Les premières étoiles ne peuvent pas être nées ni avoir été exactement comme le font et sont les étoiles que l'on observe aujourd'hui dans la Voie lactée. Un des scénarios de leur naissance a laissé des traces dans les étoiles les plus vieilles de la Galaxie selon une équipe de chercheurs de l'Institut Kavli pour la physique et les mathématiques de l'Univers (Kavli IPMU) au Japon, traces qu'a révélées l'apprentissage automatique (machine learning en anglais).


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    Le satellite Planck nous a permis d'observer et d'étudier comme jamais la plus vieille lumière du cosmoscosmos, le rayonnement fossile, émis environ 380 000 ans après le Big BangBig Bang. Ce rayonnement conforte la théorie de la matière noirematière noire froide qui permet aux galaxies de se former très vite par la suite, sans quoi elle n'existerait pas encore aujourd'hui bien que la question ne soit pas encore tranchée si l'on considère au lieu de la matière noire une modification de la théorie de la gravitation dans le cadre de Mond.

    Entre la naissance du rayonnement fossile et l'apparition des premières galaxies il y a la formation des premières étoiles par effondrementeffondrement gravitationnel de nuagesnuages d'hydrogènehydrogène et d'héliumhélium contenant quelques traces de lithiumlithium, mais au début point d'éléments lourds comme l'oxygèneoxygène, le carbonecarbone et l'azoteazote des cellules de notre corps. Tous ces éléments lourds sont appelés par les astrophysiciensastrophysiciens des « métauxmétaux ». Ils vont être fabriqués par des générations successives d'étoiles avec notamment des réactions de fusionfusion thermonucléaire et finalement des explosions sous la forme de supernovaesupernovae.

    Les nouveaux noyaux produits de cette manière vont être injectés dans le milieu interstellaire où la matière continue de s'effondrer en donnant de nouvelles étoiles qui à leur tour produiront de nouveaux noyaux. Il y a donc tout un cycle qui fait évoluer chimiquement la matière cosmique.


    Depuis environ 13,8 milliards d’années, l’Univers n’a cessé d’évoluer. Contrairement à ce que nous disent nos yeux lorsque l’on contemple le ciel, ce qui le compose est loin d’être statique. Les physiciens disposent des observations à différents âges de l’Univers et réalisent des simulations dans lesquelles ils rejouent sa formation et son évolution. Il semblerait que la matière noire ait joué un grand rôle depuis le début de l’Univers jusqu’à la formation des grandes structures observées aujourd’hui. © CEA Recherche

    Les populations d'étoiles et l'histoire du cosmos

    De nos jours, l'existence de poussières silicatées et carbonées influe sur la formation des étoiles qu'elles facilitent. Pour des conditions de pressionspressions et de températures données, un nuage de matière va alors s'effondrer et se fragmenter en donnant des amas de jeunes étoiles, souvent sous forme initiale de systèmes binairessystèmes binaires et parfois multiples, comme Alcor et Mizar qui forment un système triplement binaire.

    Mais comme ces poussières n'existaient pas encore après l'émissionémission du rayonnement fossile, les premières étoiles ne pouvaient pas se former selon un scénario qui se répète depuis au moins 13 milliards d'années. Il existe des modèles théoriques et des simulations numériquessimulations numériques de la naissance des premières étoiles et on cherche à les contraindre par des observations indirectes.

    C'est précisément ce qu'a fait une équipe de chercheurs affiliésaffiliés à l'Institut Kavli pour la physiquephysique et les mathématiques de l'UniversUnivers (Kavli IPMU) au Japon. Ils viennent de publier les résultats de leurs travaux dans la célèbre revue The Astrophysical Journal sous la forme d'un article dont on peut trouver une version en accès libre sur arXiv.

    Les astrophysiciens et les cosmologistes ont l'habitude de parler de trois populations d'étoiles depuis la classification de celles de la Voie lactéeVoie lactée en 1944 par Walter Baade. Il y a la population I enrichie en « métaux » et dont les étoiles sont âgées de 10 milliards d'années tout au plus. Le SoleilSoleil en fait partie.

    Il y a ensuite la population II, la plus âgée, qui contient les étoiles les plus pauvres en métaux. La population IIIpopulation III a disparu, il s'agissait de la première génération d'étoiles et on pense qu'elles étaient massives, voire très massives, au point de former peut-être les germesgermes des trous noirs supermassifs. La théorie de l'évolutionthéorie de l'évolution stellaire nous dit qu'elles ont donc dû évoluer très rapidement, vivant moins d'un million d'années avant d'exploser en supernovae après avoir synthétisé les premiers éléments lourds.

    On pensait jusqu'à présent que la fragmentation des nuages primordiaux donnant les premières étoiles de population III donnait des astresastres isolés et que les premières étoiles de population II, avec en particulier les plus pauvres en métaux que les astrophysiciens appellent des « extremely metal-poor stars », des EMP, naissaient donc dans les restes de supernovae d'une seule étoile de population III. Mais de récentes simulations numériques laissaient entendre qu'en fait ces étoiles formaient déjà des amas, certes plus petits et moins riches en étoiles que ceux observés de nos jours sous forme de pouponnières stellaires.

    Une illustration schématique des relations entre les  supernovae de la première génération d'étoiles et les spectres observés d'étoiles extrêmement pauvres en métaux de la seconde génération. Les éjectas des supernovae enrichissent l'hydrogène et l'hélium gazeux vierges avec des éléments lourds dans l'Univers (objets cyan, verts et violets entourés de nuages ​​de matière éjectée). Si les premières étoiles naissent comme un système stellaire multiple plutôt que comme une seule étoile isolée, les éléments éjectés par les supernovae sont mélangés et incorporés dans la prochaine génération d'étoiles. Les abondances chimiques caractéristiques d'un tel mécanisme sont conservées dans l'atmosphère des étoiles de faible masse à longue durée de vie observées dans notre Voie lactée. L'équipe du Kavli IPMU a inventé un algorithme d'apprentissage automatique pour distinguer si les étoiles observées ont été formées à partir des éjectas d'une seule étoile de première génération (petites étoiles rouges) ou de plusieurs (petites étoiles bleues), sur la base des abondances des éléments mesurées à partir des spectres des étoiles. © Kavli IPMU
    Une illustration schématique des relations entre les  supernovae de la première génération d'étoiles et les spectres observés d'étoiles extrêmement pauvres en métaux de la seconde génération. Les éjectas des supernovae enrichissent l'hydrogène et l'hélium gazeux vierges avec des éléments lourds dans l'Univers (objets cyan, verts et violets entourés de nuages ​​de matière éjectée). Si les premières étoiles naissent comme un système stellaire multiple plutôt que comme une seule étoile isolée, les éléments éjectés par les supernovae sont mélangés et incorporés dans la prochaine génération d'étoiles. Les abondances chimiques caractéristiques d'un tel mécanisme sont conservées dans l'atmosphère des étoiles de faible masse à longue durée de vie observées dans notre Voie lactée. L'équipe du Kavli IPMU a inventé un algorithme d'apprentissage automatique pour distinguer si les étoiles observées ont été formées à partir des éjectas d'une seule étoile de première génération (petites étoiles rouges) ou de plusieurs (petites étoiles bleues), sur la base des abondances des éléments mesurées à partir des spectres des étoiles. © Kavli IPMU

    L'archéologie stellaire laisse des traces dans la cosmochimie

    Les EMP devaient donc naître dans des nuages de matières contenant la production en éléments lourds de plusieurs étoiles de population III, des étoiles pouvant d'ailleurs aussi se retrouver sous forme de système stellairesystème stellaire multiple.

    Il se trouve que si cette hypothèse est exacte, elle se traduit par des compositions bien spécifiques avec des abondances en éléments qui le sont tout autant dans les atmosphèresatmosphères des étoiles des populations d'EMP que l'on peut étudier.

    Les chercheurs du Kavli IPMU, menés par Tilman Hartwig, ont alors eu l'idée d'utiliser les possibilités offertes par l'apprentissage machine, le machine learningmachine learning comme on dit en anglais (une bonne introduction à l'IAIA avec l'apprentissage machine se trouve dans le livre de Jean-Claude HeudinJean-Claude Heudin). Un algorithme d'apprentissage automatique supervisé, nourri des modèles théoriques de nucléosynthèsenucléosynthèse des supernovae, leur a permis d'étudier et de classifier plus de 450 étoiles extrêmement pauvres en métaux, observées à ce jour dans la Voie lactée. Ils ont ainsi découvert qu'environ 68 % des EMP étudiées ont une empreinte chimique compatible avec l'enrichissement par plusieurs supernovae précédentes issues d'étoiles de population III.

    De fait, cela permet à Hartwig d'expliquer dans un communiqué du Kavli IPMU que « la multiplicité des premières étoiles n'était prédite qu'à partir de simulations numériques, et il n'y avait aucun moyen de tester par des observations cette prédiction théorique jusqu'à présent. Notre résultat suggère que la plupart des premières étoiles se sont formées en petits amas, de sorte que plusieurs de leurs supernovae peuvent contribuer à l'enrichissement en métal du milieu interstellaire précoce ».

    Le même communiqué explique aussi que dans un futur proche un bien plus grand nombre d'EMP et de données spectrales les concernant sera disponible, notamment grâce au Prime Focus Spectrograph équipant le télescopetélescope japonais Subaru à Hawaï.

    Mais les chercheurs vont plus loin. Le fait que les premières étoiles devaient pouvoir se retrouver parfois sous forme de système binaire dans les petits amas qu'elles formaient laisse penser qu'elles pourraient donner des sources d'ondes gravitationnellesondes gravitationnelles que les prochaines générations de détecteurs dans l'espace, comme eLisa à l'horizon des années 2030, pourront tester.

    En tout état de cause, l'étude des premières étoiles peut nous renseigner sur des époques encore mystérieuses de l'histoire du cosmos observable, celle des âges sombresâges sombres et surtout celle de la réionisationréionisation.


    Une conférence sur la première génération d'étoiles dans l'Univers après le Big Bang. © Institut d'Astrophysique de Paris