La théorie prédisait bien qu'un certain nombre d'étoiles devaient être détruites chaque million d'années dans les galaxies par des trous noirs supermassifs, mais les observations démontraient qu'il y en avait moins que prévu et que ces événements catastrophiques étaient de plus moins lumineux qu'attendu. De nouvelles observations soutiennent maintenant l'idée qu'ils sont fréquents et dans toutes les galaxies à l'échelle du temps et de l'espace de l'Univers observable.
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Les scientifiques du MIT (Massachusetts Institute of Technology)) ont identifié 18 nouveaux TidalTidal disruption events (ou TDE), ce qui peut se traduire par « événements de rupture par effet de marée ». C'est ce qu'ils expliquent dans un article en accès libre sur arXiv mais publié dans The Astrophysical Journal.
Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet a été un des pionniers de l'étude théorique de ces TDE il y a presque 40 ans avec l'un des grands théoriciens des trous noirs, l'Australien Brandon Carter. Les deux astrophysiciensastrophysiciens relativistes, tous deux à l'Observatoire de Paris à cette époque, avaient exposé leurs travaux également dans un article du célèbre journal Nature en 1982, suivi d'un autre dans Astronomy & Astrophysics en 1983.
Une présentation du TDE désigné par ASASSN-19bt observé par Tess et Swift. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa Goddard
Ils y expliquaient qu'un TDE se produit avec une étoile dont la trajectoire trop rapprochée d'un trou noir supermassif conduit ses forces de marée à comprimer l'étoile jusqu'à produire ce qu'ils ont appelé une crêpe stellaire en raison de la forme de la déformation causée par ces forces. L'étoile pouvait finir par exploser en réponse, et ses débris étaient donc avalés en partie par l'astreastre compact.
Les TDE sont plutôt rares car on estime qu'il ne s'en produit qu'un tous les 10 000 à 100 000 ans à l'échelle des galaxiesgalaxies, alors que des supernovaesupernovae classiques n'arrivent que tous les 100 ans environ dans la Voie lactée. On les remarque difficilement car la poussière de notre Galaxie peut les rendre invisibles à l'œilœil nu, ce qui explique pourquoi certains restes de supernovae qui se sont produits au cours des derniers siècles dans la Voie lactéeVoie lactée n'ont été découverts qu'avec les instruments de l'astronomie moderne.
Une énergie mystérieusement manquante pour les TDE
En fait, jusqu'à maintenant, les prédictions théoriques quant à la fréquencefréquence des TDE dans les galaxies proches étaient en désaccord avec les observations de la dizaine de ceux déjà détectés (au total, en comptant les galaxies les plus lointaines connues avec TDE, on arrive à la centaine). On devait en voir plus et surtout dans toutes les galaxies. Or, bizarrement, la majorité semblait se produire dans des galaxies assez rares, venant juste à l'échelle cosmique d'arrêter d'être le lieu de flambées de formations d'étoiles (des systèmes « post-starburst » dans le jargon des astrophysiciens). On ne voyait pas vraiment pourquoi, mais on savait déjà que ces galaxies étaient pauvres en poussières.
Autre problème, les TDE devraient rayonner plus d'énergieénergie que ce qui a été réellement observé. Soit la théorie était fausse quelque part en ce qui concerne la luminositéluminosité intrinsèque de ces événements apocalyptiques, soit il fallait trouver où l'énergie manquante se trouvait. Ce sont précisément à ces questions que les chercheurs du MIT Kishalay De, Christos Panagiotou, Anna-Christina Eilers, Danielle Frostig et Robert Simcoe, un professeur adjoint de physiquephysique du MIT Erin Kara, ainsi que des collaborateurs de plusieurs institutions, dont l'Institut Max-PlanckPlanck de physique extraterrestre en Allemagne, pensent avoir trouvé des réponses.
Pour cela, ils ont développé un algorithme pour fouiller dans des données collectées dans l'infrarougeinfrarouge par la mission Neowise - la version renouvelée du Wide-field Infrared Survey Explorer, c’est dire Wise de la Nasa. Sa mission initiale consistait à réaliser une cartographie complète des sources infrarouges afin de repérer en particulier les astéroïdesastéroïdes au-dessus d'une certaine taille circulant dans le Système solaireSystème solaire, dont les géocroiseursgéocroiseurs, les étoiles peu visibles comme les naines brunesnaines brunes proches du Système solaire et enfin le SoleilSoleil d'autres étoiles cachées dans la Voie lactée derrière des nuages interstellairesnuages interstellaires. Neowise, la suite de la mission initiale, pouvait être utilisée pour chercher des sources puissantes mais « transitoires » dans l'infrarouge.
De fait, l'algorithme développé par Kishalay De a permis d'identifier un TDE survenu pour nous en 2015 dans la galaxie NGCNGC 7392, à environ 137 millions d'années-lumièreannées-lumière du Système solaire. Baptisé WTP14adbjsh, il était particulièrement brillant dans l'infrarouge mais pas dans le visible ni dans le domaine des rayons Xrayons X, et c'est pour cette raison que les autres étaient passés inaperçus. NGX 7392 est particulièrement poussiéreuse et devait bloquer aussi le rayonnement ultravioletultraviolet intense qui devait d'ordinaire être produit par un TDE.
Tout calcul fait, le bilan d'énergie rayonnée dans toutes les longueurs d'ondelongueurs d'onde, des rayons X à l'infrarouge en passant par le visible et l'ultraviolet, était en accord avec les prédictions.
Conférence plénière donnée par Jean-Pierre Luminet lors de la Conférence « Science at the Horizon : The Next-Generation Event Horizon Telescope », 22-26 février 2021. Université Harvard. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Jean-Pierre Luminet
Des TDE universels et tous les 50 000 ans en moyenne ?
L'algorithme a débusqué d'autres sources infrarouges transitoires pouvant être des TDE, sources qui ont été examinées de plus près en les croissant avec d'autres données formant un catalogue de toutes les galaxies proches connues dans un rayon de 200 mégaparsecs, soit 600 millions d'années-lumière. Ils ont découvert que les transitoires infrarouges pouvaient être retracés jusqu'à environ 1 000 galaxies. Comme l'explique un communiqué du MIT, les astrophysiciens « ont ensuite zoomé sur le signal du sursautsursaut infrarouge de chaque galaxie pour déterminer si le signal provenait d'une source autre qu'un TDE, comme un noyau galactique actif ou une supernova. Après avoir exclu ces possibilités, l'équipe a ensuite analysé les signaux restants, à la recherche d'un motif infrarouge caractéristique d'un TDE, à savoir un pic aigu suivi d'une baisse progressive, reflétant un processus par lequel un trou noir, en déchirant une étoile, chauffe soudainement la poussière environnante jusqu'à environ 1 000 kelvinskelvins avant de se refroidir progressivement ».
Le même communiqué conclut que « cette analyse a révélé 18 signaux "propres" d'événements de perturbation des marées. Les chercheurs ont étudié les galaxies dans lesquelles chaque TDE a été trouvé et ont constaté qu'ils se produisaient dans une gamme de systèmes, y compris des galaxies poussiéreuses, dans tout le ciel ».
On déduit de ces nouveaux TDE qu'il doit bien s'en produire environ un tous les 50 000 ans par galaxie, en accord avec la théorie initiale.