L'actualité politique est mouvementée en ce moment et les élections qui arrivent mettent au cœur des débats les sujets qui impactent le plus la vie des français et leur futur. Ces derniers mois, un sujet n'a eu de cesse de faire parler : les catastrophes météorologiques et pourtant celui-ci semble absent des préoccupations politiques actuelles. La plus grande climatologue française nous livre ses impressions, conclusions et regrets sur la façon dont la question du climat est traitée dans les élections actuelles.


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    D'un côté les inondations et les dégâts des violents orages, de l'autre côté la crise de l'eau qui continue sur une petite partie du sud-est de la France, comme sur une grande partie de l'Europe du sud. L'évolution climatique a des répercussions concrètes sur le quotidien des français, mais elle reste malgré tout très loin d'être un sujet politique central. Nous avons interrogé la plus éminente climatologueclimatologue française, Dr Valérie Masson-Delmotte, autrice du Giec.

    Futura : En tant que spécialiste du climat, que pensez-vous du traitement de la question environnementale dans les élections en cours ?     

    Valérie Masson-DelmotteValérie Masson-Delmotte : Je suis scientifique et l'Europe joue un rôle très important dans l'aspect de la recherche scientifique : la commission européenne coordonne l'ensemble des programmes européens de recherches et l'aspect financier est aussi décidé au niveau européen. Or, je n'en ai absolument pas entendu parler dans la campagne ! Un exemple, quand j'étais doctorante dans les années 1990, j'ai appris à faire de la recherche et je me rappelle que le travail de carottage en Antarctique n'aurait pas été possible sans la commission européenne. Donc l'Europe a un rôle très important pour l'enjeu du climat car elle représente différents pays qui mettent leurs résultats en commun. Je n'ai pas non plus entendu parler des objectifs du Plan Vert de neutralité carboneneutralité carbone entre 2030 et 2040 dans cette campagne. Alors même que nous sommes confrontés à de multiples risques climatiques en Europe : inondations, risques d'incendies, pénuries d'eau, dégradation des forêts, montée du niveau de la mer. Il faut rappeler qu'en cas de grave incendie, nous sommes capables de mobiliser des avions d'autres pays pour nous aider. Même chose pour les inondations, nous sommes allés chercher des pompes aux Pays-Bas. Donc il faut davantage de coopération européenne.

    Pensez-vous que les politiques sont irresponsables et qu'ils évitent volontairement le sujet qui peut faire peur ?

    V. M-D : Il y a un manque de courage des politiques et des journalistes qui les interrogent, surtout concernant les enjeux de transformation. Certains nient même l'intérêt de cette transformation. Les programmes politiques ne sont pas crédibles et ne prennent pas en compte les impacts graves du climat qui se réchauffe. Il y a clairement un manque de courage pour reconnaître les vulnérabilités, on se raconte une histoire, on manque de lucidité. De plus, quand on a des vaguesvagues de chaleurchaleur par exemple, avec une surmortalité, ce sont les femmes âgées les plus touchées. Or, cette catégorie de la population n'est pas un sujet politique, alors on n'en parle pas. Pour autant, le problème ne disparaît pas.

    Peut-on dire que la science est complètement absente de la politique ?

    V. M-D : Il y a des sujets scientifiques dans la politique : la pandémiepandémie en était un, la technologie, l'intelligence artificielleintelligence artificielle. C'est plutôt la question de l'environnement au sens large qui est absente. Il y a une volonté de ne pas entendre l'état des lieux : l'impact sur les écosystèmesécosystèmes, sur la santé, sur la qualité de l'eau, de l'airair, sur les sols, qui sont des enjeux pourtant importants.

    Comment faire pour davantage concerner les politiques sur la question du climat ?

    V. M-D : L'angle santé est très utile et très peu abordé. Je pense notamment au rapport de l'OMSOMS dont personne n'a parlé, sur les quatre grandes industries responsables de la plus forte mortalité : celle de la nourriture transformée, du tabac, de l'alcoolalcool et des énergies fossilesénergies fossiles. Les discours sur le climat mettent trop en avant l'aspect très technique sur les gaz à effet de serregaz à effet de serre, sans mettre en avant le confort de vie, l'alimentation, la santé. On ne parle pas assez du lien entre pouvoir d'achat et environnement : les chocs climatiques font monter les prix. Dans les débats, tout cela est passé sous silence.

    Notre civilisation « thermo-industrielle », dont le fonctionnement est donc en grande partie basé sur les énergies fossiles, peut-elle affronter la crise écologique avant une transition complète vers des énergies plus propres ?

    V. M-D : Les rapports du Giec montrent qu'il y a trois grandes actions pour réussir à affronter la crise climatique : tout d'abord, toutes les technologies décarbonées (qui sont multiples), puis une maîtrise de la demande ensuite : cela passe par de l'efficacité et de la sobriété, mais pas de l'austérité. Il faut diminuer la demande en énergie tout en répondant aux mêmes besoins. Nous avons d'ailleurs réussi à faire baisser la demande de gaz de 10 % lors de la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine. Et puis, dernière solution, il faut s'appuyer sur les écosystèmes : arrêter de dégrader les forêts qui sont un puits de carbonepuits de carbone et développer les aires naturelles protégées pour permettre au vivant de mieux récupérer après des événements extrêmes.

    Le problème, c'est que les financements ne sont pas à la hauteur de cet enjeu : ils sont encore trop élevés dans les industries fossiles alors qu'on pourrait construire des solutions pour décarboner. Il y a également une concurrence déloyale avec les voituresvoitures chinoises par exemple. Il faut une vision politique d'ensemble, également pour préserver les emplois, permettre les reconversions professionnelles et construire une transition juste.