Non, nous ne sommes pas le 1er avril. Et heureusement, parce que sinon, personne n’aurait cru à la nouvelle. Le sultan Al Jaber vient tout juste d’être désigné pour être le président de la COP28 qui se tiendra à Dubaï à la fin de cette année 2023. Le problème ? C’est qu’il est aussi le P.-D.G. de l’un des plus grands producteurs de pétrole au monde…


au sommaire


    Le sultan Al Jaber est, depuis quelques années, le P.-D.G. de la compagnie nationale pétrolière Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc). L'un des plus grands producteurs de pétrolepétrole au monde. Il vient d'être choisi pour présider la prochaine édition de la Conférence des parties signataires de la Convention-Cadre de l'Organisation des Nations unies sur les changements climatiqueschangements climatiques, la COP28, qui se tiendra à Dubaï en cette fin d'année 2023. Un prince du pétrole comme chef d'orchestre de négociations climatiques internationales ? De prime abord, on voit assez mal comment on pourrait faire plus WTF (What the fuck !, ndlr) que ça. Mais en y regardant de plus près...

    Rappelons d'abord, si besoin est, que Dubaï est loin d'être un modèle de développement durable. La plus grande piste de ski indoor du monde dans une région où les températures moyennes oscillent entre 24 et 41 °C. Du bétonbéton coulé sur des récifs coralliens pour s'agrandir d'îles palmiers qui font le bonheur des touristes. Une croissance alimentée par les énergies fossiles... celles-là mêmes qui sont responsables du réchauffement climatique que la COP28 vise à limiter.

    Récemment, les Émirats arabes unis -- qui restent dans le top 5 des plus gros émetteurs de CO2 au monde avec plus de 20 tonnes émises par an et par habitant contre environ 4,5 en France et un objectif climatique de 2... -- ont d'ailleurs réaffirmé leur ambition d'augmenter leur production de pétrole et de gazgaz dans les décennies à venir.

    Adnoc, la société dirigée par le sultan Al Jaber qui présidera donc la COP28, prévoit ainsi d'investir près de 130 milliards de dollars dans le secteur au cours des cinq prochaines années. Pour faire monter sa production à 5 millions de barils de pétrole par jour d'ici 2027 contre 3,5 millions aujourd'hui. Et développer le gazier offshore. « L'industrie des hydrocarbureshydrocarbures devra être incluse dans le mix, a d'ailleurs déclaré le sultan Al Jaber lors de la COP27. Pour satisfaire la demande mondiale », paraît-il...

    Du vert pour recouvrir le noir

    En parallèle, les Émirats arabes unis ont été les premiers du Moyen-Orient à fixer -- en octobre 2021... mieux vaut tard que jamais -- un objectif de zéro émissionémission nette pour 2050. Le pays a été l'un des rares à avoir répondu à l'appel, l'an dernier, pour intensifier les efforts d'ici 2030 ; efforts sur des bases qui restent tout de même très floues, à partir d'un plan que les experts jugent plus en accord avec un réchauffement global... de 3 °C. Et qui, sans un déploiement massif de technologies de capture et de stockage du carbonecarbone, semble surtout fondé sur l'échec du reste du monde à atteindre son propre zéro émission nette !

    On peut tout de même reconnaître aux Émirats arabes unis leur engagement pour les énergies renouvelables. Il faut dire qu'avec l'ensoleillement dont ils bénéficient, ils auraient bien tort de s'en priver. Le gouvernement prévoit ainsi d'installer plus de 9 GW de capacité solaire d'ici 2030. De quoi tripler les niveaux actuels. Pour comparaison, fin 2020, la capacité du parc français raccordé au réseau de métropole était d'un peu plus de... 10 GW !

    Le pays affirme aussi avoir déjà investi plus de 50 milliards de dollars pour financer des projets d'énergie renouvelableénergie renouvelable dans 70 pays. Et il a conclu un partenariat avec les États-Unis pour déployer 100 GW dans le monde d'ici 2035 pour un montant de 100 milliards de dollars.

    Qui est le sultan Al Jaber ?

    Mais, revenons au sultan Al Jaber. En novembre 2023, il deviendra donc le premier P.-D.G. à présider une COP. P.-D.G. d'une compagnie pétrolière, donc. P.-D.G. aussi de Masdar, une société gouvernementale... d'investissement dans les énergies renouvelables. C'est justement la raison pour laquelle les Émirats arabes unis disent l'avoir choisi. Pour sa connaissance approfondie des systèmes énergétiques en général. Le meilleur moyen, selon eux, de trouver « des solutions réalistes, pratiques et pragmatiques pour accélérer la transition énergétiquetransition énergétique mondiale ».

    Le saviez-vous ?

    Si la société d’énergies renouvelables Masdar que dirige le sultan Al Jaber apparaît florissante, il n’en va pas tout à fait de même du projet de ville « zéro émission » Masdar City lancé à Abu Dhabi en 2006. Alors que les promoteurs avaient prévu un achèvement des travaux en 2016, la fin du chantier semble vouloir être reportée à au moins 2030. Il n’y a pas que les chantiers EPR qui prennent du retard…

    Certains avancent que le sultan est un « visionnaire ». Qu'il a été placé à la tête d'Adnoc justement pour préparer « l'ère post-pétrole ». Ils ont d'ailleurs salué ce choix. Le directeur général de l'Agence internationale des énergies renouvelables -- dont le siège se trouve à Abou Djabi -- a « félicité chaleureusement » le sultan. Tony Blair, l'ancien Premier ministre britannique, s'est dit convaincu « que le sultan a, à la fois, le statut et la capacité d'offrir un leadership révolutionnaire pour la COP28 ».

    Voir aussi

    Masdar City, la ville à zéro émission, sort de terre

    Il n'en reste pas moins que, d'un point de vue symbolique, désigner un prince du pétrole comme président d'une COP, celui-là même dont le rôle devrait être celui de « l'intermédiaire neutre » entre les gouvernements, c'est pour le moins... déroutant ! Et nombreux sont ceux qui s'en indignent aujourd'hui. Pour le Réseau Action ClimatClimat« c'est complètement ubuesque ». Le climatologueclimatologue Jean JouzelJean Jouzel, lui, « craint qu'un président très impliqué au niveau du secteur pétrolier ne soit pas la bonne personne pour pousser à l'action ».

    « La réalité, c'est que les pourparlers sur le climat seront dirigés par le P.-D.G. d'une entreprise pariant sur l'échec climatique, souligne Oil Change International. Cette nomination augmente les inquiétudes quant au fait que les Émirats arabes unis utiliseront leur présidence de la conférence sur le climat pour favoriser les intérêts de ceux qui exploitent les combustibles fossiles », commente Amnesty International, de son côté.

    À ceux qui, pour au moins sauver les apparences, réclament la démission du sultan Al Jaber de son poste de P.-D.G. d'Adnoc, les Émirats arabes unis ont aussi déjà répondu. Il n'en fera rien ! Et pendant ce temps, la Suisse, elle, vient de nommer un nouveau ministre de l'Environnement : Albert Rösti, un lobbyiste du pétrole...