Le fantasme humain de manipuler les rêves relève de moins en moins de l’utopie puisqu’il est devenu réalité chez des rats, dont les pensées ont été contrôlées durant le sommeil par des signaux sonores. Cela doit-il inspirer de la crainte ou de l’espoir ?

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    Le monde des rêves fascine et interpelle depuis longtemps. Que traduisent ces pensées parfois aberrantes qui nous viennent en tête durant le sommeil ? Ont-elles une signification ? Peut-on les contrôler ? Si certains se sont risqués à répondre à ces premières questions, cette dernière relevait il y a encore peu du fantasme à portée de main. Désormais, la prouesse vient d'être accomplie sur des rats.

    Soyons clair : il ne s'agit pas (encore ?) de manipuler l'intégralité d'une histoire en commanditant les actions et les dialogues, mais on s'en approche chez le rongeurrongeur. Des scientifiques du Massachusetts Institute of Technolology (MIT) ont poussé les animaux à se diriger à droite ou à gauche au cours de leur rêve, comme ils l'expliquent dans la revue Nature Neuroscience.

    Les cellules de lieu feront foi

    Ces songes ont une utilité qui a pu être définie par des études précédentes chez le rat : ils renforcent la mémorisation des événements vécus durant la journée. Pour les inciter à rêver de labyrinthes par exemple, il faut les y placer. C'est ce qui a été fait. Grâce à un conditionnement, les rongeurs ont été entraînés à se diriger vers la nourriture à l'écoute d'un signal sonore particulier. Lorsque celle-ci était placée sur la droite, elle était associée avec un son spécifique. À l'inverse, quand l'animal devait tourner à gauche pour manger, il en était informé par un autre bruit.

    Durant ces tests, l'activité de certains neurones caractéristiques de l'hippocampehippocampe, l'un des sièges de la mémoire et de l'orientation dans le cerveau, a été mesurée. On les appelle les cellules de lieu, car leur activation est maximale lorsque le sujet se situe dans un endroit précis. De cette façon, les chercheurs sont capables de déterminer lesquels sont spécifiquement activés lorsque leur animal est placé dans le labyrinthe, et quand il tourne vers la gauche ou vers la droite.

    L'hippocampe du cerveau tient son nom de sa ressemblance frappante avec le poisson si particulier. Situé dans les profondeurs du cerveau, il intervient dans différentes fonctions cognitives, comme la mémoire, la localisation ou l'inhibition de certains comportements. © Laszlo Seress, Wikipédia, cc by sa 3.0

    L'hippocampe du cerveau tient son nom de sa ressemblance frappante avec le poisson si particulier. Situé dans les profondeurs du cerveau, il intervient dans différentes fonctions cognitives, comme la mémoire, la localisation ou l'inhibition de certains comportements. © Laszlo Seress, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Des rêves contrôlés par le son

    À la fin de la journée, les cobayes ont eu droit à un peu de repos. Pas les auteurs qui enregistraient encore l'activité de ces neurones chez leurs rats. Lorsque la mesure des ondes cérébrales révélait que les rongeurs étaient en plein rêve et mémorisaient les apprentissages du jour, les scientifiques étaient en mesure de voir quand les animaux endormis s'imaginaient dans le labyrinthe par l'activation des cellules de lieu adaptées.

    C'est alors que différents sons étaient joués aléatoirement, parmi lesquels les deux particuliers qui avaient dirigé les rats durant les entraînements. Seulement dans ces cas de figure, les neurones associés à la droite ou à la gauche s'activaient spécifiquement, selon le bon vouloir des expérimentateurs. En vrais maîtres d'orchestre, ces derniers incitaient les rats à se déplacer dans un sens plutôt que dans un autre au cours de leur rêve.

    Une fois les animaux éveillés et placés hors du labyrinthe, la manipulation a été de nouveau tentée. Aucune activation particulière de ces régions de l'hippocampe, donc aucun renforcement de la mémoire. Ceci n'est donc possible qu'en situation de rêve.

    Ainsi, ce travail suggère qu'il est possible de manipuler la mémoire durant le sommeil. Faut-il s'inquiéter ? Les auteurs envisagent plutôt d'utiliser à l'avenir une telle technique pour ne pas renforcer certains souvenirs douloureux ou traumatismes vécus dans la journée, pour mieux les surmonter. Mais peut-être que d'autres auront des intentions moins louables...