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Les préparatifs vont bon train aux abords d'un quai de Lorient, là où la goélette Tara s'apprête pour sa prochaine expédition scientifique : Tara Oceans Polar Circle 2013. « C'est un peu le bazar, mais tout va trouver sa place au dernier moment », selon Romain Troublé, le secrétaire général de Tara ExpéditionsTara Expéditions que Futura-Sciences a contacté. Le nombre de choses à stocker lorsque l'on prend la mer pour sept mois est effectivement conséquent. « Il y a de la nourriture partout, sous les bannettes, dans les fonds, etc. », même si des aliments frais seront achetés durant les escales.
La goélette larguera les amarres le dimanche 19 mai à 15 h 00, emmenant 14 membres d'équipage. Elle prendra la direction des îles Féroé, pour entamer son périple de 25.000 km autour du pôle Nord dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, donc en empruntant d'abord le mythique « passage du nord-est » au large de la Sibérie. « Nous connaissons approximativement la route que nous allons suivre, mais la navigation et le choix précis des sites de prélèvement dépendront d'un savant mélange entre les conditions météorologiques, les conditions de mer et les données satellite (caractéristiques des massesmasses d'eau, couleurcouleur des océans, courants, etc.)). »
Tara Oceans Polar Circle est avant tout une aventure scientifique qui va parachever l'ambition de Tara Océans. Durant une précédente campagne d'un peu moins de trois ans (de septembre 2009 à mars 2012), 126 scientifiques s'étaient relayés à bord de la goélette pour récolter et analyser des échantillons d’eau et les organismes planctoniques qu'ils contenaient, dans tous les océans du globe, sauf... en Arctique.
Itinéraire que suivra Tara Oceans Polar Circle 2013 entre mai et décembre 2013. Les étoiles grises indiquent les positions prévues des stations de prélèvement. © Tara Expéditions
La biodiversité planctonique de l’Arctique à la loupe
Concrètement, la goélette devrait s'arrêter en mer deux à trois fois par mois, pour une duréedurée de deux jours, afin de réaliser toute une série de prélèvements. Ces derniers seront effectués à trois profondeurs différentes : en surface, entre 0 et 200 m (là où il y a le plus de phytoplancton, à cause de la présence de lumièrelumière et de nutrimentsnutriments), entre 500 et 1.000 m (notamment pour quantifier la matièrematière organique qui précipite). De plus, durant les déplacements du navire, des mesures physico-chimiques seront réalisées en continu par une quinzaine d'appareils dédiés : température, salinité de l’eau, turbiditéturbidité, pigments de l’eau, pressionpression partielle en CO2 dissous, etc.
« Des photographiesphotographies d'organismes vivants seront faites à bord, mais comme pour toutes les missions océanographiques, la plupart des analyses se feront en laboratoire ». Elles devraient permettre de mieux connaître les organismes planctoniques peuplant l'Arctique, du virus à la larve de poisson, tout en caractérisant les interactions qui les unissent et leur dépendance aux propriétés physico-chimiques de leur environnement. Le projet Tara Oceans Polar Circle va tout simplement « s'intéresser à un écosystème entier », ce qui est assez rare à une telle échelle. Il apportera sa contribution à la recherche polaire active en Arctique.
L'étude du plancton n'est pas anodine, tant les informations qu'il fournit sont nombreuses, notamment dans cette région sensible au réchauffement climatique. Le phytoplanctonphytoplancton participe activement au fonctionnement du plus grand puits de carbonepuits de carbone de la planète, en capturant de grandes quantités de CO2, tout en produisant 50 % de l'oxygène consommé sur TerreTerre. Or, « on n'a aucune idée précise de la quantité de carbone qu'absorbent les océans, et à quel rythme. Il existe bien des projections, mais elles sont imprécises. Cependant, les premiers résultats de Tara Oceans nous permettent déjà d'avoir une première vision de ce fonctionnement. »
La rosette de Tara Océans a été mise au point au laboratoire de Villefranche-sur-Mer, par Marc Picheral. Elle porte dix bouteilles de prélèvement et, dispose d’un l'UVP (Underwater Vision Profiler) visible au premier plan. Cette caméra, dirigée vers le bas, filme tout au long d’une descente la tranche d'eau éclairée par deux projecteurs horizontaux. Un ordinateur capte les images et compte les organismes (entre 500 microns et quelques centimètres), en temps réel. Des structures fragiles sont ainsi repérées et identifiées, alors qu'elles seraient écrasées dans un filet à plancton. © Jean-Luc Goudet, Futura-Sciences
Voir jusqu’où s’immiscent les pollutions anthropiques
Les 21 laboratoires impliqués dans le projet Tara Océans poursuivent également l'aventure. « Les échantillons que nous prélèverons seront analysés avec le même matériel, selon le même protocoleprotocole et avec le même calibragecalibrage. Nous pourrons ainsi faire des comparaisons. Cependant, nous nous sommes aussi associés avec des centres de recherche canadien et russe pour profiter de leur expérience de l'Arctique. »
De nouveaux paramètres seront aussi étudiés durant cette navigation circumpolairecircumpolaire. « Un capteurcapteur pouvant mesurer la concentration en mercure atmosphérique a été installé sur le mât. Des mesures seront également réalisées dans l'eau, pour déterminer les quantités dissoutes. [...] Nous tirerons aussi un filet adapté à la récolte de particules de plastique 15 à 20 minutes par jour. » Ainsi, l'expédition permettra de déterminer quelles pollutions anthropiques peuvent s'immiscer dans des régions particulièrement reculées de la planète.
Un rôle de sensibilisation du public à ne pas oublier
La goélette Tara, achetée en 2003 par la styliste Agnès b. et Étienne Bourgois, le directeur général de la marque de vêtement éponyme, a reçu quelques systèmes supplémentaires en vue de son futur voyage. « Une plaque chauffante a été installée sur le pont pour éviter que la rosetterosette CTD ne gèle », puisque la température devrait osciller entre -10 °C et 5 °C. Le laboratoire de pont, où ont lieu les filtrations scientifiques, et la soute avant, ont également été équipées d'un système de chauffage, car « certains échantillons, ainsi que les fruits et légumes ne doivent pas geler ».
Enfin, un système de caméras est actuellement installé sur le voilier. Cinq minutes du quotidien de l'expédition seront ainsi filmées, puis présentées sur InternetInternet sous forme de petites séquences vidéo. En effet, cette aventure humaine vise également à interpeller et à sensibiliser le public à la crise écologique des océans.