Longtemps considérés comme essentiels dans la régulation de l'horloge circadienne, puis délaissés avec la découverte de la mélanopsine, les cônes reviennent dans la partie concernant leurs rôles dans la régulation de notre horlogie biologique. 


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    Comment se fait-il que nous soyons fatigués lorsque la nuit tombe et actifs quand le soleilsoleil brille ? La réponse se trouve au sein de notre horloge circadienne. Nous possédons toutes et tous une horloge interne qui régule l'activité de nos cellules et de notre métabolisme. D'un point de vue évolutionnaire, cette horloge serait probablement apparue pour maintenir les rythmes biologiques des différentes espècesespèces malgré les variations du niveau de lumièrelumière, selon la zone géographique ou encore les saisons

    Néanmoins, cette horloge interne s'adapte à la luminosité et nous sommes tous capables de synchroniser nos processus physiologiques avec des éclairages divers et variés. Ce phénomène, que l'on appelle le photo-entraînement, est possible grâce à notre rétine et aux pigments absorbant la lumière qu'elle abrite. Comment fonctionne cette horloge rétinienne ? Pour répondre précisément à cette question, avec les connaissances actuelles et les incertitudes de la recherche, nous avons interrogé Ouria Dkhissi-Benyahya, chercheuse en neurosciences, travaillant spécifiquement sur la neurobiologie des rythmes circadiensrythmes circadiens à l'Institut national pour la Science et la Recherche médicale à l'Institut cellules souches et cerveau, à Bron. 

    Quelques rappels

    Votre rétine contient des neuronesneurones sensibles à la lumière et à ses différentes longueurs d'ondeslongueurs d'ondes. Ces derniers permettent la transmission d'informations lumineuses aux aires cérébrales chargées de les traiter. Ces différents neurones connus sont au nombre de cinq : les photorécepteurs (les cônescônes et les bâtonnetsbâtonnets), les cellules bipolaires, les cellules ganglionnaires, les cellules horizontales et les cellules amacrines. Dans cet article, nous allons surtout nous intéresser aux photorécepteurs et aux cellules ganglionnaires. 

    Un schéma simplifié des cellules photoréceptrices de notre rétine : les cônes et les bâtonnets © designua, Adobe Stock 
    Un schéma simplifié des cellules photoréceptrices de notre rétine : les cônes et les bâtonnets © designua, Adobe Stock 

    Les bâtonnets et les cônes contiennent des pigments photosensibles qui, à l'aide de processus moléculaires et à l'action d'autres types de cellules, convertissent l'information lumineuse perçue en message électrique (un potentiel d'actionpotentiel d'action), puis chimique (des neurotransmetteursneurotransmetteurs). On appelle ce phénomène la phototransduction. Les bâtonnets sont spécialisés dans le traitement des nuances des éclairages tandis que les cônes permettent la vision des couleurs. Mais, concernant la transmission de l'intensité de la luminanceluminance, ce sont les cellules ganglionnaires à mélanopsinemélanopsine qui entrent en jeu car elles contiennent un photopigment spécifique, la mélanopsine, qui entraîne -- à l'inverse des photopigments, des cônes et des bâtonnets -- une dépolarisation des cellules ganglionnaires photosensibles. 

    Faire le deuil des hypothèses simplistes

    Le phénomène d'adaptation des cycles circadiens à la lumière n'est pas simple. Pourtant, historiquement, les scientifiques ont été nombreux à adhérer à des hypothèses unidimensionnelles : « Au début de la recherche sur ces questions, on pensait que c'était les cônes et les bâtonnets qui étaient responsables du photo-entraînement. Puis, avec la découverte de la mélanopsine en 1998, il y a eu beaucoup d'engouement et certains ont émis l'hypothèse que c'était le seul photopigment intervenant dans le processus. Progressivement, grâce à des preuves expérimentales qui ont démontré que chez des modèles de souris dépourvues de mélanopsine on n'abolissait pas complètement la réponse adaptative à la lumière, on a reconsidéré l'hégémonie de la mélanopsine », explique Ouria Dkhissi-Benyahya.

    Désormais, on sait que les bâtonnets et les cônes sont impliqués dans ce processus. Pourtant, il reste encore de grandes questions auxquelles la recherche doit répondre. Une récente étude parue dans la revue Proceedings National Academy of Science est venue préciser les rôles distincts de certains sous-types de cônes au niveau de l'horloge biologique

    Des souris modifiées génétiquement ont été exposées à différentes longueurs d'ondes dans des conditions de laboratoire. © Gorodenkoff, Adobe Stock
    Des souris modifiées génétiquement ont été exposées à différentes longueurs d'ondes dans des conditions de laboratoire. © Gorodenkoff, Adobe Stock

    Ce que montrent les travaux récents 

    Cette étude a été réalisée afin de déterminer le rôle spécifique des cônes dans le photo-entraînement en analysant les réponses électrophysiologiques et comportementales chez deux types de souris : « Dans cette étude, les chercheurs ont comparé un modèle murinmodèle murin sauvage et un modèle murin modifié génétiquement où seuls les photopigments présents dans les cônes s'exprimaient, précise la spécialiste Ouria Dkhissi-Benyahya. Ils ont fait des observations intéressantes comme la différence de réponse du noyau suprachiasmatiquenoyau suprachiasmatique entre les deux modèles et l'importance de la présence des cônes sensibles aux courtes longueurs d'ondes [les cônes S pour "short wavelength" ndlr] dans le photo-entraînement qui ne sature pas aussi vite qu'on ne le pensait en réaction à la lumière ». 

    Un domaine en pleine effervescence

    L'horloge interne de notre organisme et des mécanismes adaptatifs de cette dernière constitue un domaine de recherche récent à l'échelle de la science. Par conséquent, il reste encore beaucoup de choses à explorer : « Il existe beaucoup d'hypothèses à l'heure actuelle concernant le rôle des cônes dans la mise à jour de nos rythmes circadiens. Est-ce un mécanisme redondant ? Ont-ils des effets particuliers ? Si oui lesquels et comment est-ce que cela fonctionne ? L'horlogerie interne de la rétine contribue-t-elle de façon similaire à notre adaptation à la lumière que les signaux envoyés au noyau suprachiasmatique ? Avec notre équipe, nous avons récemment démontré, dans d'autres travaux, que les bâtonnets pouvaient remplir différents rôles selon la structure. Cela suggère qu'un même tissu peut remplir des missions différentes et c'est ce qu'il nous reste à explorer », conclut la chercheuse.