L’Europe n’a plus de lanceur à disposition pour le moment. Ariane 5 a pris sa retraite, la version d’origine de la fusée Vega n’a plus qu’un dernier vol au programme, la fusée Soyouz n'est plus disponible depuis le début de la guerre en Ukraine, la Vega-C reste clouée au sol pendant encore un an avant de pouvoir revenir, et Ariane 6 est toujours en retard. Les ministres européens, qui se sont réunis les 6 et 7 novembre au Sommet spatial de Séville, ont dû prendre des décisions radicales. 


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    Depuis des années, l'Europe est en crise de lanceurs. Aujourd'hui, son accès à l'espace est devenu temporairement impossible. L'état des lieux est sévère : la fuséefusée SoyouzSoyouz-ST, fournie par la Russie, n'est plus exploitable, la fusée VegaVega a réalisé son avant-dernier tir début octobre (un dernier est prévu en 2024) tandis que sa version plus puissante, la Vega-C, peine à revenir depuis l'échec de son second vol. Elle ne sera de retour que fin 2024. Enfin, alors qu’Ariane 5 a pris sa retraite, le premier vol d'Ariane 6Ariane 6 n'aura pas lieu avant juin 2024 au mieux. L'Europe n'a donc plus de lanceur disponible.

    Déployer les Canadair pour sauver le soldat Ariane

    Cette situation s'étend toujours plus, tel un incendie incontrôlable. Il se propage sur tous les programmes stratégiques qui ne peuvent attendre plus longtemps pour déployer leurs satellites. Du côté de l'Union européenne et de son réseau GalileoGalileo, plus performant que le GPSGPS américain, on est résolu à lancer quatre prochains satellites avec deux vols Falcon 9 de SpaceX. L'amende est salée : 180 millions d'euros pour les deux vols, alors que le prix de base d'un vol Falcon 9 est de 62,5 M€ (67 millions de dollars). Le coût est aussi en sécurité, car jamais un satellite aussi stratégique n'aura quitté le sol européen. D'ailleurs, le deal avec SpaceXSpaceX doit encore être approuvé par une revue de sécurité.

    Ministres et représentants des États membres associés, et partenaires de l'ESA se sont retrouvés le 6 novembre au sommet spatial de Séville pour donner le feu vert à la nouvelle feuille de route de l'agence, incluant les nouvelles subventions à Ariane 6. © ESA
    Ministres et représentants des États membres associés, et partenaires de l'ESA se sont retrouvés le 6 novembre au sommet spatial de Séville pour donner le feu vert à la nouvelle feuille de route de l'agence, incluant les nouvelles subventions à Ariane 6. © ESA

    Pour sauver Ariane 6, les ministres des États membres se sont résolus à augmenter de 150 % les subventions publiques dédiées au programme, en passant de 140 millions d'euros par an actuellement... à 340 millions ! Cette aide supplémentaire à ArianeGroup, maître d'œuvremaître d'œuvre, doit être validée lors de la prochaine réunion ministérielle dédiée au budget de l'ESA en 2025. Le financement proviendra uniquement des contributions française, allemande et italienne. Les fonds permettront de « stabiliser » la production et l'exploitation d'Ariane 6 des vols 16 à 42, le soutien durant les 15 premiers vols étant déjà couvert par un autre accord.

    Les tests d'Ariane 6 ont beaucoup progressé ces dernières semaines. Un essai à feu de longue durée en conditions nominales a été réalisé avec succès à Lampoldshausen, et les essais combinés à Kourou progressent mais avec difficulté car un composant du moteur Vulcain est en cours de remplacement avant de réaliser l'essai à feu longue durée d'ici la fin du mois. Si ce dernier est un succès, alors l'ESA se risquera à donner une date de vol.

    Essai à feu du second étage d'Ariane 6 début septembre en Allemagne. © ESA/Arianegroup/DLR - Hill Media

    Arrosage spécial pour une Vega-C qui se rebiffe

    À l'addition très salée pour Ariane 6 s'ajoute une subvention supplémentaire de 21 M€ par an pour Vega-C. Cette aide soutiendra l'exploitation de Vega-C par ArianespaceArianespace, filiale d'ArianeGroup, pendant les 17 vols suivant celui du retour du lanceur léger. Vega-C reste pour le moment au sol, à la suite de l'échec de son dernier vol en décembre 2022. Depuis, le maître d'œuvre italien Avio doit redéfinir le design de la tuyèretuyère du moteur Z40 du second étage. D'après l'ESA, le retour en vol de Vega-C n'est pas espéré avant fin 2024 !

    À l'occasion du Space Summit, les ministres allemand, français et italien ont officiellement confirmé à Avio le droit d’exploiter seul la Vega-C (et sa future version de Vega-E), sans forcément passer par Arianespace. Avio pourra notamment recyclerrecycler le pas de tir Ariane 5Ariane 5 pour en faire un second pas de tir Vega. Il n'est pas encore confirmé si Avio récupérera les 17 vols Vega contractualisés par Arianespace.

    La Vega-C, fusée européenne à dominante italienne, sera finalement opérée par son maître d'œuvre, Avio, et non plus par Arianespace. Reste à savoir quand cette transition sera faite, et si Avio parviendra à vendre sa fusée aussi bien. © ESA
    La Vega-C, fusée européenne à dominante italienne, sera finalement opérée par son maître d'œuvre, Avio, et non plus par Arianespace. Reste à savoir quand cette transition sera faite, et si Avio parviendra à vendre sa fusée aussi bien. © ESA

    Changer de paradigme pour éviter d’autre allume-feu

    Lors du sommet spatial de Séville, plusieurs ministres ont vertement critiqué la gestion des programmes Ariane et Vega par l'ESA. L'agence a donc elle-même proposé au sommet de les enterrer. Ce « changement de paradigme » a été salué à l'unanimité par les ministres. Il propose tout simplement de positionner l'agence comme cliente des lanceurs, et plus comme dirigeante du programme. Ce virage radical avait déjà été pris par la NasaNasa il y a de nombreuses années. C'est ce qui a permis à SpaceX de se développer.

    Les différents maîtres d'œuvre des lanceurs européens, comme ArianeGroup, Avio, ou les nouveaux arrivants du New Space, seront tous mis en compétition. Sous réserve de validation par la Ministérielle de 2025, la compétition offrira un prix de 150 M€ par lauréat pour le développement de leur lanceur. Ainsi, Ariane 7 ne pourrait tout simplement plus exister, et serait remplacée par une autre fusée européenne, un tournant majeur dans le spatial européen.