube digestiftube digestif, où elle sert à réguler le transittransit et travaille pour le système immunitairesystème immunitaire, cette hormonehormone affecte le cerveau, où elle devient la moléculemolécule du bien-être. Les liaisons sont donc à double sens.
En témoigne cette stupéfiante expérience sur des souris, que Futura-Sciences n'avait pas manqué de relater et qui montre que la flore intestinaleflore intestinale modifie le comportement de l’animal. Et chez l'Homme ? Une étude de l'effet provoqué sur des femmes par les probiotiquesprobiotiques, des bactériesbactéries censément bénéfiques, va dans ce sens. Sommes-nous téléguidés par nos bactéries ? Pour les scientifiques interrogés, ce ne serait pas si étonnant puisque des parasitesparasites sont connus pour ce genre d'exploit. Ce « microbiote », étudié depuis quelques années, garde encore ses mystères et abrite sans doute bien des pistes thérapeutiques, par exemple dans la lutte contre l'obésitéobésité. L'industrie agroalimentaire s'est emparée du sujet, investissant en particulier dans les probiotiques. Malheureusement, dans le secret des laboratoires privés, les recettes ne sont pas communiquées et on ne voit pas très bien comment la recette pourrait fonctionner ni quels pourraient être les effets secondaires. D'autant que la complexité de cet écosystèmeécosystème est astronomique : comme le résume une phrase du film, « il y a mille fois plus de bactéries dans notre tube digestif que d'étoilesétoiles dans notre galaxiegalaxie ».
Pour éclairer le spectateur, Cécile Denjean et son équipe ont fait le tour de la planète, pour interroger en France le paléoanthropologue Pascal Picq, qui raconte l'importance de la digestiondigestion dans l'histoire de l'humanité ou Bo Zhiyun, en Chine, au sujet de sa méthode d'acupunctureacupuncture abdominale. En Allemagne, elle est invitée à la table de Michael Schemann, qui lui a fait déguster des saucisses pour expliquer qu'il y a là, dans la peau, des neurones faciles à trouver. Pour ce physiologiste, le syndrome de l'intestin irritablesyndrome de l'intestin irritable pourrait bien avoir son origine de ce côté. « Les chercheurs sont des gens agréables, rapporte la réalisatrice. Ils sont passionnés, ils ont l'œilœil qui pétille ! J'ai voulu les faire parler et les faire sortir de leur jargon. » Mission réussie.