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Des clones embryonnaires venus d'Asie
En mars 2004, la revue Nature publia un éditorial sur l'activité de la Chine en matière de recherche sur l'embryonembryon, transfert nucléaire, isolement et caractérisation de cellules souchescellules souches. Intitulé « An Embryonic nation », cet article insiste sur les atouts de la Chine : de remarquables équipes scientifiques, une approche libérale de l'embryon humain, la volonté politique de développer, entre autres, ce secteur de biotechnologiesbiotechnologies ; et l'accès à un matériel biologique (gamètesgamètes et embryons) abondant (Yang X. An Embryonic Nation - Nature 2004,428:210-212)).
La Chine mène de nombreux travaux sur la recherche sur l'embryon. © DR
L'équipe du Pr Sheng, de Shanghai, mène les travaux déjà cités sur le transfert de noyaux de cellules humaines dans des ovulesovules de lapines. Pour sa part, le groupe du Pr. Lu, à Chansha, publie en 2003 dans une revue chinoise le premier article démontrant l'obtention de cinq blastocystesblastocystes humains après transfert de noyaux somatiquessomatiques. C'est là un progrès très significatif comparé aux calamiteux résultats de la société ACI, en 2001.
Cependant, l'équipe chinoise ne parvient pas à mettre en culture ces précieuses cellules, preuve de la difficulté de l'opération. Cette difficulté se voit même confirmée par la retentissante expérience d'une équipe coréenne, rendue publique sur InternetInternet, dans la revue Science, en février 2004.
Le clonage scientifique et thérapeutique
L'équipe du Pr. Woo Suk Hwang, de Séoul, est bien connue de tous les spécialistes du clonageclonage animal. Elle revendique la création d'un nombre impressionnant de vachesvaches clonées, et compte en la matière parmi les meilleurs spécialistes mondiaux. Forte d'une centaine de collaborateurs, bénéficiant d'une atmosphèreatmosphère - voire d'une ferveur nationale - propice à l'innovation technique et scientifique, le groupe coréen s'était aussi lancé, depuis déjà plusieurs années, dans la création d'embryons humains clonés, à visées scientifique et thérapeutique.
Pour atteindre cet objectif, les biologistes (spécialistes du monde animal) de l'équipe de Hwang se sont associés au Pr. Shin Yong Moon, gynécologuegynécologue, ainsi qu'à ses collaborateurs. Les Coréens collaborent également avec José Cibelli, l'un des responsables de la société américaine ACT, dont nous avons déjà rapporté les travaux.
L'expérience décrite dans Science débute par le prélèvement de 242 ovocytesovocytes émanant de 16 femmes donneuses. Lors des tentatives de fécondation in vitrofécondation in vitro, les femmes subissent d'abord une hyperstimulation ovarienne par injection hormonale permettant de recueillir en moyenne, après ponctionponction, une dizaine d'ovules.
Pour fournir 242 de ces précieux gamètes, les jeunes Coréennes durent par conséquent se prêter à deux ou trois cycles d'hyperstimulation-ponction, ce qui n'est pas vraiment une partie de plaisir. Pourtant, à en croire les scientifiques de Séoul, elles furent toutes volontaires bénévoles, par amour de la science, de la Corée et de l'humanité. Splendide dévouement pour une cause juste ! Cette image d'Épinal est cependant très contestée par quelques « mauvais esprits ». Des rumeurs enflent selon lesquelles certaines de ces jeunes femmes seraient les employées - et donc subordonnées - des chefs d'équipe conduisant l'étude...
Quoiqu'il en soit, chacune des jeunes volontaires fournit non seulement les ovules devant servir de réceptacle aux noyaux utilisés pour l'expérience de clonage, mais aussi les noyaux transplantés provenant des cellules du cumuluscumulus prélevé à l'occasion de la même ponction. Si les embryons reconstitués après transfert de noyaux avaient été placés dans le ventre des femmes, et si la grossessegrossesse s'était déroulée sans anicroche, elles eussent accouché de leur sœur jumelle.
La technique utilisée afin d'énucléer les ovocytes et les fusionner avec les cellules du cumulus fut identique, à peu de choses près, à celle donnant satisfaction pour cloner les bovins - ce que les Coréens savent fort bien faire. En particulier, le noyau est expulsé à travers un petit orifice pratiqué dans la membrane par pression douce de l'ovule.
Cette méthode peut paraître moins traumatisante que l'énucléation instrumentale habituellement pratiquée. Cela pourrait expliquer la conservation des fameuses protéinesprotéines indispensables à une répartition normale des chromosomeschromosomes lors des divisions cellulaires, généralement sacrifiées par les procédures courantes.
Au bout du compte, et contrairement aux données antérieures de l'équipe d'Advanced Cell Technology, les chercheurs obtinrent 30 embryons humains clonés qui ont pu être cultivés jusqu'au stade blastocyste. Un résultat exceptionnel ; le premier du genre. Par ailleurs, sur 20 d'entre eux, des cellules souches embryonnairescellules souches embryonnaires furent même prélevées et mises en culture. Cependant, seule une lignée réussit finalement à donner les précieuses cellules pluripotentes, en principe capables de se différencier en n'importe quel tissu. « Notre étude montre qu'il est possible d'engendrer des cellules souches embryonnaires humaines à partir d'une cellule prélevée chez une personne vivante » concluent logiquement les chercheurs.
Les interrogations restantes
Sans préjuger des suites de la polémique en cours sur les conditions du consentement des jeunes femmes productrices d'ovules, la réelle performance des Coréens est d'abord très largement saluée dans le monde comme la première démonstration du réalisme des perspectives d'une utilisation du clonage humain à des fins thérapeutiques. Une telle analyse mérite d'être discutée avec plus d'objectivité.
Premièrement, des embryons clonés ne purent être obtenus qu'après transfert de noyaux autologuesautologues provenant de la donneuse d'ovule. Cette précision est cruciale, puisque aucun embryon ne s'est développé lorsque le noyau transféré ne provenait pas de la donneuse d'ovule. Une telle situation d'autoclonage obligatoire est fort distincte de celle à laquelle les médecins auraient à faire face pour traiter un malade généralement autre que la jeune femme, dans la force de l'âge, donneuse d'ovules....
Deuxièmement, les scientifiques ont été contraints, du fait de la procédure d'autoclonage, de démontrer que leurs blastocystes n'étaient pas, en réalité de nature « parthénogénique », c'est-à-dire qu'ils ne provenaient pas de la duplication des chromosomes des ovules intacts, selon le processus bien exploré par les chercheurs d'ACT. Les arguments apparaissent solides, mais un doute persiste.
Troisièmement, grâce aux améliorations techniques apportées, il semble désormais relativement facile de fabriquer des embryons humains par transfert de noyau autologue. Cependant, même dans cette configuration non pertinente pour un clonage « thérapeutique », il reste des plus difficile d'obtenir des cellules souches embryonnaires : une seule lignée à partir de 242 ovules - s'il s'agit bien d'une authentique lignée de cellules ES. La question mérite d'être posée d'autant que la Société royale de Grande Bretagne émet elle-même de sérieux doutes à ce sujet. Une contaminationcontamination par d'autres cellules n'est pas encore exclue.
En résumé ; la publication des professeurs Hwang et Moon annonce seulement que l'autoclonage reproductif, c'est-à-dire la duplication d'une jeune femme en période d'activité sexuelle, pourrait être moins difficile qu'on ne le pensait. En revanche, l'isolement par clonage de lignées de cellules souches embryonnaires à usage thérapeutique se heurte encore à des difficultés non surmontées. L'équipe américaine d'ACT qui avait auparavant échoué à obtenir des embryons clonés de singes capables de se développer jusqu'au stade blastocystes testa la méthode d'expulsion douce du noyau ovocytaire décrite par les Coréens. Ils obtinrent alors aisément de tels embryons, mais ne réussirent pas à établir de lignée de cellules ES, confirmant la persistance d'obstacles à la stratégie du « clonage thérapeutique ».