La question a été soulevée par la FAA, l'agence fédérale de l'aviation qui réglemente aux États-Unis les lancements privés : les débris spatiaux retombant sur Terre, et résistant à la rentrée atmosphérique, seront de plus en plus nombreux. Par conséquent, le risque de collision avec un avion de ligne sera donc plus élevé. Les conclusions sur ce risque mortel sont contestées par SpaceX. Futura fait le point avec Pierre Omaly, expert en débris spatiaux au Cnes.


au sommaire


    C'est un rapport alarmant de plus à propos de la situation des débris spatiaux. Nous savons depuis longtemps que leur nombre ne va cesser de s'accroître. Pour information, l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA) catalogue plus de 36 500 débris de plus de dix centimètres en orbite basse, et estime à près d'un million ceux mesurant entre un et dix centimètres.

    Problème qui relevait jusqu’à présent de l’incident exceptionnel

    Publié le 22 septembre, le rapport de la FAA (Federal Aviation Administration) alerte aujourd'hui sur la désintégration des débris et des satellites désorbités dans notre atmosphèreatmosphère. Vu leur vitesse, leur pénétration dans l'air engendre des frottements si forts que la désintégration est presque complète. Presque. Rares sont les débris qui parviennent à survivre à la traversée, et retomber dans notre basse atmosphère, puis au sol. On s'inquiète généralement quand il s'agit de grosses structures qui pénètrent notre atmosphère. Par exemple, on se souvient bien de la rentrée non contrôlée du premier étage de la fuséefusée chinoise Long March 5 qui a entraîné la fermeture par précaution de plusieurs espaces aériens au sud de l’Europe. Mais comme le souligne l'Agence spatiale européenne, le nombre de débris revenant dans notre atmosphère est déjà en train d'augmenter.

    Conséquence de l'accroissement record du nombre de satellites en orbite basse, le nombre d'objets qui pénètrent notre atmosphère est en nette augmentation. © ESA
    Conséquence de l'accroissement record du nombre de satellites en orbite basse, le nombre d'objets qui pénètrent notre atmosphère est en nette augmentation. © ESA

    0,84 % de chance d’impact en 2035

    Fort heureusement, la plupart des débris traversant notre atmosphère ont une forte chance de retomber dans les mers ou océans. Mais, comme avec l'exemple de la Long March 5, leur traversée peut engendrer la fermeture d'espaces aériens afin d'éviter tout risque de collision, aussi infime soit-il.

    Selon le rapport, le risque de collision entre un avion et un débris traversant l'atmosphère basse, aujourd'hui estimé à 0,01 %, va augmenter à 0,84 % en 2035. Une forte hausse à ne pas prendre à la légère, mais réaliste ? « Le rapport a été initialement écrit par The Aerospace Corporation, société qui est tout à fait compétente dans cette problématique de rentrée de débris, avec une expertise de longue date », précise à Futura Pierre OmalyPierre Omaly, expert en débris spatiaux au Cnes.

    La raison invoquée est l'accroissement actuel et à venir du nombre de désintégrations de satellites dans l'atmosphère. Récemment, SpaceXSpaceX a mis en orbite son 5 000e satellite, tandis qu'AmazonAmazon vient juste de déployer deux premiers satellites pionniers de sa mégaconstellation Kuiper, de plus de 3 400 satellites.

    Le contre-argumentaire de SpaceX

    Le rapport de la FAA est-il basé sur des technologies désuètes ? Pierre Omaly précise à Futura : « Ce rapport est basé sur des extrapolations vis-à-vis de la situation telle qu'on la connaît aujourd'hui. Ils ont pris ce qu'ils connaissaient des rentrées atmosphériques, des choses qu'ils ont vraiment vues. Et les objets que l'on a retrouvés au sol ne sont pas nombreux. Il y a notamment le cas des satellites Iridium [constellation de communication, NDLRNDLR], où on sait que quand un satellite rentrait, un réservoir arrivait jusqu'au sol. Ils sont partis de cette hypothèse supposant que tous les satellites étaient comme ça, car ce sont les seules données factuelles dont on dispose aujourd'hui, puis ils ont fait des règles de trois ».

    Cette désintégration incomplète supposée est contestée par SpaceX dans une lettre adressée au gouvernement américain, prétendant que les satellites StarlinkStarlink sont conçus de sorte à se désintégrer intégralement dans l'atmosphère, sans qu'aucun débris n'en résulte. L'ingénieur principal du programme Starlink David B. Goldstein précise qu'aucune des 325 désorbitations de Starlink réalisées depuis février 2020 n'a produit de débris. « On ne peut les croire que sur parole car on n'a pas accès à leurs documents, précise Pierre Omaly. Ça reste possible mais je suis très curieux des solutions qu'ils ont employées car c'est un vrai challenge. »

    Là où le rapport décrit que la proportion de rentrées atmosphériques de satellites contrôlées est de près de 90 %, SpaceX prétend atteindre 99 %. Autre argument de SpaceX : dans le rapport, le nombre estimé de satellites en orbite en 2035 prend en compte le déploiement complet des 30 000 Starlink, alors qu'aujourd'hui le nombre autorisé par la FCC (Federal Communications Commission) est de 7 518. Drôle d'argument étant donné que SpaceX compte bien déployer 30 000 satellites. En outre, la semaine dernière, SpaceX a déposé auprès de l'Union internationale des télécommunicationsUnion internationale des télécommunications (ITU, branche de l'ONU), une demande d'utilisation de fréquencesfréquences... pour 29 988 satellites !

    Réservoir de carburant d'un satellite Iridium retrouvé au sol, aux États-Unis, en 2019. Une collision entre un objet de cette taille et un avion ne serait pas sans conséquence. © kfsn via ABC
    Réservoir de carburant d'un satellite Iridium retrouvé au sol, aux États-Unis, en 2019. Une collision entre un objet de cette taille et un avion ne serait pas sans conséquence. © kfsn via ABC

    Et en matière de régulation ?

    Avec OneWebOneWeb, Kuiper, ou encore les projets de mégaconstellations chinoises, le nombre de satellites en orbite basse sera extravagant. Vont-ils tous se désintégrer intégralement dans l'atmosphère ? En tout cas, côté français, ce sera bientôt imposé, comme nous le rappelle Pierre Omaly : « dans l'évolution de la Loi des opérations spatiales (prévue de sortir début 2024), cette problématique sera spécifiquement écrite. Il sera demandé que le risque global d'une constellation pour la population ne devra pas être supérieur à 0,0001 %. Toute la constellation devra être entièrement détruite lors de la rentrée atmosphérique ».