Alors que l’histoire terrestre nous apparaît souvent comme un enchaînement effréné de crises biologiques et climatiques, il existe une période durant laquelle il ne s’est quasiment rien passé à l’échelle du globe. Cet épisode de stagnation climatique, tectonique, biologique et même dynamique lorsqu’on regarde les niveaux profonds de la Terre, est communément appelé le « milliard ennuyeux ». Un terme un tantinet péjoratif que certains chercheurs invitent aujourd’hui à abandonner au profit du « milliard équilibré ».


au sommaire


    Nous avons l'habitude de considérer l'histoire de la Terre sous l'image d'une longue frise continue, ponctuée régulièrement d'événements majeurs, pour certains catastrophiques. Les géosciences nous enseignent ainsi qu'au fil du temps, la surface terrestre n'a cessé d'évoluer, principalement à cause de la tectonique des plaques. Alors que certains continents s'ouvraient pour laisser la place à de nouveaux océans, d'autres entraient en collision, donnant naissance à de hautes chaînes de montagnes. En partie à cause de cette évolution perpétuelle du relief terrestre et du réagencement des massesmasses continentales, le climat, lui aussi, a évolué. GlaciationsGlaciations et périodes de réchauffement extrême se sont succédé, façonnant le paysage. De leur côté, précipitations et volcanisme ont contribué à enrichir les océans en éléments nutritifs, favorisant ainsi le développement des organismes vivants. L'évolution de la vie terrestre n'a cependant pas été un long fleuve tranquille. De sévères extinctions de masse ont entrecoupé des périodes d'intense diversification.

    Les extinctions de masse ponctuent régulièrement l'histoire terrestre. © Victor Leshyk, Université du Connecticut
    Les extinctions de masse ponctuent régulièrement l'histoire terrestre. © Victor Leshyk, Université du Connecticut

    L’histoire de la Terre : une succession de crises de toutes sortes

    Bref, même si le film a défilé très lentement et que chaque changement ne peut être vu qu'en considérant des périodes de plusieurs millions d'années, on ne peut pas dire qu'il ait été ennuyeux. Et pourtant, il existe un épisode durant lequel cette formidable dynamique semble avoir été mise sur pause. Un peu comme si la Terre tout entière était entrée dans une phase de léthargie.

    Cet épisode débute au milieu du ProtérozoïqueProtérozoïque, il y a environ 1,8 milliard d'années. Plusieurs grands événements marquants dans l'histoire de la Terre se sont pourtant succédé peu de temps auparavant. La glaciation huronienne s'est terminée 300 millions d'années plus tôt, la fontefonte des glaces ayant entraîné un important lessivage des surfaces continentales et un apport massif de nutrimentsnutriments dans les océans, favorisant le développement de cyanobactériescyanobactéries photosynthétiques. Le taux d'oxygène a alors augmenté brusquement dans l'atmosphèreatmosphère. Cet épisode connu sous le terme de Grande OxydationGrande Oxydation va entraîner l'apparition d'organismes aérobiesaérobies et la formation de la couche d'ozonecouche d'ozone, qui, en absorbant une grande partie du rayonnement solairerayonnement solaire ultravioletultraviolet, va favoriser la diversification des êtres vivants.

    Histoire terrestre et position du « milliard ennuyeux » qui marque une phase de stagnation climatique, biologique et tectonique. © J. Hirshfeld, <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa 4.0
    Histoire terrestre et position du « milliard ennuyeux » qui marque une phase de stagnation climatique, biologique et tectonique. © J. Hirshfeld, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0

    Une phase de léthargie terrestre qui a duré un milliard d’années

    Puis... plus rien. Dans les années 1990, la révision des événements géologiques, biologiques et climatiques au cours de l'histoire terrestre va en effet mettre en évidence l'existence d'une période de stagnation, entre 1,8 et 0,8 milliard d'années. Durant ce milliard d'années que les géologuesgéologues qualifient de « milliard ennuyeux » ou « milliard stérile », rien de particulièrement excitant ne va en effet se produire. Le climat va rester relativement constant, sans épisode de glaciation majeure, ce qui est inhabituel lorsqu'on regarde le reste de l'histoire climatique terrestre. Les masses continentales se rassemblent toutes dans la zone équatoriale pour former le supercontinentsupercontinent Rodinia. Aucune déchirure continentale ne va être observée durant cette période que les scientifiques considèrent comme une longue stase tectonique. D'un autre côté, les océans semblent relativement appauvris en nutriments. Les taux d'oxygène, malgré la Grande Oxydation, sont en effet encore très faibles comparativement à ceux actuels. Les réactions d'oxydation, essentielles au soutien des cycles géochimiques, sont alors trop faibles. En conséquence, on observe une stagnation évolutive du vivant.

    La période couramment appelée « milliard ennuyeux » correspond à une étonnante stagnation de nombreux processus terrestres. Les journées terrestres restent figées sur une durée de 19 heures, la composition atmosphérique reste étonnamment stable, l'évolution biologique stagne, le climat se stabilise, sans nouvelle glaciation majeure, aucune perturbation n'est enregistrée dans le cycle du carbone, aucun grand épisode tectonique n'est enregistré, en lien, peut-être avec une situation particulière dans les niveaux terrestres plus profonds. © Ross Mitchell
    La période couramment appelée « milliard ennuyeux » correspond à une étonnante stagnation de nombreux processus terrestres. Les journées terrestres restent figées sur une durée de 19 heures, la composition atmosphérique reste étonnamment stable, l'évolution biologique stagne, le climat se stabilise, sans nouvelle glaciation majeure, aucune perturbation n'est enregistrée dans le cycle du carbone, aucun grand épisode tectonique n'est enregistré, en lien, peut-être avec une situation particulière dans les niveaux terrestres plus profonds. © Ross Mitchell

    Et cette situation va durer 1 milliard d'années. C'est long, même pour un géologue. Le système va finalement brutalement se remettre en branle il y a 800 millions d'années avec l'éclatement du supercontinent Rodinia. Une nouvelle grande phase d'oxygénation va avoir lieu, une nouvelle glaciation, et la vie va reprendre son développement de façon frénétique.

    De l’ennui vers l’équilibre

    Mais cette période mérite-t-elle qu'on s'y désintéresse et qu'on l'affuble d'un terme aussi péjoratif ? Dans un article publié dans la revue GSA Today, RossRoss Mitchell et David Evans invitent à reconsidérer cet épisode mystérieux qui représente une vaste portion de l'histoire terrestre. Cette apparente « stagnation » ne serait-elle pas en réalité le résultat d'interactions complexes entre différents processus majeurs se jouant à l'échelle du globe ? Des interactions qui, pour une fois, au lieu de dégénérer en crises biologiques ou climatiques (qui ne résultent en réalité que de déstabilisations profondes de cycles naturels comme celui du carbonecarbone, par exemple) auraient au contraire débouché sur un équilibre global, auquel nous ne serions, certes, pas habitués. Au lieu de parler de « milliard ennuyeux », ne faudrait-il donc pas dire plutôt « milliard équilibré » ?

    Quelles interactions ont permis d'éviter que le volcanisme, qui n'a par contre jamais cessé d'être actif et qui est habituellement source de déstabilisation du climat, n'entraîne un quelconque basculement climatique ? © Beboy, Adobe Stock
    Quelles interactions ont permis d'éviter que le volcanisme, qui n'a par contre jamais cessé d'être actif et qui est habituellement source de déstabilisation du climat, n'entraîne un quelconque basculement climatique ? © Beboy, Adobe Stock

    Comprendre cet épisode de l'histoire de la Terre reviendrait alors à considérer les formidables interconnexions qui existent entre la dynamique profonde de la planète (mouvementsmouvements du noyau, convectionconvection mantellique, volcanisme), la surface (mouvement des plaques, composition atmosphérique et océanique, climat, activité biologique) et les autres corps du Système solaire, et à établir comment, toutes ensemble, elles ont pu entraîner un si parfait équilibre planétaire, sur une période aussi longue. Un incroyable phénomène de balance extrêmement délicat, quand on sait à quel point il est facile de déstabiliser les systèmes terrestres...