Certains physiciens, tout en admettant la réalité de l'accélération récente de l'expansion de l'univers, pensent qu'avant d'invoquer de la nouvelle physique, il faudrait peut-être chercher du côté des hypothèses sur lesquelles les modèles cosmologiques sont construits à partir de la relativité générale. Nous avons interrogé le chercheur théoricien Philippe Brax à ce sujet (interview complète pages 3 à 9 de ce dossier).
Certains physiciens proposent de remettre en cause l’hypothèse d’homogénéité de l'univers. Que faut-il en penser ?
Philippe Brax : C'est une direction de recherche qui est de plus en plus explorée depuis quelques années. Pour bien comprendre de quoi il s'agit il faut en revenir aux hypothèses de bases de la cosmologie moderne. Il y a d'abord bien sûr celle que l'univers observable est bien décrit par la théorie de la relativité générale. Cela pose déjà de multiples problèmes lorsque l'on veut appliquer cette théorie à l'univers dans son ensemble.
Les équations d'Einstein sont non linéaires et personne n'a été capable de trouver une solution générale à ces équations. C'est un problème très difficile et probablement au-delà de la portée de l'esprit humain. On ne sait généralement résoudre des équations non linéaires que sous certaines hypothèses simplificatrices, ou alors avec l'aide d'ordinateurs. L'exemple type à cet égard est celui de la mécanique des fluides.
Plus encore que la théorie de la relativité restreinte, la théorie de la relativité générale bouleverse nos intuitions sur le temps et l'espace en faisant dépendre les caractéristiques de ces derniers des distributions de matière et d'énergie. Dans quel sens peut-on en effet parler d'un temps cosmique, d'une histoire générale de l'univers observable, si l'écoulement du temps n'est pas le même en fonction de ces distributions dans l'espace ?
Pour résoudre simultanément ces problèmes, les pionniers de la cosmologie relativiste, parmi lesquels on trouve Einstein et Herman Weyl, se sont appuyés sur une hypothèse connue sous le nom de principe cosmologique : « L'univers est homogène et isotrope à grande échelle ».
Implicitement, il affirme que notre galaxie n'occupe pas de place particulière dans l'espace et qu'à des échelles supérieures à celles des amas de galaxies, l'univers observable apparaît identique à tous les observateurs. Depuis l'époque de Copernic, cela semble une affirmation raisonnable.
Précisons un peu ce que l'on entend par homogène et isotrope.
L'homogénéité signifie que, de même qu'à notre échelle, l'eau apparaît comme un fluide de densité uniforme, malgré le fait qu'elle soit en fait formée de molécules, le « fluide » de galaxies possède lui-aussi une densité constante lorsqu'on le regarde à une très grande échelle, supérieure à des centaines de millions d'années-lumière. L'isotropie indique quant à elle que l'univers apparaît comme identique à lui-même dans toutes les directions avec une excellente approximation. Dit autrement, on ne voit pas des caractéristiques différentes pour les galaxies selon que l'on regarde dans telle ou telle direction sur la sphère céleste.
Il se trouve que ces hypothèses simplifient énormément la résolution des équations d'Einstein. De plus, l'hypothèse d'homogénéité implique automatiquement l'existence d'un temps cosmique partagé par toutes les galaxies et qui permet de parler d'une histoire de l'univers observable. Les simplifications sont même si spectaculaires qu'il ne reste plus que trois types de géométrie de l'espace-temps, celles décrites par les modèles de Robertson-Walker (RW) mais déjà explorées par Friedmann et Lemaître. La géométrie du cosmos peut alors être vue comme l'analogue de celle d'une sphère, d'un plan infini ou encore d'une selle de cheval.