L'Homme a des connaissances rudimentaires de chimie depuis des milliers d'années mais celles des anciens Égyptiens se révèlent plus avancées qu'on ne le pensait. Ceux-ci auraient été capables de réaliser de véritables synthèses chimiques, au moins pour certains cosmétiques.

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    La chimie a une très longue histoire : on peut dire qu'elle commence quand l'Homme a entrepris de contrôler les transformations de la matière, ce que l'on peut faire remonter à l'utilisation du feu pour cuire de la nourriture. L'extraction des métauxmétaux, des colorants, de l'alcool par distillation, de substances médicamenteuses par décoction ou simplement la percolationpercolation du café sont autant de pratiques anciennes qui relèvent de plein droit de la chimie. Bien sûr, il faudra attendre les XVIIe et, surtout, XVIIIe siècles, avec des chercheurs comme Robert Boyle, Henry Cavendish et Antoine Lavoisier, pour que la chimie scientifique prenne son essor. Mais avant cela, il existait incontestablement des savoirs de valeur dans ce domaine.

    On peut s'en convaincre avec la publication récente dans le journal Communications Chemistry d'un article exposant les travaux de chercheurs du Laboratoire de mesure du carbonecarbone 14 (plate-forme CEA, CNRS, IRDIRD, IRSN, ministère de la Culture) associé au musée du Louvre et qui montre que les Égyptiens de la haute Antiquité savaient déjà faire de véritables synthèses chimiques il y a 3.500 ans et que les anciens Grecs, un peu plus tard, en étaient également capables. Il ne s'agit pas là d'extraire un composé chimique, organique ou minéralminéral, d'un matériaumatériau, mais d'en fabriquer un tout nouveau à partir de composés initiaux.

    La désintégration du carbone 14 est à la base de la méthode de datation développée par Willard Libby en 1949. Elle lui vaudra le prix Nobel de physique en 1960. Toutefois, selon un autre prix Nobel, Emilio Segrè, elle lui aurait été suggérée par Enrico Fermi à l’occasion d’un séminaire à l’université de Chicago. Sur cette photo, on voit Willard Libby dans son laboratoire. ©<em> UC Regents </em>

    La désintégration du carbone 14 est à la base de la méthode de datation développée par Willard Libby en 1949. Elle lui vaudra le prix Nobel de physique en 1960. Toutefois, selon un autre prix Nobel, Emilio Segrè, elle lui aurait été suggérée par Enrico Fermi à l’occasion d’un séminaire à l’université de Chicago. Sur cette photo, on voit Willard Libby dans son laboratoire. © UC Regents 

    Des carbonates de plomb pour cosmétique

    La découverte s'est faite via la technique de datation au carbone 14datation au carbone 14 radioactif, qui est bien connue en archéologie, voire dans le domaine de la Préhistoire (la courte duréedurée de vie du carbone 14 limite cependant rapidement son usage dans le temps : on ne date pas avec elle des os de dinosauresdinosaures par exemple).

    En l'occurrence, il s'agissait de mesurer des quantités de cet isotopeisotope radioactif du carbone dans des carbonates de plombplomb utilisés comme ingrédients dans la peinture et les cosmétiques depuis l'Antiquité. D'ordinaire, c'est dans des restes d'organismes que cette technique de datation reposant sur la spectrométrie de massespectrométrie de masse par accélérateur est utilisée. Il a fallu l'adapter pour effectuer pour la première fois des mesures avec ces carbonates, ce qui est donc une grande première.

    Le saviez-vous ?

    Le carbone 14 est un isotope radioactif du carbone dont le taux dans l'atmosphère de la Terre varie en fonction de l'activité du Soleil, car notre Étoile produit un flux intense de protons constituant une part importante des rayons cosmiques frappant la Terre. Ces rayons génèrent indirectement un flux de neutrons qui entrent en collision avec les noyaux d'azote de la haute atmosphère, lesquels se transforment alors en cet isotope radioactif du carbone.

    La période radioactive du carbone 14 (temps au bout duquel la moitié de ses atomes s’est désintégrée en azote 14) est de 5.730 ans. Les plantes incorporent le carbone 14 via le CO2 et le transmettent à tout organisme par la chaîne alimentaire. Dès que l'organisme meurt, il n'incorpore plus de carbone 14. Ce dernier se désintègre alors progressivement et constitue donc une sorte de sablier mesurant le temps écoulé depuis la mort de l'organisme.

    Il s'agissait de vérifier une théorie avancée par des chimistes depuis une vingtaine d'années : ceux-ci pensaient que les Égyptiens étaient bel et bien capables de réaliser des synthèses chimiques, précisément celle de poudres à base de carbonate de plomb pour confectionner des cosmétiques. Les mesures des quantités de carbone 14 devaient permettre de faire la différence entre des carbonates d'origine naturelle et ceux produits par synthèse.

    De la phosgénite produite artificiellement 

    En effet, continuellement produits dans l'atmosphèreatmosphère et se désintégrant très rapidement à l'échelle géologique (qui est de l'ordre du million d'années), l'isotope carbone 14 ne doit plus exister dans des minérauxminéraux formés il y a longtemps. À l'inverse, si ces minéraux sont produits à l'airair libre par une synthèse chimique récente, de l'ordre de quelques milliers d'années par exemple, on cet isotope 14 sera présent en quantités anormalement élevées.

    Les chercheurs du CEA ont ainsi démontré que la phosgénite (PbCl2(CO3)2) a bien été produite artificiellement par les Égyptiens il y a environ 3.500 ans. En revanche, la cérusite naturelle (PbCO3) a d'abord été utilisée pour les cosmétiques par les Égyptiens avant que les anciens Grecs ne trouvent le moyen de la synthétiser.

    Ce n'est sans doute pas un hasard si l'on fait remonter les débuts de l'alchimie, et donc l'ancêtre de la chimie, à l'Égypte gréco-romaine, en particulier à Alexandrie. Par ailleurs, la technique d'analyse des carbonates de plomb avec le carbone 14 semble très prometteuse pour l'histoire de l'art : elle fournit un nouvel outil pour l'authentificationauthentification des peintures en datant notamment celles de la Renaissance.