Longtemps réticente à signer les « accords Artemis », notamment parce que par certains aspects ils peuvent apparaître en opposition avec le droit international en vigueur dans l’espace, la France est devenue le 20e pays à s’associer à ce programme d’exploration impulsé par les États-Unis. Étonnamment, ces accords entrent en contradiction avec deux traités fondateurs pour le droit dans l'espace. Nos explications.
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En marge de la célébration du 60e anniversaire du Cnes à la résidence de l'ambassadeur de France à Washington, Philippe Baptiste, président-directeur général du Cnes, en présence de Bill Nelson, administrateur de la Nasa, a signé les « accords Artemis ». Il faut aussi savoir que ces accords ne se cantonnent pas seulement à la Lune. Ils englobent aussi Mars, des comètes et des astéroïdes, y compris sur et sous leurs surfaces. Leur portée s'étend également jusqu'aux points de Lagrange du système Terre-Lune et en transittransit entre ces corps célestes et emplacements.
“Ces accords ne se cantonnent pas à la Lune. Ils englobent aussi Mars, des comètes et des astéroïdes”
Ces accords Artemisaccords Artemis, écrits par les États-Unis, listent et énoncent une série de principes et de normes qui encadrent les activités civiles d'exploration spatiale, qu'elles soient réalisées dans le cadre du programme Artemis de retour sur la Lune ou pas.
Des accords controversés
Néanmoins, ces accords posent problème. En effet, selon l'interprétation que l'on en fait, certains juristes considèrent que les accords Artemis entrent en contradiction avec l'esprit initial de plusieurs traités internationaux, dont le traité de l'espace de 1967 et le traité sur la Lune et les autres corps célestes de 1979.
Ces traités prévoient en effet tous deux un principe de non-appropriation : « la Lune et les autres corps célestes n'appartiennent à personne et ne peuvent donc pas faire l'objet d'un droit de propriété. Ils appartiennent à l'humanité tout entière (res communis)) ». Or, les accords Artemis prévoient « l'extraction et l'utilisation des ressources spatiales, y compris toute récupération à la surface ou au sous-sol de la Lune, de Mars, des comètes ou des astéroïdes », en estimant qu'elles peuvent « servir l'humanité en fournissant un soutien critique pour la sécurité et la durabilitédurabilité des opérations ». Plus préoccupant, en rejoignant les accords Artemis, les signataires affirment que « l'extraction ne constitue pas en elle-même une appropriation au sens de l'article 2 du traité de l'espace ».
Autre sujet de controverse et de préoccupation, ces accords prévoient des « safety zones » (zones de sécurité) à préserver de toute ingérence, qui comprennent des sites d'atterrissage historiquement importants de missions habitées ou robotiquesrobotiques, les artéfacts, les véhicules spatiaux et d'autres preuves d'activité sur les corps célestes. Dit autrement, on peut penser que les États-Unis et tous les États signataires s'octroient des droits de propriété dès lors qu'une de leur mission historique ou future se posera à un quelconque endroit de la Lune, de Mars ou d'un astéroïde par exemple. Le terme « historiquement important » peut faire sourire quand on sait que lors des prochaines décennies, toutes les missions d'exploration habitées qui se poseront n'importe où dans le Système solaire seront « historiquement importantes ». Avant que ces missions deviennent routinières, les membres des accords Artemis auront conquis de très nombreuses safety zones.
Cela dit, la France ne pouvait évidemment pas faire « bande à part » d'autant plus que depuis le début de la guerre entre la Russie et l'Ukraine, la situation internationale a significativement changé. À proprement parler, le conflit entre ces deux pays n'a pas précipité la signature de la France qui avait pris sa décision en novembre 2021, lors de la visite de la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris. Mais, comme le souligne le Cnes dans son communiqué de presse, les accords Artemis « offrent de nombreuses opportunités pour l'industrie et la recherche scientifique, tant au niveau national qu'européen. Des entreprises françaises du secteur sont déjà activement investies dans le programme Artemis. La signature de la France doit ainsi permettre de prolonger et d'approfondir ces coopérations mutuellement bénéfiques ». Ces quelques lignes résument l'intérêt qu'a la France à les rejoindre.
On notera que deux grandes puissances spatiales, la Chine et la Russie, n'ont pas signé les accords Artemis et il est peu probable que la Russie les signe un jour. Ces deux pays se sont publiquement opposés à ces accords, leur préférant un traité de coopération prévoyant la réalisation d'une base lunaire russo-chinoise.