Les repas des fêtes arrivent et avec eux, les conversations usuelles autour de la table. Mais, parmi vos convives, en plus de votre oncle qui « n'est pas raciste mais… », vous pourriez être amené à discuter avec une personne qui adhère à quelques théories du complot. Comment faire pour que la soirée ne finisse pas en pugilat ? Nous avons interrogé deux spécialistes qui travaillent sur le complotisme pour recueillir leurs conseils.
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Vous êtes tranquillement installé sur votre chaise à déguster un délicieux plat, typique des fêtes de fin d'années, quand tout à coup, quelqu'un lance un sujet de conversation, susceptible de mettre le feufeu au poudre. « Les vaccins modifient notre génome », « La covid-19, c'est juste une grippe » ou encore « On aurait dû soigner tout le monde avec de l'hydroxychloroquine ». Comment réagir dans ce genre de situation pour « limiter la casse » aussi bien sur l'ambiance de la soirée que sur le degré d'adhésion de votre interlocuteur ? Nous tentons de vous donner quelques conseils avisés dans cet article.
Cerner notre interlocuteur
La première chose à faire et d'essayer de savoir à qui l'on a affaire. La personne est-elle de bonne foi dans son affirmation ou son interrogation ? Cherche-t-elle simplement la confrontation ? Une discussion cordiale peut-elle être envisageable ? Quel est, au jugé, son degré d'adhésion envers l'hypothèse ou la théorie qu'elle avance ?
En effet, selon ces différents paramètres dont la liste n'est évidemment pas exhaustive, il est conseillé de ne pas réagir de la même manière. « Si une personne croit de façon radicale et extrêmement forte à un énoncé et que l'on sait que la conversation va tourner à la dispute, cela ne sert pas à grand-chose d'entamer une discussion sérieuse. On peut, à la rigueur, utiliser l'humour pour détendre l'atmosphèreatmosphère et passer à un sujet de conversation plus léger et moins clivant », conseille Pascal Wagner-Egger, enseignant‑chercheur en psychologie sociale et en statistique à l'Université de Fribourg, travaillant notamment sur les croyances et les raisonnements quotidiens.
Réorienter le débat sur les raisons de croire
Si le degré d'adhésion de notre interlocuteur est « acceptable », on pourrait envisager d'autres méthodes, comme relever les biais, sophismes et erreurs de raisonnements qu'elle manifeste. Mais ce choix pose plusieurs problèmes. Cela suppose des bases méthodologiques communes avec notre interlocuteur, ce qui n'est pas toujours le cas. Aussi, nous n'avons jamais toutes les données factuelles en notre possession ni la capacité de correctement les retranscrire dans un tel contexte. Cela peut même se retourner contre nous : « Un anti-vaccin connaîtra beaucoup plus de choses sur les vaccins que quelqu'un d'indifférent à ces questions qui fait confiance aux autorités épistémiques sur la question. En allant sur ce terrain, on se retrouvera confronter à une personne qui va saisir l'opportunité et jouir de cette situation de domination. En réalité, la meilleure façon de démunir un complotiste, c'est de ne rien lui opposer », détaille Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences à l'Université de Fribourg travaillant sur les liens entre cognition et complotisme.
Si l'on souhaite tout de même s'engager dans la discussion, on peut utiliser une technique que certains auteurs appellent la technique du Ju-Jitsu selon Sebastian Dieguez : « Rentrer dans une confrontation frontale sur les faits, les chiffres et les arguments est peine perdue parce que c'est compliqué, on n'a pas toutes les données sous la main, on ne va pas passer la soirée à les chercher, etc. » À la place, il conseille de réorienter le débat sur les raisons de croire : « On peut demander à la personne pourquoi ce sujet suscite en elle autant de colère et lui demander à quoi cela renvoie, à quelle vision du monde. De là, on pourra certainement trouver des points d'accords et entamer une discussion plus cordiale et plus féconde pour la suite ».
Le consensus et le combat de la confiance
On peut également jouer la carte du consensus, un argument que Pascal Wagner-Egger apprécie : « L'argument du consensus permet de rendre très peu crédible certaines hypothèses ou théories du complot. Pour le climatclimat, il faudrait que 99,9 % des climatologuesclimatologues qui affirment actuellement que le réchauffement climatiqueréchauffement climatique est principalement d'origine anthropique soient corrompus. Idem pour la majorité des médecins qui se sont fait vacciner. Contrôler les actions d'un nombre aussi grand d'individus experts de leurs domaines, cela parait assez invraisemblable, pour ne pas dire impossible ».
Si nous ne doutons pas que cet argument puisse fonctionner dans la plupart des cas, on se demande s'il pourrait avoir un effet convaincant chez des personnes qui font confiance à un seul scientifique comme le professeur Didier RaoultDidier Raoult par exemple. Sebastian Dieguez développe ce point : « Le but d'une conversation classique n'est pas forcément d'avoir raison ou de convaincre l'autre, mais plutôt d'apprendre à connaître son interlocuteur. Par conséquent, en restant sur l'exemple de Didier Raoult, on peut essayer de savoir pourquoi la personne est attirée par et fait confiance à Didier Raoult. »
Cette technique de réorientation vers les valeurs auxquelles renvoient les croyances comporte selon nous un grand avantage : elle permet de ne pas se braquer avec la personne et de rester dans son cercle plus ou moins proche. En effet, comme Seabstian Dieguez le relève, « un repas de fête, c'est quelque chose de relativement limité dans le temps ». Dès lors, une conversation n'aura pas forcément l'effet escompté. En revanche, rester proche de la personne, discuter régulièrement avec elle, rester ami avec elle sur les réseaux sociauxréseaux sociaux pour qu'elle soit exposée aux articles de fact-checking que l'on pourrait être amené à partager... Tout cela peut contribuer à façonner son cheminement épistémique et à faire émerger chez elle certains questionnements.
Pour résumer
En guise de conclusion, voilà ce que nous vous conseillons sous la forme d'un arbrearbre de décision :