Et bien pour un chercheur théoricien comme moi, il n'y a pas de journée type ! La seule chose qui est à peu près immuable est l'agencement des différentes activités inhérentes à ma fonction. Mon activité se partage entre périodes de recherche intense, sous la forme de calculs faits essentiellement avec un papier et un crayon, et d'autres activités comme la lecture, la discussion avec des collègues et les échanges de courriers électroniques.
Chaque matin, je commence par lire mes messages électroniques de la nuit (ayant des collègues dans des fuseaux horaires différents !). Les messages peuvent être factuels ou contenir des questions et précisions sur des calculs en cours. Après cela, je vais consulter les archives, c'est comme ceci que l'on appelle la liste des articles publiés électroniquement la veille par tous les chercheurs de mon domaine dans l'ensemble des pays du monde. En général, il faut compter un cinquantaine d'articles reliés à la physique des hautes énergies et à la cosmologie. Souvent un petit nombre (cinq ?) concerne mon sujet. Je les regarde et décide s'il faut que je les étudie en détail. Si un article est exactement sur mon sujet, il me faut tout de suite voir s'il contient une nouveauté qui influencera mon travail. Je vérifie aussi si je suis cité correctement pour mon travail. Un chercheur a peu de reconnaissance sociale ou pécuniaire, il attache une grande importance à ce que son travail soit reconnu par ses pairs. Ceci passe par les citations et les invitations à donner des séminaires ou à participer à des conférences. Ensuite, je peux faire des calculs sur un des trois ou quatre projets que je mène de front. Ceci évite de s'épuiser et se vider sur un sujet. Comme pour un pâtissier, il faut laisser travailler les choses un peu avant de les reprendre un autre jour. J'utilise aussi l'ordinateur pour calculer, essentiellement pour les aspects numériques. Algébriquement, rien ne remplace le papier et le crayon.
Je passe aussi du temps avec mes étudiantes en thèse à vérifier, orienter et participer à leur projet de recherche. Avoir des étudiants est une grosse responsabilité qu'il ne faut pas traiter à la légère. En général, j'ai toujours un article en cours de rédaction, ce qui veut dire rédiger certaines parties, et relire les parties écrites par mes collaborateurs. Puis vient le jour de la soumission de l'article, d'abord sur les archives. Après quelques jours pendant lesquels je prends en compte les réactions de collègues et corrige certaines imperfections, j'envoie l'article à une revue scientifique. Là, un arbitre va lire et juger anonymement mon travail. Il peut accepter, refuser l'article ou demander des corrections. Dans les deux derniers cas, il faut alors un travail de réécriture de l'article. Je suis en permanence évalué et soumis à la critique. Dans notre métier, la critique est rude et féroce d'autant qu'elle est anonyme. Etre théoricien demande une bonne solidité. Je suis moi-même arbitre pour une dizaine de journaux et je reçois une paire d'articles par mois que je dois lire et noter.
Je donne à peu près un exposé par mois dans différents laboratoires et conférences. La préparation de chaque exposé me prend quelques jours. Chaque exposé dure de vingt minutes à une heure. Je dois participer à cinq conférences internationales par an. Je me déplace alors pour quelques jours et écoute les exposés donnés par des collègues. Ceci est nécessaire pour suivre le flot de son sujet. Cela permet aussi de nouer des contacts. Ainsi je collabore avec plus de dix personnes à l'étranger avec lesquelles j'écris des articles. Je leur rends visite régulièrement (et vice versa). Quand nous nous voyons, nous passons de longues heures craie en main à échanger des idées devant un tableau noir. Il ne faut pas croire que ces voyages sont luxueux... ce n'est pas leur but et je connais plus les banlieues et aéroports que les centres-villes !
Il m'arrive souvent de travailler chez moi et tard le soir, surtout quand une idée ne va pas et achoppe. C'est aussi le cas quand un calcul résiste, ceci est très prenant et fatigant. Plusieurs fois par an, je participe aussi à la rédaction de demandes de bourses auprès du ministère de la recherche. En effet, nous fonctionnons de plus en plus par appel à projet. Lorsque nous obtenons une bourse, cela nous permet d'embaucher un collaborateur postdoctoral, de voyager un peu plus souvent (mais dans les mêmes conditions...) et d'acheter du matériel informatique. Ces nouvelles règles changent la pratique mais pas la nature du métier. Lors de mon temps libre, je fais beaucoup de sport pour m'aérer l'esprit et je profite de mon fils !