Le Giec vient de publier le volet consacré à l’« atténuation du changement climatique ». Il présente une série de solutions qui nous permettraient de tenir l’objectif fixé par l’Accord de Paris sur le climat de limiter le réchauffement à 1,5 °C. L’une d’entre elles : limiter les émissions de méthane (CH4). Pour mieux comprendre les opportunités qui existent en la matière, Futura a rencontré Daniel Zavala-Araiza, le porte-parole scientifique de l’Organisation non gouvernementale (ONG) Environmental Defense Fund Europe (EDF).


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    Au mois d'août dernier, le 1er volet du 6e rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climatGroupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) proposait une sorte d'état des lieux des connaissances scientifiques en matièrematière de réchauffement climatique. Le constat est clair. Le premier moteur du réchauffement climatique anthropique que nous vivons actuellement, c'est le dioxyde de carbone (CO2). Le second, c'est un autre gaz à effet de serre qui se fait peu à peu sa « place au soleilsoleil » dans les médias, le méthane (CH4). Non seulement par « ses effets radiatifs directs », mais aussi par « son rôle sur la formation d'ozoneozone (O3) troposphérique » -- encore un gaz à effet de serre... doublé d'un polluant --, précisait Valérie Masson-DelmotteValérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et membre du Giec, en ce début d'année dans un fil Twitter.

    La concentration en méthane dans notre atmosphère a explosé. Bien plus que la concentration en CO2, d'ailleurs. Elle est de 156 % plus élevée qu'elle ne l'était en 1750. Et les origines de cette augmentation -- depuis les années 2000 au moins -- sont connues. Elles sont à chercher notamment du côté des émissionsémissions anthropiques du secteur de l'agriculture et de celui des énergies fossilesénergies fossiles. Un secteur qui, à lui seul, représente finalement quelque 40 % des émissions anthropiques. Une contribution pour le moins significative.

    Le saviez-vous ?

    Des sources naturelles sont responsables d’un peu moins de la moitié du méthane (CH4) présent dans notre atmosphère. Les zones humides, notamment, sont fortement émettrices. Mais les océans aussi, les animaux sauvages ou le pergélisol.

    « Ce que la science nous apprend aujourd'hui, c'est qu'environ 25 % du réchauffement climatique anthropique peut être attribué à nos émissions de méthane », nous précise Daniel Zavala-Araiza, le porteporte-parole scientifique de l'Organisation non gouvernementale (ONG) Environmental Defense Fund Europe (EDF). « Si nous voulons atteindre l'objectif fixé par l'Accord de Paris de limiter le réchauffement à 2 °C -- si possible, 1,5 °C --, il nous faudra -- en plus de réduire nos émissions de CO2 -- prendre des mesures rapides et significatives visant nos émissions de CH4. »

    La bonne nouvelle, c'est que si le méthane est un gaz à effet de serre au pouvoir réchauffant environ 80 fois supérieur à celui du CO2, sa duréedurée de vie dans notre atmosphère est courte. De l'ordre d'une dizaine d'années. « Prendre des mesures pour limiter nos émissions de méthane, c'est un peu comme appuyer sur la pédale de frein pour ralentir le rythme auquel notre planète se réchauffe. Parce que prendre des mesures aujourd'hui peut rapidement faire baisser la concentration en CH4 », nous assure Daniel Zavala-Araiza. « Et parce qu'on ne parle pas d'innovations à mettre en œuvre ici. Juste de solutions simples, déjà disponibles. »

    Voici comment se répartissent les émissions de méthane. © Giec
    Voici comment se répartissent les émissions de méthane. © Giec

    Organiser le monitoring des émissions de méthane

    Dans le domaine de l'agriculture, du côté de l'élevage des ruminants, par exemple. Mais selon le porte-parole scientifique d'EDF, surtout dans le secteur du gaz et du pétrolepétrole. « Un secteur dans lequel des solutions peuvent être mises en œuvre à des coûts presque nuls. » Un rapport de l'Organisation des Nations unies (ONU) daté de 2021 le confirme. Le secteur du gaz et du pétrole pourrait réduire ses missions de 80 % à un coût négatif ou faible. Pour le secteur du charboncharbon, c'est même 98 % des émissions qui pourraient ainsi être éliminées. « Nous avons là une opportunité, je dirais même, la responsabilité, de réduire nos émissions de manière significative et rapide », ajoute Daniel Zavala-Araiza. Il semble avoir été entendu par les 105 pays qui se sont engagés, lors de la 26e Conférence des Parties signataires de la Convention climat (COP26) qui s'est tenue à Glasgow (Écosse) fin 2021, à réduire de 30 % leurs émissions -- qui comptent pour environ la moitié des émissions totales de méthane -- entre 2020 et 2030. « En 2030, nous pourrions même avoir réduit nos émissions de méthane de 50 %. Nous éviterions alors 0,25 °C de réchauffement en 2050 et même 0,5 °C en 2100. »

    Mais alors, quelles sont donc ces solutions simples -- presque miracles -- que le secteur du gaz et du pétrole pourraient mettre en œuvre ? « Des solutions qui consistent à réparer les fuites et à limiter les évacuations et les torchages, par exemple », nous explique Daniel Zavala-Araiza. Pour optimiser ces opérations, il faut toutefois savoir détecter les fuites. Depuis une dizaine d'années, Environmental Defense Fund Europe mesure les émissions de méthane -- à l'aide de technologies qui « rendent visible ce gaz naturellement invisible », des caméras infrarouges, par exemple ; les drones aident aussi beaucoup --, partout dans le monde, dans les régions d'extraction et de production, mais aussi autour des pipelinespipelines. « Même si la plus grande part des émissions se fait sur les sites de production, il y a des fuites tout au long de la chaîne. Parfois même, du méthane est émis volontairement. »

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    Des fuites colossales de méthane d’origine industrielle détectées depuis l’espace

    Depuis quelques années, un nombre grandissant de satellites permet de préciser un peu ces données. De trouver les fuites, de comprendre l'origine des émissions et de savoir où et comment agir. EDF s'apprête d'ailleurs à lancer son propre satellite à la fin de cette année. « MethaneSAT aura pour unique objectif de rendre les émissions de méthane visibles et de rendre les données à ce sujet accessibles librement et de manière transparente dès 2023 », nous précise Daniel Zavala-Araiza.

    Grâce aux méthodologies robustes développées par la communauté scientifique, ce satellite ne permettra pas seulement de localiser les émissions de CH4, mais aussi de les différencier. De préciser leur origine. De dire si elles sont le fait de fuites dans des pipelines ou d'exploitations agricoles, par exemple. « MethaneSAT sera extrêmement précis. Il nous permettra vraiment de comprendre combien de méthane est émis, d'où et comment. » De quoi identifier quel type d'installations qui émettent le plus. « Et trouver les solutions à mettre en œuvre pour limiter les émissions. »

    Des solutions simples à mettre en œuvre

    Des solutions qui sont déjà parfaitement maîtrisées. « Souvent, il ne s'agit ni plus ni moins que d'ajuster une valve. Ou pire encore, de simplement refermer une trappe sur le haut d'une cuve. Mais pour cela, il faut savoir qu'une trappe est restée ouverte. C'est pour ça que le suivi régulier des émissions est très important. Pour permettre de mettre en œuvre ces actions correctives au plus vite. »

    Au-delà de ça, Environmental Defense Fund Europe appelle l'Union européenne à s'appuyer sur sa position de client majeur pour encourager la mise en place de standards internationaux pour le gaz et le pétrole. Car 85 % de sa consommation est produite en dehors de ses frontières -- en Russie, nous en avons beaucoup parlé récemment, mais aussi l'Algérie, par exemple. Et l'empreinte méthane du gaz et du pétrole est évaluée à trois à huit fois plus importantes avant qu'ils n'atteignent l'Europe qu'après.

    La Commission européenne a lancé un signal fort.

    Ainsi des pénalités financières pourraient être imposées pour tout gaz vendu dans l'Union européenne avec une intensité méthane supérieure à un seuil d'émissions en amont de 0,2 % -- comprenez, la part de CH4 émise dans l'atmosphère sur le volumevolume de gaz produit. « La proposition faite par la Commission européenne en fin d'année dernière va dans ce sens. Celui de la détection et de la réparation fréquentes des fuites. Elle s'inquiète aussi du torchage, du brûlage ou encore de l'évacuation du méthane qui sont aussi responsables d'importantes émissions. C'est un signal fort. »

    Et pour une fois, cette impulsion politique pourrait ne pas être vue seulement comme une contrainte supplémentaire. Plutôt comme une incitation. « Partout dans le monde, des opérateurs réfléchissent déjà à la question. Parce qu'en plus de réchauffer la planète, ces émissions représentent un manque à gagner. Du méthane qui pourrait être vendu. Pour l'heure, cela n'arrive pas encore en haut de leurs priorités. Mais une réglementation pourrait vraiment les inciter à s'en préoccuper. Parce qu'il y a des bénéfices économiques à en tirer », souligne Daniel Zavala-Araiza. « Nous devons sortir des énergies fossiles. Ce n'est plus une question. C'est un impératif. Mais, nous ne devons pas attendre d'avoir mis de côté le gaz, le pétrole et le charbon pour nous préoccuper de nos émissions de méthane. Notre fenêtrefenêtre d'action en la matière est étroite. Nous devons en profiter pour ralentir le réchauffement climatique. Si nous ne le faisons pas, nous ne ferons que l'accélérer. »