Une nouvelle approche pour simuler la naissance il y a 4,56 milliards d'années des planétésimaux, les briques des planètes du Système solaire, décrit comme jamais la population de ceux qui en sont aujourd'hui les fossiles sous forme d'astéroïdes et de comètes. La nouvelle théorie est testable avec les troyens de Jupiter.


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    Deux astrophysiciensastrophysiciens, Brooke Polak de l'université de Heidelberg et Hubert Klahr de l'Institut Max-PlanckPlanck d'astronomie (MPIA), en Allemagne, viennent de renouveler la théorie de la cosmogonie du Système solaire et de montrer à nouveau qu'il s'agit d'un sujet absolument fascinant qui combine des considérations savantes de mécanique céleste, d'hydrodynamique et de théorie cinétique des gaz, et bien sûr aussi de cosmochimie.

    Avec des simulations plus détaillées que jamais, ils ont modélisé une phase clé de la formation des planètes dans notre Système solaire dans une publication de The Astrophysical Journal que l'on peut trouver en accès libre sur arXiv. Il s'agissait de mieux comprendre comment une fois la coalescence des poussières terminée sous l'effet des forces de van Walls dans le disque protoplanétaire initial il y a 4,56 milliards d'années environ, coalescence ayant formé des cailloux (Peebles, en anglais) de quelques millimètres à quelques centimètres de taille, on était passé à des planétésimaux, des corps rocheux irréguliers d'une dizaine à quelques centaines de kilomètres de taille.

    Ces planétésimaux allant ensuite entrer en collision les uns avec les autres et faire croître par accrétion quelques corps qui vont devenir des embryonsembryons de planètes et finalement des planètes. Cette dernière phase ayant été plutôt bien comprise assez tôt, même si du travail de recherche reste encore à accomplir à son sujet pour vraiment comprendre comment le Système solaire actuel s'est formé et a évolué quelques centaines de millions d'années après la naissance du SoleilSoleil.

    Faisons quelques rappels de choses déjà expliquées dans de précédents articles de Futura sur la cosmogonie planétaire pour comprendre de quoi il en retourne. La théorie scientifique moderne à ce sujet commence à se constituer dès le XIXe siècle lorsque la science positive - pour reprendre les mots d'Auguste Comte - s'approprie l'étude de l'origine du Système solaire en se basant initialement sur les réflexions et les idées d'Emmanuel Kant et Pierre Laplace sur la formation par effondrementeffondrement gravitationnel, à partir d'un nuagenuage de matièrematière d'un disque protoplanétaire entourant le jeune Soleil et où la matière initialement chauffée par cet effondrement, ou par une autre raison, va se condenser en donnant les planètes.

    Au tout début du XXe siècle, bien des théories cosmogoniques ont déjà été proposées à la suite des précédentes et elles sont magistralement exposées dans le traité de Poincaré. Toutefois, il est juste de dire pour la cosmogonie du Système solaire que l'équivalent de la révolution scientifique apportée par NewtonNewton en physiquephysique et astronomie ne prend vraiment corps qu'au cours des années 1960 à 1970, dans le cadre de la théorie de l'accrétion développée initialement et principalement par le Russe Viktor Safronov et l'Américain George Wetherill.


    Le Système solaire est un laboratoire pour étudier la formation des planètes géantes et l'origine de la Vie que l'on peut utiliser conjointement avec le reste de l'Univers, observable dans le même but. Mojo : Modeling the Origin of JOvian planets, c'est-à-dire modélisation de l'origine des planètes joviennes, est un projet de recherche qui a donné lieu à une série de vidéos présentant la théorie de l'origine du Système solaire et en particulier des géantes gazeuses par deux spécialistes réputés, Alessandro Morbidelli et Sean Raymond. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Laurence Honnorat

    Les planétésimaux de Chamberlin-Moulton

    Il a en a résulté un scénario de la formation des planètes basé sur la physique et la chimie du Système solaire qui dans ses grandes lignes est accepté aujourd'hui, étant en plus soutenu par les observations concernant de jeunes systèmes planétaires en formation. Une bonne présentation en est donnée dans une série de vidéos dont la première est avec les explications, ci-dessus, de Alessandro Morbidelli, l'astronomeastronome et planétologue italien de l'observatoire de la Côte d'Azur, particulièrement connu pour ses travaux sur la dynamique du Système solaire, et Sean Raymond, chercheur au Laboratoire d'astrophysiqueastrophysique de Bordeaux, également bien connu pour ses travaux dans le même domaine.

    On fait ainsi connaissance dans cette vidéo avec l'hypothèse des planétésimaux dite de Chamberlin-Moulton, initialement proposée en 1905 par le géologuegéologue Thomas Chrowder Chamberlin et l'astronome Forest Ray Moulton pour décrire la formation du Système solaire. Elle faisait intervenir toute une série de petits corps dispersés dans un plan orbital autour du Soleil, des briques de futures planètes, qui allaient s'attirer gravitationnellement pour entrer en collision et se coller en faisant croître les embryons de planètes résultant par effet boule de neige, c'est-à-dire précisément le mécanisme de base derrière les calculs de Safronov et Whetherill.

    Un des problèmes tenaces qui a été rencontré pour développer complètement cette théorie a été baptisé le problème du mètre, et il signifiait tout simplement que l'on avait du mal à faire croître dans le disque protoplanétaire des corps de plus d'un mètre de diamètre. Comme l'explique le communiqué du MPIA, ce problème a été en partie résolu au cours de la décennie précédente en faisant intervenir des structures turbulentes dans le disque protoplanétaire et la nouvelle simulation numériquesimulation numérique faite par Brooke Polak et Hubert Klahr à partir de paquetspaquets de cailloux centimétriques, elle aussi ne rencontre pas ce problème dont Futura avait parlé avec une interview en deux parties de l'astrophysicien français Pierre Barge.

    Comparaison entre les prédictions de Polak et Klahr pour la distribution de masse des astéroïdes (cercles rouges), par rapport aux observations (cercles blancs). L'axe horizontal montre la taille des astéroïdes en question, et l'axe vertical montre la fraction de la masse totale du « nuage » de cailloux qui se retrouve dans des astéroïdes plus grands ou égaux à la valeur de taille choisie. Si la masse totale devait se retrouver dans un seul astéroïde, cet astéroïde aurait eu 152 km de diamètre. Tant dans la prédiction que d'après les observations, 84 % de la masse totale des astéroïdes se retrouve dans des objets entre 90 km et 152 km de diamètre. Dans l'ensemble, les astéroïdes primordiaux suivent (ligne bleue) une distribution normale (gaussienne) en masse avec une taille très probable de 125 km. Les prédictions supposent toutes la même masse initiale pour chaque « nuage » de cailloux. © H.Klahr, MPIA
    Comparaison entre les prédictions de Polak et Klahr pour la distribution de masse des astéroïdes (cercles rouges), par rapport aux observations (cercles blancs). L'axe horizontal montre la taille des astéroïdes en question, et l'axe vertical montre la fraction de la masse totale du « nuage » de cailloux qui se retrouve dans des astéroïdes plus grands ou égaux à la valeur de taille choisie. Si la masse totale devait se retrouver dans un seul astéroïde, cet astéroïde aurait eu 152 km de diamètre. Tant dans la prédiction que d'après les observations, 84 % de la masse totale des astéroïdes se retrouve dans des objets entre 90 km et 152 km de diamètre. Dans l'ensemble, les astéroïdes primordiaux suivent (ligne bleue) une distribution normale (gaussienne) en masse avec une taille très probable de 125 km. Les prédictions supposent toutes la même masse initiale pour chaque « nuage » de cailloux. © H.Klahr, MPIA

    Une modélisation nouvelle de l'effondrement gravitationnel formant les planétésimaux

    L'idée qui ne change pas c'est que tout part de paquets de cailloux piégés dans des zones de surdensités, des « nuages », qui suite à des instabilités vont s'effondrer gravitationnellement en donnant directement des planétésimaux.

    Ces planétésimaux continuent ensuite de croître via des collisions mutuelles, jusqu'à ce que le plus grand atteigne à peu près la taille de la lunelune et commence à accumuler efficacement des cailloux, donnant les planètes rocheusesplanètes rocheuses du Système solaire et ailleurs éventuellement des super-Terressuper-Terres en transposant aux exoplanètesexoplanètes sa cosmogonie. Une fois que cet embryon dépasse plus de 10 massesmasses terrestres environ, un effondrement gravitationnel du gaz présent dans le disque protoplanétaire va brutalement se produire donnant nos géantes gazeusesgéantes gazeuses et de glace.

    On pense que les astéroïdesastéroïdes, les objets de la ceinture de Kuiperceinture de Kuiper (KBO pour Kuiper belt object, en anglais) et les comètescomètes sont les planétésimaux restants du processus de formation des planètes. Par conséquent, les observations et la compréhension théorique de ces objets nous donnent un aperçu des propriétés de la population planétésimale d'origine, bien qu'après 4,5 milliards d'années d'évolution dans le Système solaire les calculs menés par Polak et Klahr devaient donc si possible produire une population de planétésimaux de différentes tailles. Toute la question était de savoir si elle allait reproduire la distribution observée dans le Système solaire avec les astéroïdes et les petits corps célestes, de la Ceinture principale entre Mars et JupiterJupiter à la Ceinture de Kuiper en passant, notamment, pas les astéroïdes troyensastéroïdes troyens de Jupiter dont certains vont bientôt être visités par la mission Lucy.

    Les résultats obtenus sont particulièrement bluffants, même s'il faut tenir compte d'une fragmentation des astéroïdes dans la Ceinture principale à cause des collisions, ce que l'on sait faire.

    Une théorie testable avec la mission Lucy

    En particulier, les simulations prédisent bien que l'on doit trouver des planétésimaux qui se forment par paires dont la moitié sont proches les uns des autres dans ces systèmes binairessystèmes binaires à une distance d'environ quatre fois la taille des planétésimaux eux-mêmes. C'est bien ce que l'on semble observer.

    Une autre prédiction concerne la présence de « lunes » autour de planétésimaux, exactement là aussi avec les caractéristiques de celles observées autour de certains KBOs.

    Mais un test particulièrement probant de ces simulations devrait arriver dans quelques années avec la mission LucyLucy qui va explorer certains des troyens de Jupiter. En effet, dans la majorité des cas, les planétésimaux binaires ne doivent pas se former par capture mutuelle selon les simulations mais bien, on l'a dit, se former ensemble par effondrement et fragmentations des « nuages » de cailloux primordiaux dans le disque protoplanétaire.

    En observant de près les astéroïdes cibles prévus, Lucy devrait pouvoir établir que leurs compositions sont donc identiques comme l'explique Hubert Klar : « La mission Lucy visitera plusieurs d'entre eux au cours des prochaines années. En mars 2033, elle passera non loin des astéroïdes Patrocle et Ménétios. Chacun mesure 100 kilomètres et les deux orbitent à une distance de seulement 680 kilomètres. Notre prédiction est que ces deux-là auront la même couleurcouleur et la même apparence extérieure, car nous nous attendons à ce qu'ils se soient formés à partir d'un seul et même nuage. Des jumeaux identiques depuis la naissance. ».