La faille nord-anatolienne constitue une frontière tectonique majeure entre l’Anatolie et l’Europe. Les mouvements relatifs, de l’ordre de 2 cm par an actuellement, y provoquent régulièrement des séismes dévastateurs. Mais l'un des segments marins de cette faille, en mer de Marmara, ne semble pas avoir enregistré de séisme important depuis 1766. Cette faible activité ne manque pas de questionner et d'inquiéter les chercheurs car ce n'est pas forcément de bon augure.
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Au vu des ruptures successives récurrentes observées sur les segments adjacents, à terre et en mer, se posent deux questions, à savoir si ce segment de faille est bloqué et accumulant donc des contraintes susceptibles de provoquer un séisme de forte magnitudemagnitude à moins de 50 km de la métropole d'Istanbul, ou bien si, au contraire, il coulisse de façon continue et asismique pour absorber le mouvementmouvement observé tout au long de la faille nord-anatolienne.
Pour tenter de répondre à ces interrogations, une équipe de scientifiques français, allemands et turques se sont associées pour réaliser une expérience de géodésie fond de mer innovante. Un réseau de distance-mètres sous-marins a été déployé de part et d'autre de la trace sous-marine de cette faille pendant 2 ans et demi. Ces instruments mesurent en quasi continu les distances qui les séparent (temps de parcours aller-retour de signaux acoustiques). Après une trentaine de mois d'observation, le réseau n'a enregistré aucun déplacement significatif discernable de la faille.
Une quasi inactivité qui n'augure rien de bon
Le déploiement conjoint de sismomètressismomètres sous-marins autour du réseau de balises acoustiques a révélé une activité sismique très faible, sans commune mesure avec l'activité régulière enregistrée sur les segments adjacents en mer ou à terre. Ces observations suggèrent donc que ce segment de la faille nord-anatolienne est bloqué en profondeur et accumulerait des contraintes.
En supposant un mouvement de 2 cm par an depuis le dernier séisme historique connu (en 1766), le déficit de mouvement serait de plusieurs mètres et pourrait provoquer un séisme de magnitude supérieure à 7. Cette expérience de géodésie sous-marine est une première du genre et ses conclusions plaident pour généraliser de telles observations in situ dans les zones à risque du domaine marin.
Istanbul risque un séisme de forte magnitude
Article du CNRS, publié le 16 juillet 2016
Une équipe franco-germano-turque a déposé au fond de la mer de Marmara, au large d'Istanbul, un réseau de balises pour mesurer les mouvements de part et d'autre d'un segment de la faille sismique nord-anatolienne. Surprise : il n'y en a pas. Ce n'est pas une bonne nouvelle car, si cette immobilité est confirmée, cela signifierait que la faille est bloquée. L'accumulation progressive d'énergieénergie pourrait alors provoquer un séisme de grande magnitude.
La faille nord-anatolienne, responsable de tremblements de terretremblements de terre destructeurs en 1999 en Turquie, est comparable à la faille de San Andreasfaille de San Andreas en Californie. Elle constitue la limite des plaques tectoniquesplaques tectoniques eurasiatique et anatolienne, qui se déplacent l'une par rapport à l'autre d'environ 2 cm par an.
Le comportement d'un segment sous-marin de cette faille, situé à quelques dizaines de kilomètres au large d'Istanbul, en mer de Marmara, intrigue particulièrement les chercheurs, car il semble exempt de sismicité depuis le XVIIIe siècle. Comment se comporte ce segment ? Glisse-t-il en continu, cède-t-il régulièrement, provoquant de petits séismes épisodiques de faible magnitude ou bien est-il bloqué, laissant présager une future rupture et donc un fort séisme ?
Une approche dite de « géodésie acoustique fond de mer »
Observer in situ le mouvement d'une faille sous-marine sur plusieurs années est un vrai défi. Pour le relever, les chercheurs testent une méthode de télédétection sous-marine innovante, à l'aide de balises acoustiques actives, autonomes et interrogeables à distance depuis la surface de la mer. Posées sur le fond marin de part et d'autre de la faille à 800 mètres de profondeur, ces balises s'interrogent à tour de rôle par paire et mesurent le temps aller-retour d'un signal acoustique entre elles.
Ces laps de temps sont ensuite convertis en distances entre les balises. C'est la variation de ces distances dans le temps qui permet de détecter un mouvement des fonds marins et la déformation du réseau de balises, de déduire les déplacements de la faille.
Concrètement, un réseau de dix balises françaises et allemandes a été déployé lors d'une première campagne en mer par le navire océanographique Pourquoi pas ? avec le concours du laboratoire Géosciences marines de l'Ifremer en octobre 2014. Les six premiers mois de données (temps de parcours, température, pressionpression et stabilité) recueillies depuis la surface au cours de la campagne du navire océanographique allemand Poseidon, en avril 2015, confirment les performances de la méthode. Après calculs, elles ne révèlent aucun mouvement significatif de la faille surveillée, dans la limite de résolutionrésolution du réseau. Les distances entre balises, séparées de 350 à 1.700 mètres, sont mesurées avec une résolution de 1,5 à 2,5 mm. Ce segment serait donc bloqué, ou quasiment, et accumulerait des contraintes susceptibles de générer un séisme.
Cette technique novatrice pourrait être appliquée ailleurs
L'acquisition d'information sur plusieurs années sera cependant nécessaire pour confirmer cette observation ou caractériser un fonctionnement plus complexe de cette portion de faille. Si, au-delà de cette démonstration, cette approche dite de « géodésie acoustique fond de mer » s'avère robuste sur le long terme (3 à 5 ans sont envisagés dans la limite d'autonomieautonomie des batteries), elle pourrait être intégrée dans un observatoire sous-marin permanent en complément d'autres observations (sismologiesismologie, émissionémission de bulles...)) pour surveiller in situ et en temps réel l'activité de cette faille en particulier, ou d'autres failles activesfailles actives sous-marines dans le monde.
Cette étude, issue d'une collaboration entre des chercheurs français, allemands et turcs, vient d'être publiée dans Geophysical Research Letters. Les travaux sont menés par le laboratoire Domaines océaniques (LDO, CNRS/Université de Bretagne occidentale), en collaboration avec le laboratoire Littoral environnement et sociétés (CNRS/Université de La Rochelle), l'institut Geomar à Kiel (Allemagne), le Centre européen de recherche et d'enseignement de géosciences de l'environnement (CNRS/Collège de France/AMU/IRDIRD), le laboratoire Géosciences marines de l'Ifremer, l'Eurasian Institute of Earth Sciences de l'université Technique d'Istanbul (Turquie) et le Kandilli Observatory and Earthquake Research Institute de l'université Bogazici d'Istanbul. Cet article est dédié à la mémoire d'Anne Deschamps, chargée de recherche CNRS au LDO, initiatrice et responsable du projet, décédée peu après avoir conduit avec succès le déploiement de ces balises.