Deux études viennent d'être publiées concernant la transplantation fécale dans la maladie de Crohn. Elles apportent un espoir. Mais, avant de savoir si le traitement est réellement efficace, il faudra attendre les essais contrôlés randomisés de phase 3.


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    Les maladies inflammatoires de l'intestin sont des pathologies handicapantes et douloureuses. Aujourd'hui, 200.000 personnes seraient concernées par ces pathologies en France. On ne connaît pas bien les causes de ces maladies, mais on sait que le microbiote joue un rôle non négligeable dans leur apparition, même s'il n'est absolument pas le seul levier sur lequel on peut agir. Deux études viennent d'être publiées, l'une dans le journal Microbiome, l'autre dans la revue Gastroenterology, toutes deux réalisées par des équipes françaises dirigées par Harry Sokol, professeur de gastrogastro-entérologie à l'hôpital Saint-Antoine à Paris, chercheur à l'Institut national de la science et de la recherche médicale (Inserm) et à l'Institut national de recherche pour l'agricultureagriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Depuis 15 ans, il travaille sur le microbiote intestinal, principalement sur ses implications dans les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI). Nous avons eu l'honneur de l'interroger. 

    Microbiote, transplantation fécale et maladie inflammatoire et chronique de l'intestin 

    Au moment où il a été réalisé, sur un petit nombre de patients, cet essai pilote utilisant la transplantation fécale avait pour objectif de fournir des preuves préliminaires et de rassurer sur la sécurité de l'intervention. Les chercheurs de l'équipe du Professeur Sokol ont fait office de pionniers. « Nous avons rédigé le design de cette étude en 2012. C'était la toute première étude d'intervention qui utilisait la transplantation fécale toutes indications confondues en France. On était donc en phase d'exploration », précise le Professeur Sokol.

    Comment en est-on venu à penser à la transplantation fécale ? Si cela nous semble cohérent avec la science moderne, cela l'était moins il y a quelques décennies. Mais la recherche a évolué et nous a permis de mieux comprendre les implications du microbiote dans les MICI et le potentiel thérapeutique qu'il pouvait représenter. « Depuis un certain nombre d'années, on sait que dans les MICI, le microbiote est anormal comparé à un sujet sain. C'est-à-dire qu'on constate une augmentation ou une diminution de certaines bactéries et une altération de certaines fonctions ou sécrétionssécrétions microbiennes chez les sujets malades. Et pendant longtemps, les connaissances n'ont pas évolué. On ne savait pas si ces observations étaient des conséquences de la maladie, des causes, ou bien les deux. Et puis finalement, on s'est rendu compte du rôle causal du microbiote chez les modèles animaux en modifiant le microbiote et en constatant les effets sur l'inflammationinflammation intestinale. De même, le microbiote d'une personne souffrant de maladie inflammatoire de l'intestin, lorsqu'il est transplanté chez la souris, favorise l'inflammation », raconte Harry Sokol.

    La recherche a évolué et nous a permis de mieux comprendre les implications du microbiote dans les MICI. © Alex, Adobe Stock
    La recherche a évolué et nous a permis de mieux comprendre les implications du microbiote dans les MICI. © Alex, Adobe Stock

    Tous ces éléments impliquent donc le microbiote dans l'équationéquation. Mais, si on compare les MICI à une pièce de théâtre, le microbiote n'est pas le seul acteur sur scène. Il n'est peut-être même pas le personnage principal. « Quinze ans en arrière, tout le monde se fichait pas mal du microbiote. Désormais, il y a un engouement disproportionné pour ce dernier, et il est alimenté par la presse. Évidemment, il y a des pathologies comme l'infection à Clostridium difficile où l'on sait que la transplantation fécale est un traitement très efficace. Mais le microbiote n'a pas le même potentiel thérapeutique dans toutes les pathologies. Dans les MICI, il a sûrement un rôle important comme je le disais, mais il n'est certainement pas seul. Dans d'autres affections, comme la maladie d'Alzheimermaladie d'Alzheimer ou de ParkinsonParkinson, il y a peu d'éléments, son rôle est peut-être important ou au contraire minime. Je reçois beaucoup de messages de patients qui ont de l'espoir après avoir lu un article sur le microbiote et qui me demandent pourquoi on refuse de les transplanter. Le microbiote n'est pas la panacée et comme toute intervention, la transplantation fécale a ses risques », explique Harry Sokol.

    Dans les mécanismes complexes qui relient microbiote et MICI, il y a l'inflammation, et il y a aussi l'activation exacerbée de l'immunitéimmunité. Les traitements symptomatiques de ces maladies permettent de gérer ces symptômessymptômes plus ou moins bien chez les patients. « Chez certains patients, des immunosuppresseurs vont suffire à calmer la maladie. Mais dans un certain nombre de cas, ces traitements ne permettent pas de soulager les patients. Dans les MICI, on pense aujourd'hui que l'activation exacerbée du système immunitairesystème immunitaire et les altérations du microbiote s'aggravent l'un l'autre dans une sorte de cercle vicieux. Pour tenter de cibler ces deux acteurs de la maladie en même temps, nous avons donc évalué l'intérêt de la transplantation fécale chez des patients déjà en rémissionrémission grâce à des corticoïdescorticoïdes systémiques qui sont un type d'immunosuppresseur », développe Harry Sokol.

    Dans l'essai clinique de l'équipe du Professeur Sokol, une chose nous a intrigués. Deux patients sur les neuf qui ont reçu la transplantation n'ont pas été colonisés par le microbiote du donneur. « Ces deux patients nous ont vraiment étonnés. Nous ne savons toujours pas ce qui a fait que la transplantation n'a eu aucun impact sur eux. Nous avons des hypothèses bien sûr : leur état inflammatoire était-il un peu plus préoccupant que celui des autres participants et cela a-t-il joué un rôle ? Leur microbiote était-il moins résilientrésilient et plus persistant que celui des autres patients ? Pour l'instant, ces questions sont sans réponses », déclare Harry Sokol.

    Des essais plus larges, incluant plus de patients, sont en cours. © peshkova, Fotolia
    Des essais plus larges, incluant plus de patients, sont en cours. © peshkova, Fotolia

    Les études en cours

    L'étude initiale du Professeur Sokol ayant donné des résultats encourageants sans problème de sécurité (c'est-à-dire qu'aucun patient n'a subi d'effets secondaires sérieux dus à la transplantation fécale), des essais plus larges, incluant plus de patients, sont en cours. « Nous avons entamé des essais de phase 3 avec 130 patients atteints de Rectocolite hémorragique (RCH). Pour l'instant, elle est interrompue à cause de la pandémiepandémie de Covid-19Covid-19, mais nous espérons la reprendre bientôt. Concernant la maladie de Crohn, nous devons commencer une étude qui a, elle aussi, été repoussée pour cause de Covid. Son design est légèrement différent de notre essai de phase 2. Ici, on a décidé d'inclure des patients sous traitements anti-tnfanti-tnf alpha [une classe d'immunosuppresseurs, ndlr] et qui sont déjà en rémission depuis au moins six mois. On souhaite répondre à une question pratique : quand peut-on arrêter ces médicaments lorsqu'on est malade ? L'essai cliniqueessai clinique est prévu pour ça. Si des patients souhaitent arrêter leur traitement, on pourra leur proposer de le faire, dans les conditions de l'essai clinique. Nous espérons commencer cette étude avant la fin de l'année », conclut Harry Sokol.

    Les études en cours, selon les résultats qu'elles livreront, pourraient avoir de réelles répercussions sur la qualité de vie des malades. Cela serait une avancée sans précédent dans le traitement de ces pathologies. Il restera à percer les mystères restants (immunologie, génétiquegénétique, environnement, diététique, etc.) pour espérer une prise en charge pleinement efficace contre les MICI. Parce que, rappelons-le une fois de plus, le microbiote n'est pas la panacée.