Avec l'annonce de la découverte de 62 nouveaux satellites irréguliers autour de la géante gazeuse, le nombre de compagnons connus de Saturne atteint désormais le nombre record de 145.


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    Depuis des décennies, JupiterJupiter et SaturneSaturne prennent tour à tour la tête de la course au plus grand nombre de satellites connus. Après les annonces de l'hiverhiver dernier qui avaient fait grimper le compteur de la géante orange à 95 satellites connus, c'est désormais la planète célèbre pour ses majestueux anneaux qui a vu son nombre de compagnons identifiés augmenter, et pas qu'un peu. En effet, ce sont 62 nouveaux satellites irréguliers de Saturne qui ont été découverts, ce qui a fait plus que doubler leur nombre, qui est passé de 59 à 121. En y ajoutant les 24 satellites réguliers connus, cela porteporte le nombre total de satellites connus de Saturne à 145, soit 50 de plus que Jupiter ! Saturne devient à cette occasion la première planète dont on connaît plus de 100 compagnons.

    Des dizaines de petits satellites dans la grande banlieue de Saturne

    Ce résultat remarquable est le fruit du travail d'une équipe internationale menée par Edward Ashton, actuellement chercheur postdoctoral à l'Institut d'astronomie et d'astrophysique de l'Academia Sinica, à Taïwan. Cette équipe comprend aussi Brett Gladman, professeur au département de physique et d'astronomie de l'Université de la Colombie-Britannique (Canada), Mike Alexandersen, du Harvard Smithsonian Center for Astrophysics (États-Unis), Jean-Marc Petit, de l'Observatoire de Besançon (France), et Matthew Beaudoin, également de l'Université de la Colombie-Britannique.

    Ces deux dernières décennies, les alentours de Saturne ont été scrutés à de multiples reprises pour y repérer des petites lunes avec une sensibilité toujours plus grande. Dans leur dernière étude, Edward Ashton et ses collaborateurs ont utilisé une technique nommée « déplacement et empilement » (« shift and stack » en anglais) afin de trouver des satellites moins brillants et donc plus petits. Cette technique avait précédemment été utilisée pour la recherche de satellites de Neptune et d'Uranus, mais jamais encore pour Saturne. Déplacer un ensemble d'images séquentielles à la vitesse de déplacement d'une lune dans le ciel permet d'augmenter le signal de ce compagnon quand les données sont combinées, ce qui permet à des satellites trop peu brillants pour être vus sur des images individuelles de se révéler sur l'image « empilée ». L'équipe a utilisé des données acquises avec le Télescope Canada-France-Hawaï (CFHTCFHT) entre 2019 et 2021. En déplaçant et en empilant de nombreuses images séquentielles acquises sur des duréesdurées de trois heures, l'équipe a été capable de détecter des lunes d'à peine 2,5 kilomètres de diamètre.

    Trouver un objet près de Saturne dans le ciel ne garantit pas qu'il s'agit d'un satellite : il pourrait aussi s'agir d'un astéroïdeastéroïde qui passe juste près de la planète, même si c'est peu probable. Pour certifier qu'un objet est bien en orbiteorbite autour de la planète, il doit être suivi pendant plusieurs années. Après avoir minutieusement fait correspondre des objets détectés lors de nuits différentes pendant deux ans, l'équipe a réussi à suivre 63 objets confirmés comme étant de nouveaux satellites. Une de ces lunes, désignée S/2019 S 1, avait été annoncée en 2021 ; le reste a commencé à être annoncé ces deux dernières semaines et devrait finir de l'être cette semaine. Pour certains objets, des observations remontant à plusieurs années ont été trouvées, lesquelles n'avaient pas permis à l'époque de déterminer leur orbite autour de Saturne.

    « Le suivi de ces lunes me rappelle le jeu des points à relier auquel je jouais enfant, parce que nous devons connecter les différentes apparitions de ces lunes dans nos données avec une orbite viable, mais avec à peu près 100 jeux différents sur la même page et sans savoir quel point appartient à quel jeu », explique Edward Ashton.

    Les trajectoires apparentes de quatre des nouveaux satellites (en couleurs) par rapport à Saturne (point noir au centre) au cours de la période 2019-2021. Les points colorés marquent les positions observées pour chaque lune, avec la courbe en pointillé montrant l'orbite qui les relie. S/2020 S 1 (bleu) et S/2020 S 3 (vert) appartiennent au groupe inuit, tandis que S/2007 S 7 (violet) et S/2019 S 5 (rouge) appartiennent au groupe nordique. © Ashton et al.
    Les trajectoires apparentes de quatre des nouveaux satellites (en couleurs) par rapport à Saturne (point noir au centre) au cours de la période 2019-2021. Les points colorés marquent les positions observées pour chaque lune, avec la courbe en pointillé montrant l'orbite qui les relie. S/2020 S 1 (bleu) et S/2020 S 3 (vert) appartiennent au groupe inuit, tandis que S/2007 S 7 (violet) et S/2019 S 5 (rouge) appartiennent au groupe nordique. © Ashton et al.

    Des groupes de satellites issus de collisions

    Tous ces nouveaux compagnons sont des satellites irréguliers, dont on pense qu'ils ont été capturés par la planète il y a longtemps. Les satellites irréguliers sont caractérisés par leur orbite large, elliptique et inclinée, contrairement aux satellites réguliers.

    Les satellites irréguliers ont tendance à former des groupes dont les membres ont une inclinaison orbitaleorbitale similaire. Dans le cas de Saturne, trois groupes sont ainsi définis : le groupe gaulois (inclinaison d'environ 36° par rapport à l'écliptiqueécliptique), le groupe inuit (environ 48°) et le groupe nordique (orbites rétrogrades, avec une inclinaison typiquement entre 140 et 180°). Ces trois groupes sont nommés d'après les mythologies desquelles sont tirés les noms attribués à leurs membres respectifs. Sur les 63 satellites découverts autour de Saturne depuis 2019, huit appartiennent au groupe inuit, deux au groupe gaulois et cinquante-trois au groupe nordique. Ce dernier groupe est de loin le plus peuplé, rassemblant à lui seul 99 satellites connus. Le groupe inuit a désormais quinze membres identifiés tandis que le groupe gaulois en a sept. Tous ces objets sont situés à des distances comprises entre 11 et un peu plus de 25 millions de kilomètres de Saturne.

    On pense que ces groupes sont le résultat de collisions : les satellites actuels d'un groupe donné seraient les produits d'une ou plusieurs collisions qu'auraient subies les satellites initialement capturés par la planète. Une meilleure compréhension de la distribution des orbites nous donne ainsi des indices sur l'histoire collisionnelle du système de lunes irrégulières de Saturne. À partir de son étude passée de ces objets, l'équipe a suggéré que le grand nombre de petites lunes sur des orbites rétrogrades découle de la destruction relativement récente (en termes astronomiques, c'est-à-dire dans les 100 derniers millions d'années) d'un satellite irrégulier de taille intermédiaire, maintenant brisé en de nombreux fragments qui sont catalogués dans le groupe nordique.

    Selon Jean-Marc Petit, « l'étude des lunes irrégulières nous renseigne sur les phases finales de la formation du Système solaire. Mais les avantages obtenus à observer les planètes plus proches (lunes plus brillantes) sont compensés par une plus grande région à observer, et des prises de vue plus courtes avant que la lune ne bouge sur l'image, donc il n'y a pas de planète plus facile à étudier qu'une autre ».