Chaque liaison entre deux neurones stockerait l'équivalent de 4,7 bits, beaucoup plus que ce que l'on pensait jusqu'ici. À l'échelle d'un cerveau humain, le total correspondrait à quelque chose comme un pétaoctet, soit mille téraoctets. « Au moins », ajoutent des chercheurs qui ont fait une incroyable découverte en analysant un petit volume de cerveau de rat par une technique de microscopie électronique en 3D et à l'aide de modèles. Conclusion : les synapses sont plus efficaces que prévu.
Quelle quantité d'information peut stocker un cerveau ? La question est ardue car cet assemblage de quelque cent milliards de neurones chez un être humain est loin de fonctionner comme un ordinateur. Cependant, une équipe de l'Institut Salk, à San Diego, en Californie, a apporté un élément de réponse en analysant des cerveaux de rats dans la région de l'hippocampe - une zone impliquée dans la mémoire (par exemple pour celle des lieux connus, dans les « cellules de positionnement » et les « cellules de grille », dont la découverte a été récompensée par le prix Nobel de médecine 2014). Ils ont fait appel à une technique de reconstitution en 3D de coupes observées en microscopie électronique à balayage. À l'aide d'un ordinateur nourri avec un modèle, ils ont ainsi reconstruit un petit volume presque cubique de 6 microns de côté et ont étudié de très près les synapses, c'est-à-dire les points de contact entre deux neurones, car c'est là que tout se joue.
Petit plongeon dans le cerveau en action. Chaque neurone est connecté à des milliers d'autres par des synapses (des liaisons à sens unique) de l'axone de l'un (une sorte de câble), qui envoie l'information, à une dendrite de l'autre, qui la reçoit sur l'un de ses nombreux diverticules (les épines dendritiques). Ce sont elles qui portent les synapses, sortes de sacs emplis de molécules, les neuromédiateurs, intermédiaires chimiques qui transmettent le signal nerveux, de nature électrique. Deux neurones peuvent être en contact ou non (voilà une information binaire) mais, mieux, lorsqu'ils le sont, ils peuvent l'être plus ou moins. Une synapse est en effet plus ou moins puissante. C'est ainsi qu'est codée l'information dans notre cerveau. À force d'apprentissage, telle liaison se renforce alors que telle autre s'affaiblit.
Les neurones stockent l'information sur 26 niveaux
Sa force peut s'estimer à son volume, qui vient de la quantité de neuromédiateurs et de la surface de contact. Il existe un rapport 60 entre la synapse la plus faible connue et la plus forte. Entre les deux, les neurobiologistes, faute de connaissances plus précises, distinguaient deux ou trois niveaux de forces possibles.
L'équipe de Thomas Bartol Jr vient bousculer ce schéma et leur article paru dans la revue eLife (librement accessible) fera sans doute date. Leur découverte vient d'une observation : il arrive, dans 10 % des cas, qu'un axone se connecte deux fois, voire plus, à une même dendrite. Les têtes enflées des épines dendritiques semblaient alors identiques... mais ne l'étaient pas. Des différences de 8 % seulement ont été repérées et retrouvées entre les autres synapses du petit cube d'hippocampe.
Ce n'est pas un détail ! Au sein de ce spectre de 60 entre la plus faible et la plus forte, les synapses peuvent adopter 26 niveaux différents, et non pas deux ou trois, ce qui constitue un stockage d'information bien plus efficace. Convertis en binaire, c'est-à-dire en base 2, permettant la comparaison avec l'informatique, ces 26 niveaux correspondent à environ 4,7 bits, puisque 2 puissance 4,7 valent à peu près 26. Jusqu'ici, on estimait à 1 ou 2 bits la quantité d'information contenue dans une synapse.
Voilà qui fait grimper la quantité totale pour un cerveau humain, conduisant au chiffre, donné au doigt mouillé, de 1 pétaoctet, soit 1015 octets, un minimum selon les chercheurs. Surtout, il donne une image plus complexe de la liaison entre deux neurones. Les chercheurs ont aussi pu, à l'aide de leurs modèles et des connaissances sur les neuromédiateurs, minuter les échanges entre les deux cellules. Dans l'hippocampe, une région du cerveau où les liaisons sont instables, expliquent les chercheurs dans le communiqué de l’Institut Stack, « pour les synapses les plus faibles, environ 1.500 évènements provoquent une modification dans le volume de la vésicule en une vingtaine de minutes. Pour les plus fortes, quelques centaines de signaux conduisent un changement, en une à deux minutes ». Et de conclure : « Toutes les deux à 20 minutes, vos synapses augmentent ou réduisent leur taille. Elles s'adaptent en fonction du signal qu'elles reçoivent ».
La substance blanche du cerveau étudiée in vivo grâce à la tractographie La tractographie offre la possibilité d’étudier in vivo la substance blanche du cerveau, celle constituée d’axones myélinisés qui relient les régions de matière grise. Cette gaine de myéline, qui entoure les terminaisons nerveuses, permet à l’information d’être propagée plus rapidement. Sur cette image, les faisceaux pyramidaux apparaissent en bleu et les fibres transverses pontocérebelleuses sont colorées en rouge et vert. © CNRS Photothèque, CI-NAPS, GIP CYCERON
Synapse d'un neurone pyramidal La synapse correspond à la zone de connexion entre deux neurones. La communication va toujours dans le même sens : de l’élément présynaptique vers l’élément postsynaptique. En rouge est figuré un marqueur présynaptique tandis que le bleu révèle un marqueur postsynaptique de ce neurone pyramidal. © CNRS/IPMC
Reconstitution tridimensionnelle d'une boîte crânienne d’enfant Il s’agit d’une reconstitution tridimensionnelle d’une boîte crânienne d’un très jeune Homo erectus : l’enfant de Modjokerto, décédé à un an. Grâce à sa solidité, la boîte crânienne protège le cerveau de chocs extérieurs. Jusqu'à une certaine limite… © Jean-Jacques Hublin, CNRS Photothèque
Les cellules de Purkinje, des neurones du cervelet Les neurones seraient-ils verts ? Pas vraiment. Il s’agit en réalité de mettre en évidence, grâce à la GFP (la protéine fluorescente verte ou green fluorescent protein en anglais), le contrôle des séquences régulatrices de la protéine du prion bovin (agent pathogène), dans les cellules de Purkinje du cervelet de souris transgénique. Cette structure du cerveau, située en position antérieure, est responsable de l’équilibre. © Yannick Bailly, CNRS Photothèque
Épines dendritiques d'un neurone Des chercheurs ont étudié le rôle de la préséniline 1, une protéine dont la mutation est impliquée dans les formes génétiques de la maladie d'Alzheimer touchant des personnes relativement jeunes. Ils ont mesuré l'efficacité de la transmission de l'influx nerveux et compté le nombre d'épines dendritiques. Ces résultats suggèrent que la préséniline 1 aurait une action neurotoxique. Or, des études récentes montrent que, dans le cerveau des personnes âgées (atteintes ou non par la maladie d'Alzheimer), la préséniline 1 augmente. Ainsi, lors du vieillissement, elle serait responsable de l'atteinte des fonctions cognitives liées à la mémoire. © Alexandra Auffret, CNRS Photothèque
Neurones de l'hippocampe et leurs neurotransmetteurs Ces neurones de l’hippocampe (structure appartenant au système limbique), proviennent de souris et ont été mis en culture. En rouge ont été mis en évidence les canaux potassiques TREK-1, tandis qu’en vert on aperçoit les molécules de GABA, l’un des principaux neurotransmetteurs. © Fabrice Duprat, CNRS Photothèque
Le transport de l'information nerveuse : des dendrites à l'axone Ce cliché permet de comprendre pourquoi on parle de neurones pyramidaux. Les dendrites, ces prolongements qui forment des touffes au niveau basal, reçoivent l’information nerveuse, la transmettent au corps cellulaire (le disque noir) qui la fait suivre jusqu’à l’axone, ce long filament très peu ramifié, pour qu’il la transmette au neurone suivant. © CNRS Images
Cerveau d'une larve de mouche et ses corps pédonculés Ceci n’est pas un homard. Il s’agit d’un cliché pris dans le cerveau d'une larve de Drosophila melanogaster, la mouche du vinaigre. Les corps pédonculés, cette structure au centre de l’image, sont symétriques et se retrouvent dans chaque hémisphère cérébral. Ils sont impliqués dans la mémoire olfactive. © CNRS Images
Neurone exprimant la protéine hungtingtine Les neurones, comme toutes les cellules, synthétisent des protéines. Lorsque celles-ci sont défaillantes, elles causent la mort des neurones. C’est le cas des maladies d’Alzheimer, de Parkinson ou d’Huntington, par exemple. Cette dernière se manifeste par l’accumulation d’une protéine particulière, l’hungtingtine, qui va former des agrégats et détruire les neurones. Sur cette image, le neurone de souris est sain. © Sandrine Humbert, Fabrice Cordelières, CNRS Photothèque