Voilà une vingtaine d’années que l’on note une augmentation sans précédent des émissions de méthane, qu’il s’agisse d’émissions naturelles ou liées à l’activité humaine. L’ampleur du phénomène est tel qu’il est désormais comparable à ce qui s'est produit au moment des terminaisons glaciaires, indiquant que nous sommes certainement à l’aube d’une réorganisation majeure du climat.


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    Le méthane, c'est désormais bien connu, est un puissant gaz à effet de serre. Or, tout comme pour le CO2, on observe depuis 2006 une accélération de la quantité de ce gazgaz dans l'atmosphère terrestre. Mais alors que l'origine du CO2 est principalement humaine et liée à la combustioncombustion d'énergies fossiles, ces nouvelles émissionsémissions de méthane semblent principalement associées à des processus biologiques.

    Rassurant ? Pas vraiment. Car s'il est normal d'observer des émissions de méthane d'origine naturelle, l'accélération que l'on note sur les deux dernières décennies est plutôt inquiétante et en dit long sur le stade de dérèglement climatique que nous avons atteint désormais.  

    Des taux d’émission plus importants que durant le pic de production industrielle

    Car il s'agit là d'un phénomène déjà observé par le passé à des moments particulièrement critiques dans l'histoire climatique de la Terre. Cette accélération des émissions de méthane est en effet d'ampleur similaire à ce qui a été observé au moment de la transition entre les périodes glaciaires et interglaciaires (on parle de terminaison glaciaire). Nous nous trouverions donc actuellement à ce stade de basculement climatique, vers une période plus chaude que ce que nous connaissons aujourd'hui.

    Avant la révolution industrielle et le début de la consommation massive d'énergies fossiles, la quantité de méthane était d'environ 0,7 ppmppm (partie par million) dans l'atmosphère. Elle est aujourd'hui de 1,9 ppm, soit 2,7 fois plus et cela continue d'augmenter. Bien entendu, les taux de méthane dans l'atmosphère ont augmenté rapidement avec le début de l'industrialisation au XIXe siècle, mais ils s'étaient stabilisés vers la fin des années 1990, laissant penser qu'un équilibre s'était finalement établi entre la production d'origine humaine et les puits de méthane. Pourtant, les choses ont brusquement changé en 2006. Les émissions ont alors repris de plus belle, sans que l'on comprenne alors exactement pourquoi. Depuis début 2020, les taux d'émission sont même plus importants que ceux atteints durant le pic de production industrielle des années 1980 ! Cette évolution est mise en lumièrelumière dans une nouvelle étude publiée dans la revue Global Biogeochemical Cycles.

    Courbe montrant l'augmentation des taux de méthane dans l'atmosphère depuis les années 1980. On note le plateau qui s’établit temporairement vers l'an 2000. L'augmentation reprend cependant dès 2006 et s'accélère actuellement. © <em>NOAA/Nisbet et al.</em> (2023)
    Courbe montrant l'augmentation des taux de méthane dans l'atmosphère depuis les années 1980. On note le plateau qui s’établit temporairement vers l'an 2000. L'augmentation reprend cependant dès 2006 et s'accélère actuellement. © NOAA/Nisbet et al. (2023)

    Un emballement climatique qui intensifie les émissions naturelles de méthane

    Si plus de la moitié des émissions de méthane proviennent de la combustion du pétrolepétrole, de l'élevage, du stockage de déchets et de leur combustion, le reste provient de sources naturelles et notamment de la décomposition des végétaux dans les zones humideszones humides tropicales et septentrionales. Et c'est bien de cette dernière part que semblent provenir majoritairement les nouvelles émissions, comme le montrent de récentes études. Un relargage de méthane certes d’origine naturelle, mais directement lié au réchauffement climatique. Car l'augmentation des températures globales fait que si les zones sèches sont de plus en plus arides, les régions humides subissent au contraire une intensification des précipitationsprécipitations. ChaleurChaleur et humidité boostent ainsi la production végétale qui, en se décomposant, produit d'autant plus de méthane. Ajoutez à cela le développement de l’élevage intensif de bétail et l'expansion accélérée de mégapoles produisant d'énormes quantités de déchets et vous obtenez l'explication à l'accélération sans précédent dans l'histoire humaine des émissions de méthane.

    L'expansion des zones humides face au réchauffement climatique (ici en Russie) est l'une des causes de l'augmentation rapide du méthane dans l'atmosphère. © Svetlana Makarova, Wikimedia Commons, CC by-sa 2.0
    L'expansion des zones humides face au réchauffement climatique (ici en Russie) est l'une des causes de l'augmentation rapide du méthane dans l'atmosphère. © Svetlana Makarova, Wikimedia Commons, CC by-sa 2.0

    Des signes qui témoignent habituellement d’une terminaison glaciaire

    Cette évolution est d'ailleurs comparable à celle observée il y a 12 000 ans, marquée par un réchauffement dramatique du Groenland. La température s'y serait en effet élevée d'environ 10 °C en quelques décennies seulement, causant un bouleversement écologique majeur.

    Cette brusque évolution climatique s'observe en général à la fin des périodes glaciaires. C'est alors tout le système climatique qui se réorganise brutalement : fonte des glaces, modifications des courants marins, expansion des zones tropicales... Autant de signes que nous pouvons observer à l'heure actuelle. Nous serions donc peut-être en train de connaître une nouvelle terminaison, non glaciaire pour le coup. Une rupture par rapport aux événements passés qui porteporte définitivement l'empreinte humaine. 


    Les émissions de méthane n'ont jamais été aussi élevées dans le monde !

    Alors que les émissions de CO2 font encore et toujours la Une des journaux, des chercheurs attirent aujourd'hui notre attention sur un autre gaz à effet de serregaz à effet de serre : le méthane (CH4). Les émissions mondiales de ce très puissant gaz à effet de serre ont augmenté de près de 10 % ces vingt dernières années, nous préviennent-ils. Et le voici présent dans notre atmosphère à des concentrations record.

    Article de Nathalie MayerNathalie Mayer publié le 21 juillet 2020

    Parmi les gaz à effet de serre, il y a bien sûr le dioxyde de carbonedioxyde de carbone, le fameux CO2. Mais il y a aussi le moins médiatique méthane ou CH4. Même s'il est moins abondant, il est bien plus puissant que le CO2. Sur une période de 20 ans, le pouvoir réchauffant d'un kilogrammekilogramme de méthane est d'environ 85 fois celui d'un kilogramme de CO2. Sur une période de 100 ans, le pouvoir réchauffant du méthane est toujours d'au moins 28 fois supérieur à celui du CO2.

    Voir aussi

    Gaz à effet de serre : CO2 ou méthane, quel est le pire ?

    Et, coup dur sur le front de la lutte contre le réchauffement climatique, la plus récente mise à jour du Global Methane Budget -- une initiative du Global Carbon Project, un programme de recherche international dont le but est de fournir une image précise du cycle global du carbone -- révèle aujourd'hui que les émissions de méthane ont frôlé les 600 millions de tonnes en 2017 -- la dernière année pour laquelle les données sont disponibles -- dont plus de 360 d'origine anthropique.

    C'est 50 millions de tonnes -- dont 40 d'origine anthropique -- et 9 % de plus que la moyenne des années 2000-2006. L'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAANOAA) rapporte, de son côté, des concentrations atmosphériques de 1.875 parties par milliard (ppb) en 2019 ; soit 2,5 fois les concentrations préindustrielles !

    En cause notamment, les émissions de sources anthropiques. L'agricultureagriculture et les déchets ont contribué à 60 % de cette augmentation et les combustiblescombustibles fossiles, aux 40 % restants. Trois grandes régions ont enregistré la plus forte augmentation des émissions de méthane : l'Afrique et le Moyen-Orient, la Chine et l'Asie du Sud, et l'Océanie. L'Europe, en revanche, enregistre une légère baisse de ses émissions. Une différence qui se fait essentiellement sur les émissions du secteur de l'agriculture.

    Une carte des émissions et des puits de méthane. En vert, les sources et les puits naturels. En orange, les sources anthropiques. © Jackson et al., Université de Stanford
    Une carte des émissions et des puits de méthane. En vert, les sources et les puits naturels. En orange, les sources anthropiques. © Jackson et al., Université de Stanford

    Il n’est pas trop tard pour inverser la tendance

    Pour en arriver à ces conclusions, les chercheurs se basent sur plusieurs approches. La première est dite ascendante. Elle tient compte des déclarations des pays qui font l'inventaire de leurs émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine (combustibles fossiles, agriculture, décharges, etc.). Elle les additionne aux émissions naturelles calculées à l'aide de simulations sur les zones humides ou les feux de forêt par exemple.

    L'autre approche est, quant à elle, descendante. Elle part des concentrations de méthane à l'échelle mondiale et fait appel à des modèles pour remonter à leurs origines. Ni l'une ni l'autre de ces méthodes n'est infaillible. Elles sont complémentaires. Selon les chercheurs, l'approche descendante donne des estimations globalement plus fiables, mais l'approche ascendante permet de travailler sur des secteurs plus spécifiques.

    Les émissions de méthane par régions du globe et par sources ainsi qu’une estimation du poids des émissions par latitudes. © Jackson et al., Université de Stanford
    Les émissions de méthane par régions du globe et par sources ainsi qu’une estimation du poids des émissions par latitudes. © Jackson et al., Université de Stanford

    Dernière observation et non des moindres : les chercheurs n'ont trouvé aucune preuve de l'augmentation redoutée des émissions en provenance de la région arctique. De quoi surprendre les experts qui s'attendent, avec la fontefonte des glaces, à la libération de quantités de méthane piégé dans les sols gelés, ce qu'ils appellent une rétroaction positiverétroaction positive : une libération de gaz à effet de serre qui renforce le réchauffement au fur et à mesure que les températures augmentent. Un indice qui suggère que le système Terre n'a pas encore atteint ce point de non-retour. Et qu'il est encore temps de prendre des mesures correctrices.