La cinquième édition du Dry January s'ouvre et nous invite à modérer notre consommation d'alcool. À quoi sert-il de mieux la maîtriser et de s'engager à relever « le Défi de janvier » ? Une telle campagne de sensibilisation, qui ne reçoit pas le soutien de l'État au grand dam des médecins, doit nous alerter sur nos consommations quotidiennes que ne se sont pas si anodines comme l'explique ce spécialiste des addictologies.


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    C'est un concept venu du Royaume-Uni mais qui prend de l'ampleur en France ces dernières années. Le Dry January revient dès le 1er janvier pour une cinquième édition. Porté par une soixantaine d'associations, sociétés savantes et collectivités, mais sans le soutien de l'État, le « Défi de janvier » invite les Français à ne pas boire d'alcoolalcool durant le mois de janvier. Ce défi, alors que la consommation d'alcool est largement ancrée dans les habitudes des Français, consiste en une « véritable campagne de santé publique » pour ses organisateurs. Dont le Professeur Amine Benyamina, chef du service de psychiatrie et d'addictologie de l'hôpital Paul-Brousse à Villejuif, président de la Fédération française d'addictologie et du Fonds Addict'Aide, parmi les organisateurs du défi.

     

    Pourquoi proposer aux Français à ne pas boire d’alcool en janvier lors du Dry January ?

    Pr. Amine Benyamina : Désormais en France, on ne parle plus de Dry january, mais du « Défi de janvier ». « Janvier sec » ne voulant pas dire grand-chose, le terme de défi respecte davantage l'esprit dans lequel la campagne inter-associative engage les Français à se poser des questions sur leur consommation d’alcool, une fois par an, au mois de janvier. On se lance un défi, c'est ludique et sans pressionpression. Janvier est une bonne période de l'année pour lever le pied concernant l'alcool après les excès des fêtes de fin d'année. D'ailleurs de nombreuses personnes le font de manière instinctive.

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    Et à quoi cela sert-il ?

    Pr. Amine Benyamina : Dans un premier temps, à mettre fin à une consommation d’alcool quotidienne, ce qui n'est pas rien. En le faisant, on prend alors conscience de plusieurs aspects positifs associés comme la perte de poids, un meilleur sommeil, un rééquilibrage du métabolisme, une plus grande sensibilité à l'insuline, une meilleure concentration, un regain d'énergieénergie et même des économies... Tout cela peut sembler anodin mais, au bout d'un mois, on se rend vraiment compte de l'amélioration du bien-être général.

    Cela permet-il aussi de mieux maîtriser sa consommation en janvier et après la fin du défi ?

    Pr. Amine Benyamina : Oui, les Français ont une consommation quasi quotidienne d'alcool, même s'il s'agit de petites quantités. Différentes études ont montré que lorsque l'on s'arrête de boire durant un mois ou même quand on change son rapport à l'alcool, on maîtrise davantage sa consommation, on gère mieux les tentations. Toutes ces fois où l'on nous propose de l'alcool, on réussit plus facilement et plus souvent à dire non. On finit par diminuer sa consommation.

    Quelle que soit la quantité, toute prise d’alcool est associée à une intoxication de l’organisme

    Toutefois, « le Défi de janvier » ne se veut pas un outil pour arrêter l’alcool ?

    Pr. Amine Benyamina : Non, ce n'est pas le même état d'esprit que le Mois sans tabac. Car on déclenche l'arrêt du tabac à cette occasion. Le Défi de janvier consiste à faire une pause, à prendre conscience de l'ensemble des bénéfices pour la santé et de toutes ces fois où on est sollicité à boire de l’alcool ! Il ne s'agit donc pas forcément d'arrêter mais seulement de prendre la mesure de son rapport à l'alcool. Est-on capable de dire non ? Et combien de fois en est-on capable ?

    Mais si on ne réussit pas à relever le défi, cela veut-il dire qu’on a une consommation d’alcool à risque ?

    Pr. Amine Benyamina : Cela signifie en tout cas qu'il n'est vraiment pas simple en France de s'extraire d'une sollicitation et d'une habitude de consommation quasi quotidienne. Il faut comprendre que, concernant l'alcool, des petites quantités répétées peuvent entraîner des dommages. La moindre prise d'alcool n'est jamais anodine. Quelle que soit la quantité, toute prise d'alcool est associée à une intoxication de l'organisme. Certaines personnes qui réussissent le défi de janvier réalisent que c'était bien plus difficile que ce qu'ils imaginaient. Il faut être très motivé et mobilisé dans les premiers jours.

    Le <a href="http://www.ligue-cancer.net/sites/default/files/CP%20Dry%20January%2024.pdf" target="_blank">rapport de la Ligue contre le cancer</a> concernant la banalisation de l'alcool est édifiant et démontre une large méconnaissance des dangers de l’alcool et du risque d'addiction particulièrement lorsqu'il résulte d'une consommation précoce d’alcool. © Rafael Ben-Ari, Adobe Stock
    Le rapport de la Ligue contre le cancer concernant la banalisation de l'alcool est édifiant et démontre une large méconnaissance des dangers de l’alcool et du risque d'addiction particulièrement lorsqu'il résulte d'une consommation précoce d’alcool. © Rafael Ben-Ari, Adobe Stock

    En France, est-on nombreux à avoir un « problème » avec l’alcool ?

    Pr. Amine Benyamina : On est en tout cas très ambivalent avec ce produit. On aime l'image de convivialité qu'il véhicule mais on n'aime pas les alcooliques, on n'aime pas ce que ce produit peut faire de nous. L'alcoolique, c'est toujours l'autre. C'est d'ailleurs l'argument du lobby de l'alcool qui, pour maintenir la consommation, prône la modération et la sobriété. Mais je le répète, la moindre prise d'alcool n'est jamais anodine.

    La dénormalisation de l’alcool est un chantier majeur !

    Quel regard portez-vous sur ce sondage de La Ligue contre le cancer, montrant qu’une majorité d’adulte considère comme acceptable de donner de l’alcool à des mineurs ?

    Pr. Amine Benyamina : C'est catastrophique. On a un rapport à l’alcool totalement défaillant. L'information la plus basique - protéger les jeunes - n'est pas arrivée jusqu'aux Français. Lorsqu'on consomme de l'alcool jeune, on risque d'endommager son cerveau, car sa formation n'est pas achevée. Outre la maturation du cerveau, consommer jeune, c'est faire le lit des dommages liés à l'alcool à l'âge adulte. Et symboliquement, le message envoyé par les parents est délétère. En fait, en France, la norme c'est de consommer alors que c'est le fait de ne pas consommer qui devrait être normal. La dénormalisation de l'alcool est un chantier majeur !

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    Vous précisez dans le communiqué de presse de l’événement que celui-ci organisé sans le soutien de l’État. Vous le regrettez ?  

    Pr. Amine Benyamina : On n'est pas là pour embêter les Français, on fait seulement ce qu'auraient dû faire les pouvoirs publics depuis longtemps : appeler à réaliser ce défi (en 2019, Emmanuel Macron avait annulé l'opération Mois sans alcool, alors préparée pour janvier 2020 par Santé publique France, ndlr). Aujourd'hui, l'événement a été investi par les Français, les médias, tout le monde sauf l'État, ce qui est vraiment regrettable. Nous (48 addictologues) avons demandé en décembre le soutien au moins symbolique de l'État dans un courrier adressé au ministre de la Santé. Force est de constater que ce n'est pas encore mûr... Et quand j'entends Marc Fesneau nous faire passer pour des inquisiteurs (le ministre de l'agricultureagriculture avait plaidé pour « la modération » plutôt que pour « l'interdiction », ndlr), on réalise qu'il est bien le ministre des lobbies !

    À noter : Plusieurs outils sont mis à disposition des personnes qui souhaiteraient relever le défi ; le site dryjanuary.fr, l'app Try Dry (disponible tout au long de l'année) et le groupe FacebookFacebook d'entraide LeDéfiDeJanvier.