L'une des grandes énigmes de l'astrophysique concerne la mort des galaxies, c'est-à-dire le fait que l'on constate que certaines d'entre elles ne forment plus d'étoiles depuis des milliards d'années, largement vidées de la matière nécessaire pour cela. On soupçonne l'influence des trous noirs supermassifs accrétant de la matière au point de devenir de prodigieux noyaux actifs de galaxies, les quasars. Alma vient de renouveler notre connaissance du premier découvert par la noosphère, le mythique 3C273.


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    3C 273 est une star dans le domaine de l'astrophysique et de la cosmologie. Derrière ce nom, qui signifie en premier lieu qu'il est le 273e objet du troisième catalogue de Cambridge recensant les sources radio, on trouve le quasar le plus brillant du ciel. Il a été découvert dans la constellation de la Vierge et on sait aujourd'hui que cette source radio est produite par un trou noir supermassif -- contenant environ 887 millions de massesmasses solaires -- que l'on observe tel qu'il était il y a environ 2,44 milliards d'années.

    3C 273 est le quasar le plus étudié, avec de célèbres images prises par les télescopestélescopes Hubble et ChandraChandra montrant notamment un jet de matièrematière long d'environ 210.000 années-lumièreannées-lumière et qui provient d'une galaxie elliptiquegalaxie elliptique contenant le quasar. Sa découverte au début des années 1960 a pavé la voie à l'acceptation de la théorie du Big BangBig Bang comme le nouveau paradigme de la cosmologie.

    L'<em>Advanced Camera for Surveys</em> (ACS) du télescope spatial Hubble a fourni la vue la plus claire à ce jour en lumière visible du quasar 3C 273. Son jet est bien visible en bas à droite. Les structures radiales sont, quant à elles, un effet d'optique de la nature ondulatoire de la lumière dans un télescope. © Nasa/ESA et J. Bahcall (IAS)
    L'Advanced Camera for Surveys (ACS) du télescope spatial Hubble a fourni la vue la plus claire à ce jour en lumière visible du quasar 3C 273. Son jet est bien visible en bas à droite. Les structures radiales sont, quant à elles, un effet d'optique de la nature ondulatoire de la lumière dans un télescope. © Nasa/ESA et J. Bahcall (IAS)

    On sait depuis que les trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs qui sont derrière la formidable énergieénergie des quasars -- brillant plus, à eux seuls, que toutes les étoilesétoiles des galaxies qui les contiennent --, provient de l'accrétionaccrétion de grandes quantités de gazgaz. Les ventsvents de matière et le rayonnement qui sont produits par cette accrétion peuvent affecter le contenu en gaz des galaxies et le taux de formation des étoiles à partir de ce gaz. On sait aussi qu'il existe une relation de proportionnalité entre la masse des trous noirs supermassifs et celles des galaxies qui l'hébergent dans l'immense majorité des cas, ce qui implique que les deux objets croissent ensemble.

    Il y a donc des relations complexes mais toujours mal comprises entre des processus de croissance de ces deux objets et le fait que l'on constate que des galaxies finissent par mourir, c'est-à-dire à ne plus former d'étoile, du fait de leur appauvrissement en gaz. Pour y voir plus clair, il faut pouvoir étudier de plus près les galaxies qui contiennent des quasars et une nouvelle illustration de ce type de recherche vient d'être donnée par une équipe d'astrophysiciensastrophysiciens japonais via une publication dans le célèbre périodique The Astrophysical Journal. L'article en question est comme souvent en accès libre sur arXiv.

    Le saviez-vous ?

    Il y a environ cinquante ans, la technique des occultations a permis de déterminer la contrepartie dans le visible de ce qui n'était alors qu'une étonnante source radio puissante, 3C 273. Lorsque Maarten Schmidt, un astronome néerlandais, a ensuite fait l’analyse spectrale de la lumière de l’astre toujours dans le visible, il découvrit avec stupéfaction des lignes d’émissions de l’hydrogène fortement décalées vers le rouge. Or 3C 273 apparaissait dans le visible comme une étoile alors que ce résultat impliquait qu’il se situât en dehors de la Voie lactée à une distance cosmologique. Pour être observable d’aussi loin, l’objet devait donc être d’une luminosité prodigieuse. D’autres quasi-stellar radio sources, des quasars selon la dénomination proposée en 1964 par l’astrophysicien d’origine chinoise Hong-Yee Chiu, n’allaient pas tarder à être découverts. On en connaît aujourd’hui plus de 200.000.

    Les astrophysiciens ont très tôt cherché à comprendre la nature de ces astres qui, bien que libérant d’énormes quantités d’énergie, semblaient être de petite taille. On a d’abord pensé qu’il pouvait s’agir d’énormes étoiles dominées par les effets de la relativité générale, notamment responsable du décalage spectral, avant d’envisager assez rapidement qu’il pouvait s’agir de trous noirs supermassifs accrétant d’importantes quantités de gaz. Dans le bestiaire des astres relativistes que l’on commençait à explorer sérieusement pendant les années 1960, certains, comme le Russe Igor Novikov et l'Israélien Yuval Ne'eman, ont même proposé que les quasars soient en fait des trous blancs. C’est-à-dire soit des régions de l’Univers dont l’expansion au moment du Big Bang avait été retardée (hypothèse des lagging core), soit l’autre extrémité de trous de vers éjectant la matière qu’ils avaient absorbée sous forme de trous noirs dans une autre partie du cosmos, voire dans un autre univers.

    • Pour tout savoir des quasars, consultez ici un extrait de la plateforme TV-Web-cinéma Du Big Bang au Vivant qui couvre les plus récentes découvertes dans le domaine de l'astrophysique et de la cosmologie, proposée par Jean-Pierre Luminet

    Une plage dynamique multipliée par 850 pour percer les secrets de 3C 273

    Les chercheurs ont conduit leurs travaux en utilisant l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array ou Alma (en français : grand réseau d'antennes millimétrique/submillimétrique de l'Atacama). Pour obtenir avec Alma plus de détails sur la galaxie de 3C 273, il leur a fallu trouver une nouvelle technique de traitement de l'image pour atteindre une plage dynamique plus élevée avec les images numériquesnumériques que permet de former le radiotélescoperadiotélescope.

    Rappelons, pour faire simple, que pour ces images, comme celles que l'on peut prendre avec des capteurs CCD, la plage dynamique est l'intervalle de valeur de luminositéluminosité que peut représenter l'image. Or, dans un environnement naturel, il existe de très grandes amplitudes lumineuses entre les différents pixelspixels d'une image numérique de sorte que l'on peut obtenir des informations et des détails d'autant plus importants que la plage dynamique l'est.

    D'ordinaire, les plages d'imagerie dynamiques pour les fréquencesfréquences disponibles avec Alma sont de l'ordre de 100 dans l'unité de mesure appropriée pour les définir. Les astrophysiciens japonais ont réussi à obtenir un contrastecontraste entre les tons les plus clairs et les plus sombres d'une image d'Alma de l'ordre de 85.000, un record avec Alma pour les objets extragalactiques.

    L'image de gauche montre le quasar 3C 273 observé par le télescope spatial Hubble (HST), les rayons lumineux sont un effet d'optique. En bas à droite de l'image de Hubble se trouve un jet de haute énergie produit par un trou noir central. L'image de droite en fausses couleurs est prise dans le domaine radio avec Alma, montrant l'émission radio faible et étendue (en couleur bleu-blanc) autour du noyau actif de la galaxie elliptique (la source lumineuse centrale a été soustraite de l'image) alors que le même jet que sur l'image de gauche peut être vu en orange. © Komugi et <em>al.</em>, Nasa/ESA <em>Hubble Space Telescope</em>
    L'image de gauche montre le quasar 3C 273 observé par le télescope spatial Hubble (HST), les rayons lumineux sont un effet d'optique. En bas à droite de l'image de Hubble se trouve un jet de haute énergie produit par un trou noir central. L'image de droite en fausses couleurs est prise dans le domaine radio avec Alma, montrant l'émission radio faible et étendue (en couleur bleu-blanc) autour du noyau actif de la galaxie elliptique (la source lumineuse centrale a été soustraite de l'image) alors que le même jet que sur l'image de gauche peut être vu en orange. © Komugi et al., Nasa/ESA Hubble Space Telescope

    Les chercheurs ont alors découvert autour du trou noir supermassif un halo d'émissionsémissions radio peu lumineuses mais s'étendant sur plusieurs dizaines de milliers d'années-lumière. D'ordinaire, ces émissions radio intra-galactiques diffuses sont produites par le rayonnement synchrotronrayonnement synchrotron des électronsélectrons relativistes à grandes vitessesvitesses, souvent dans des champs magnétiqueschamps magnétiques. Mais l'intensité de ce type de rayonnement est donnée par un spectrespectre qui varie avec la fréquence, ce qui n'est pas le cas pour le halo de 3C 273. En fait la courbe du spectre est plate.

    Un halo radio d'hydrogène ionisé ?

    Un temps déconcertés par cette observation, les astrophysiciens ont finalement trouvé une explication plausible. L'émission proviendrait des distributions d'hydrogènehydrogène dans le milieu interstellaire de la galaxie elliptique, ionisées partiellement par le rayonnement propre à la matière accrétée par le trou noir central. La quantité de matière ionisée est loin d'être négligeable car elle est estimée à entre 10 à 100 milliards de masses solaires. Le spectre total de la lumière rayonnée par le gaz ionisé doit se retrouver avec une partie dans le visible. Mais cette partie est clairement bloquée par la poussière dans la galaxie, ce qui n'est pas le cas des ondes radio dans la bande de fréquencesbande de fréquences accessible à Alma, et c'est pour cette raison que l'on ne découvre que maintenant la présence du gaz ionisé dans le halo autour de 3C 273.

    Mais, comme l'explique le communiqué sur le site d'Alma, si d'ordinaire les étoiles ne peuvent pas se former dans des nuagesnuages de gaz d'hydrogène fortement ionisés, la quantité de gaz qui ne l'est pas dans la galaxie elliptique doit rester importante car il ne semble pas que la formation d'étoiles ait été fortement supprimée par le noyau actif de la galaxienoyau actif de la galaxie.

    Toujours est-il que « cette découverte offre une nouvelle voie pour étudier des problèmes précédemment abordés à l'aide d'observations en lumière visible », selon Shinya Komugi, professeur à l'Université Kogakuin au Japon et auteur principal de l'étude publiée dans Astrophysical Journal. Et il ajoute en conclusion du communiqué qu'« en appliquant la même technique à d'autres quasars, nous espérons comprendre comment une galaxie évolue à travers son interaction avec son noyau central ».


    Françoise Combes, astrophysicienne et professeure au Collège de France, explique les dernières découvertes au sujet des quasars. © Espace des sciences