Les trous noirs accrétant de la matière produisent autour d'eux l'équivalent de la couronne solaire étudiée avec Solar Orbiter. L'une de ses couronnes a disparu subitement en 2018 autour d'un trou noir supermassif à environ 300 millions d'années-lumière de la Voie lactée. La raison en est encore mystérieuse mais un scénario plausible a tout de même été esquissé.


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    Il y a presque 40 ans, en mars 1982, Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet et Brandon Carter publiaient dans le journal Nature un article exposant, calculs à l'appui, le scénario dit des crêpes stellaires. Pour comprendre l'origine de son nom, il faut savoir que les deux astrophysiciensastrophysiciens relativistes avaient montré qu'une étoile pénétrant imprudemment dans la zone définie par le rayon de marée d'un trou noir galactique supermassif devait d'abord être aplatie comme une crêpe par les forces de marée. Dans un second temps, expliquaient-ils, des réactions thermonucléaires devaient se produire au sein de l'étoile, conduisant à des détonations, capables de la disloquer en la faisant exploser sous la forme d'une supernova.

    Ce scénario a depuis été observé plusieurs fois grâce aux progrès fulgurants de l'astronomie observationnelle du XXIe siècle. Il semble qu'il soit la clé d'une énigme découverte il y a quelques années par une autre équipe d'astrophysiciens et qui concerne une galaxie de Seyfert, cataloguée sous la dénomination de 1ES 1927+654, comme les chercheurs l'expliquent dans un article publié dans Astrophysical Journal Letters, en accès libre sur arXiv.

    Rappelons que les galaxies de Seyfert (nommées d'après Carl Seyfert, qui a étudié ces objets à partir de 1943) sont des galaxies spirales caractérisées par un noyau extrêmement brillant et compact. Elles forment un des deux groupes importants de galaxies actives, l'autre groupe étant les quasarsquasars et, dans les deux cas, ces noyaux actifs de galaxiesnoyaux actifs de galaxies tireraient leurs formidables luminositésluminosités de processus d'accrétionaccrétion impliquant des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs de Kerr en rotation.


    En novembre 2014, un réseau de télescopes optiques a détecté une explosion lumineuse dans une galaxie à environ 290 millions d'années-lumière de la Terre. Les scientifiques ont déterminé qu'il s'agissait d'une étoile qui a erré trop près d'un trou noir et qui a été déchirée par d'immenses forces gravitationnelles de marée, comme dans le scénario des crêpes stellaires. Les astronomes ont utilisé des télescopes à haute énergie dans l'espace – l'observatoire aux rayons X Chandra de la Nasa, le XMM-Newton de l'ESA et l'observatoire Neil Gehrels Swift de la Nasa – pour étudier les rayons X émis par les restes de l'étoile tourbillonnant vers le trou noir au centre de la galaxie. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Chandra X-ray Observatory

    Une baisse de la luminosité du trou noir d’un facteur 10.000 en moins d’un an

    Comme l'explique l'astronomeastronome Erin Kara dans un communiqué du MIT, elle et ses collègues ont d'abord eu leur attention attirée, en mars 2018, par des observations concernant 1ES 1927+654 menées dans le cadre du All Sky Automated Survey for SuperNovaeSuperNovae (en français Relevé automatisé sur tout le ciel de supernovas), un programme automatique de recherche de nouvelles supernovae avec 20 télescopestélescopes robotisés répartis dans les deux hémisphères, sur cinq sites. Appelé en abrégé ASAS-SNSN (prononcé « assassin »), il  est en mesure d'étudier l'ensemble du ciel tous les jours à la recherche d'événements brillants transitoires. Et justement, au cours de ce mois de 2018, ASSA-SN a observé que la luminosité de 1ES 1927+654 a bondi à environ 40 fois sa luminosité normale.

    Rien de très étonnant de prime abord car un noyau actif de galaxie, un AGN, voit sa luminosité varier en moyenne de façon similaire mais, tout de même, cela valait la peine d'y regarder de plus près pour en apprendre plus sur les AGN, car ils influencent les galaxies où ils se trouvent. L'équipe a donc mobilisé périodiquement du temps d'observation de plusieurs télescopes pour scruter le trou noir supermassif au cœur de la galaxie de Seyfert à plusieurs longueurs d'ondelongueurs d'onde, allant des rayons Xrayons X au visible, en passant par l'ultravioletultraviolet. Les astronomes ont en particulier observé quotidiennement l'astreastre compact avec Nicer, un télescope à rayons X  installé à bord de l’ISS.

    Le résultat a été surprenant, une baisse abrupte de la luminosité du trou noir, d'un facteur 10.000, en moins d'un an.

    Erin Kara en a fait les commentaires suivants : « Nous nous attendions à ce que des changements de luminosité aussi importants se produisant sur des échelles de temps de plusieurs milliers à des millions d'années. Mais, avec cet astre, nous l'avons vu évoluer en luminosité d'un facteur 10.000 sur un an, et il a même changé d'un facteur 100 en huit heures, ce qui est tout simplement inédit et vraiment époustouflant. »

    Cette illustration à deux panneaux montre un trou noir entouré d'un disque de gaz, avant et après que le disque soit partiellement dispersé. Dans le panneau de gauche, la boule de lumière blanche au-dessus du trou noir se trouve dans la couronne du trou noir, une collection de particules de gaz ultra-chaudes qui se forment lorsque le gaz du disque tombe dans le trou noir. La traînée de débris tombant vers le disque est ce qui reste d'une étoile disloquée par la gravité du trou noir. Le panneau de droite montre le trou noir après que les débris de l'étoile ont dispersé une partie du gaz dans le disque, provoquant la disparition de la couronne. Un scénario plausible mais non démontré pour expliquer ce qu'il s'est passé en 2018 avec 1ES 1927+654. © Nasa, JPL
    Cette illustration à deux panneaux montre un trou noir entouré d'un disque de gaz, avant et après que le disque soit partiellement dispersé. Dans le panneau de gauche, la boule de lumière blanche au-dessus du trou noir se trouve dans la couronne du trou noir, une collection de particules de gaz ultra-chaudes qui se forment lorsque le gaz du disque tombe dans le trou noir. La traînée de débris tombant vers le disque est ce qui reste d'une étoile disloquée par la gravité du trou noir. Le panneau de droite montre le trou noir après que les débris de l'étoile ont dispersé une partie du gaz dans le disque, provoquant la disparition de la couronne. Un scénario plausible mais non démontré pour expliquer ce qu'il s'est passé en 2018 avec 1ES 1927+654. © Nasa, JPL

    Une crêpe stellaire qui déstabilise un disque d'accrétion ?

    L'amplitude de la baisse de luminosité, surtout dans le domaine des rayons X, ne peut que s'interpréter de la façon suivante d'après les astrophysiciens, la couronne du trou noir supermassif aurait totalement disparu sur environ une année.

    Cette couronne est similaire à la couronne solairecouronne solaire, aujourd'hui étudiée en particulier par la mission Solar Orbiter. Il s'agit donc d'un plasma à hautes températures mais non pas d'environ un million de degrés comme dans le cas du SoleilSoleil mais d'environ un milliard de degrés qui entoure les trous noirs accrétant de la matièrematière.

    Les astrophysiciens relativistes ne sont pas très sûrs de ce qui produit la couronne d'un trou noir mais en transposant la physiquephysique des plasmas et sa magnétohydrodynamique en espace-tempsespace-temps courbe pour décrire le comportement de la matière chauffée par son accrétion par un trou noir, ils ont quelques idées.

    Des champs magnétiqueschamps magnétiques sont produits dont les lignes de champs subiraient des processus de reconnexion magnétique proche de l’horizon des événements, de façon similaire à ce qui se passe derrière les éruptions solaires, qui reposent aussi sur la déformation de ses lignes de champs magnétiques. L'énergieénergie alors libérée par la reconnexion accélérerait à hautes énergies les particules du disque d'accrétiondisque d'accrétion au point de chauffer le plasma de la couronne à hautes températures.

    Comme l'a déclaré Erin Kara, la disparition brutale de la couronne d'un trou noir supermassif, quasi instantanée à l'échelle des temps cosmiques, c'est du jamais-vu de mémoire d'astrophysiciens. La raison en est encore inconnue, mais une explication a déjà été proposée qui, justement, repose sur le scénario des crêpes stellaires.

    L'étoile détruite par les forces de marée du trou noir au cœur de 1ES 1927+654 se serait aussi comportée comme un caillou lancé à la surface de l'eau et faisant des ricochets, en l'occurrence sur le disque d'accrétion. Les perturbations exercées par l'étoile, sa gravitégravité, ses mouvementsmouvements et son explosion auraient déstabilisé le disque d'accrétion et interrompu les reconnexions avec les lignes de champ magnétique. La production et le chauffage du plasma de la couronne se seraient interrompus et la matière de la couronne elle-même, ainsi que du disque, serait rapidement tombée à travers l'horizon des événementshorizon des événements.

    Une fois l'influence de l'étoile morte dissipée, la couronne devait donc se reconstituer et c'est bien ce qui a été ensuite observé. En quelques mois seulement, les télescopes ont montré que le trou noir avait en effet reformé un disque d'accrétion, de sorte qu'au final les émissionsémissions, notamment en rayons X, ont repris mais avec une luminosité encore un peu plus faible que celle d'origine.

    « Cela semble être la première fois que nous voyons une couronne de trou noir disparaître, mais aussi se reconstruire, et nous l'avons observé en temps réel, explique Erin Kara. Cette découverte  sera vraiment importante pour comprendre comment la couronne d'un trou noir est chauffée et alimentée », ajoute l'astronome.