Tiangong-1, le module orbital chinois est, enfin, rentré sur Terre sans faire de dégât, là où on l'attendait. Cet épisode est aussi pour nous l'occasion de faire le point sur l'état des capacités de l'Europe dans la surveillance du ciel et pourquoi, malgré des moyens de surveillance avancée, personne n'a été capable de prédire avec certitude le lieu et la date de sa rentrée. Découvrez notre entretien avec Nicolas Bobrinsky, le responsable du programme de veille spatiale de l’ESA dans ce domaine.

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    Ces dernières semaines, tous les réseaux mondiaux de surveillance du ciel étaient pointés sur Tiangong-1Tiangong-1, le module orbital dont la Chine avait perdu le contrôle depuis 2016. En effet, en raison de cette perte de contrôle, le module était susceptible de faire sa rentrée sur Terre n'importe où, entre les latitudeslatitudes 42 degrés nord et sud, en se disloquant et en se désintégrant dans l'atmosphèreatmosphère. Cela dit, le risque qu'un élément de plusieurs kilogrammes s'écrase sur une zone habitée et provoque des dégâts était statistiquement très faible, voire nul. Finalement, le module a fait sa rentrée atmosphérique dans la nuit du 1er au 2 avril, près du centre de l'océan Pacifique, non loin du « point de Némo ». Il s'est probablement désintégré.

    Nicolas Bobrinsky, le responsable du programme de veille spatiale de l'ESA (SSA, pour Space Situational Awareness)), revient sur cet évènement. À la question de savoir quelles leçons tire-t-il de cette rentrée atmosphérique non contrôlée, Nicolas Bobrinsky tient à mettre en avant « les aspects positifs de cette rentrée » mais aussi le besoin de mieux « modéliser les interactions entre l'activité du Soleil et les couches supérieures de l'atmosphère terrestre ».

    Le point positif est sans aucun doute le « suivi et la poursuite de Tiangong-1 » réalisés dans le cadre d'une campagne internationale coordonnée par le Comité interministériel de coordination des débris spatiaux, qui comprend dix agences spatiales nationales en plus de l'ESA. Il y a eu un excellent partage de l'information disponible, ce qui « nous a permis de réajuster la trajectoire du module constamment et avec une grande précision ».

    Le module chinois Tiangong-1, alors à 270 kilomètres d'altitude, quelques jours avant sa rentrée dans l'atmosphère terrestre. Ces images radar ont été acquises par un système de surveillance et d'imagerie radar allemand opéré par l'Institut Fraunhofer FHR, basé à Wachtberg, en Allemagne. © Fraunhofer FHR.

    Le module chinois Tiangong-1, alors à 270 kilomètres d'altitude, quelques jours avant sa rentrée dans l'atmosphère terrestre. Ces images radar ont été acquises par un système de surveillance et d'imagerie radar allemand opéré par l'Institut Fraunhofer FHR, basé à Wachtberg, en Allemagne. © Fraunhofer FHR.

    Si « nous savions que le point d'impact se situerait entre 42 degrés de latitude nord et 42 degrés de latitude sud », il était très difficile « d'être plus précis et de prévoir le plan » en raison de la variation constante du coefficient de traînée qui « dépend entre autres de l'activité du Soleil et son interaction avec les hautes couches de l'atmosphère terrestre ». En effet, la trajectoire de transition entre un vol orbital et sa rentrée atmosphérique dépend de plusieurs facteurs, dont certains ne sont pas connus avec suffisamment de précision en temps réel. Pour cela, il est notamment nécessaire d'améliorer la « modélisation entre la météo de l’espace (activité du Soleil) et les hautes couches de l'atmosphère terrestre ».

    Concrètement, une forte activité du Soleil se traduit par une augmentation de la densité des couches de l'atmosphère supérieure, ce qui induit un frottement plus fort et diminue le délai de la rentrée à cause d'un freinage plus important du module.

    L’Europe dépendante des capacités américaines de surveillance du ciel pour les petits débris

    Si dans le cadre du suivi de Tiangong-1, 50 % des moyens d'observation ont été fournis par les États-Unis, 40 % par les Russes et 10 % par d'autres nations comme la Chine, l'Europe et le Japon, il faut savoir que « les capacités de surveillance du ciel de l'ESA et des agences spatiales nationales en Europe sont suffisantes pour suivre les satellites qui tournent autour de la Terre ».

    Là où le bât blesse, c'est au sujet de la « surveillance des débris de huit à dix centimètres, taille à partir de laquelle un objet peut mettre hors-service un satellite en cas d'impact ». Sur un nombre d'environ 29.000 objets de cette taille, moins de « 20 à 25 % d'entre eux sont suivis » avec en particulier les données du radar français Graves, des radars de la DGA et de l'armée de l'air, des télescopes en Espagne ainsi que du radar allemand Tira.

    Ce n'est évidemment pas satisfaisant pour fournir un service d'évitement et de prévision de collision européen autonome. Une situation qui contraint l'ESA à dépendre des alertes de collision envoyées par le réseau de surveillance américain Usstratcom pour la protection de ses satellites.

    Cette situation devrait perdurer. Bien que l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne et l'industrie européenne disposent de la technologie radar nécessaire, il n'y a pas malheureusement de « volonté politique suffisante pour doter l'Europe d'un système performant de surveillance de l'espace, qui lui permettrait d'approcher les performances des systèmes américains ou russes ».

    L’ESA dispose d’une technologie de pointe mais ne peut pas la financer

    Néanmoins, l'ESA utilise avec succès depuis 2013 deux prototypes de radar de surveillance conçus pour « tester différentes techniques de suivi et d'observation des débris spatiaux ». Ces radars ne fournissent cependant pas de service opérationnel en raison de performances limitées à des objets d'environ « 70 centimètres situés jusqu'à une altitude de 1.200 kilomètres ».

    Pour avoir une bonne couverture des orbitesorbites la « première urgence est de disposer de deux radars de haute performance », l'un dans « l'hémisphère Sudhémisphère Sud, à la Réunion ou en Polynésie, par exemple » et l'autre, dans une « zone de latitude moyenne dans l'hémisphère Nordhémisphère Nord, à 45 degrés qui pourrait être l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie ou la France, ainsi que l'ont montré les études d'architecture conduites ces dernières années ». Mais ces radars coûtent cher, environ 600 millions d'euros l'unité pour les construire plus le coût de leur exploitation.

    Le financement de ce système de surveillance pourrait également être réalisé dans le cadre de l'Union européenne. « Nous sommes dans l'attente des orientations qui seront prises au cours de la prochaine période de programmation 2021-2027 dans le cadre du grand programme-cadre d'aide à la recherche scientifique géré par la Commission européenne. »

    Cela dit, l'ESA explore d'autres alternatives de façon à complémenter les radars de surveillance. Elle envisage « d'utiliser des moyens optiques ». Un projet de télescope baptisé « ŒilŒil de mouche » conçu pour la surveillance des astéroïdes géocroiseurs pourrait être « adapté à la surveillance des débris spatiaux au-delà de 1.200 kilomètres d'altitude ». Avec un coût de seulement 10 millions d'euros l'unité, cela « permettrait de surveiller à bon compte les orbites moyennes », celles sur lesquelles se situent les satellites de la constellation Galileoconstellation Galileo et donc de « décharger les radars terrestres de cette tâche ». Dans ce schéma, les radars et les télescopes fonctionneraient de manière complémentaire, ce qui « diminuerait le coût global du système ».

    La technologie laser est aussi une autre alternative à l'étude pour le suivi des débris spatiaux. L'idée est « d'illuminer ces débris avec un laserlaser, puis de les suivre en observant la lumière réfléchielumière réfléchie ». Les États membres de l'ESA sont intéressés et ont autorisé le développement d'une station de poursuite à des fins d'essais qui pourrait être opérationnelle dans deux ans en Europe ou au Chili.


    L’ESA veut des outils pour mieux surveiller les débris spatiaux

    Article de Rémy DecourtRémy Decourt, publié le 11/03/2013

    Essentiels à notre quotidien, les systèmes spatiaux sont confrontés aux risques croissants de collision avec des débris. D'où la nécessité de surveiller l'espace, ce que font l'ESA et le Cnes, mais à partir de données américaines. Pour s'affranchir de cette dépendance, l'ESA veut mettre au point un réseau de surveillance. La Commission européenne financerait une partie de son fonctionnement.

    Consciente des enjeux économiques liés aux dégâts que les débris spatiaux provoquent, la Commission européenne veut un système européen de surveillance de l'espace et de prévision des risques de collision spatiale. Pour y parvenir, la Commission souhaite aider les États membres de l'Union européenne à mettre en réseau leurs infrastructures existantes de surveillance du ciel dans le cadre du projet Space Surveillance and Tracking (SSTSST), qui fait partie du programme préparatoire de surveillance spatiale de l'ESA (SSA, pour Space Situational Awareness). Pour cela, elle se dit prête à financer les coûts d'utilisation de ce programme à hauteur de dix millions d'euros par an.

    On sait effectuer des corrections de trajectoire mais leur coût n'est pas nul : il est estimé à 140 millions d'euros chaque année et on s'attend à une dépense de 210 millions par an pendant la prochaine décennie. Un débris spatial n'a pas besoin d'être grand pour provoquer des dégâts significatifs. On estime qu'un objet de plus de 1 cm est suffisant pour endommager ou mettre hors service une partie d'un satellite, et qu'à lui seul, un débris d'environ 10 cm est suffisant pour en détruire un.

    Sur la base d’observations statistiques, on estime qu’environ 600.000 objets de plus de 1 cm tournent autour de la Terre. Quant au nombre de débris de plus de 10 cm (pour la plupart connus individuellement), il se situerait entre 16.000 et 20.000. Le graphique montre l'évolution de leur nombre depuis 1957. Le catalogue grand public, diffusé sur Internet, en référence environ 15.300. Cependant, il ne prend pas en compte les débris classifiés ni ceux dont la réflectivité trop faible empêche de déterminer leur trajectoire. © <em>US Space Surveillance Network</em>

    Sur la base d’observations statistiques, on estime qu’environ 600.000 objets de plus de 1 cm tournent autour de la Terre. Quant au nombre de débris de plus de 10 cm (pour la plupart connus individuellement), il se situerait entre 16.000 et 20.000. Le graphique montre l'évolution de leur nombre depuis 1957. Le catalogue grand public, diffusé sur Internet, en référence environ 15.300. Cependant, il ne prend pas en compte les débris classifiés ni ceux dont la réflectivité trop faible empêche de déterminer leur trajectoire. © US Space Surveillance Network

    L’ESA manque d’outils de surveillance des débris spatiaux

    Cependant, si l'Europe a suffisamment de centres de donnéescentres de données, elle manque de moyens de surveillance, « notamment des radars capables de détecter des débris d'une dizaine de centimètres », explique Nicolas Bobrinsky, le responsable du programme SSA à l'ESA. Par exemple, bien que très puissant, le radar français Graves ne peut pas descendre en dessous de 70 centimètres.

    Autre point noir, la surveillance du ciel s'appuie « pour l'essentiel sur des données fournies par les États-Unis », précise Fernand Alby, responsable des activités débris spatiaux et surveillance de l'espace au Cnes, un domaine dans lequel la France dispose d'une expertise reconnue. Concrètement, le Cnes « a mis en place des services opérationnels de surveillance des risques de collision et de prévision de rentrées atmosphériques ». Ils utilisent les bases de données et des alertes de collision envoyées par le réseau de surveillance américain Usstratcom. Si nécessaire, elles sont complétées « avec les données du radar français Graves, des radars de la DGA et de l'armée de l'air, ainsi que du radar allemand Tira ».

    Deux types de radars à l'étude

    À l'avenir, l'Europe veut son propre réseau de capteurscapteurs associant radars, télescopes et centres de traitement des données capables de détecter, suivre, corréler et mettre en catalogue tous les objets au-dessus d'une taille donnée pour une région orbitaleorbitale donnée. Afin de choisir la technologie qu'elle utilisera pour son futur système de radars au sol, l'ESA finance le développement de deux prototypes de radar de surveillance « pour tester des techniques de suivi et d'observation des débris spatiaux ».

    Radar monostatique (émetteur et récepteur partagent la même antenne) de l’Agence spatiale européenne installé sur le site de Santorcaz, dans la province de Madrid, pour tester de nouvelles techniques de surveillance des débris spatiaux. © Esa

    Radar monostatique (émetteur et récepteur partagent la même antenne) de l’Agence spatiale européenne installé sur le site de Santorcaz, dans la province de Madrid, pour tester de nouvelles techniques de surveillance des débris spatiaux. © Esa

    Le prototype sera réalisé avec la société espagnole Indra Espacio SA. Il utilisera la technologie monostatique : l'émissionémission et la réceptionréception ont lieu au même endroit, et le rayonnement est émis sous la forme d'impulsions intermittentes. Quant au second prototype, il est réalisé avec l'Onera. Il s'agit d'un radar dit bistatique, dont l'émetteur et le récepteur sont séparés et dont le rayonnement est émis de façon continue.

    Ces deux radars expérimentaux seront capables de détecter des objets de 80 à 100 cm et seront terminés en 2014. L'idée est d'« avoir validé le concept retenu avant la conférence ministérielle de 2016, de sorte que l'on présente aux ministres des États membres de l'ESA un projet solidesolide avec des choix technologiques et industriels arrêtés ». Enfin, pour avoir une bonne couverture des orbites, la première urgence est de disposer d'un radar dans l'hémisphère Sud, « à la Réunion ou en Polynésie, par exemple », souligne Fernand Alby. Les études du Cnes « nous ont convaincus que si l'on veut avoir une bonne surveillance de l'espace, en plus des moyens existants, il faut des capteurs à différents endroits ».