Biographie
Jean Jouzel est né le 5 mars 1947 à Janzé, en Bretagne. Son parcours académique commence du côté de la chimie avec l'obtention d'une licence en 1967.
En 1968, il est diplômé de l'école supérieure de chimie industrielle de Lyon et poursuit avec un DEA de chimie physique à l'issue duquel il présente sa thèse. En 1974, sa thèse de docteur ès-sciences, effectuée au sein du CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives), porte sur les mécanismes de formation des grêlons.
C'est au même CEA que sa carrière de scientifique commence. Il doit son premier succès au projet Vostok qui voit la découverte d'une couche de glace de 200 mètres sous le lac sous-glaciaire du même nom, en Antarctique.
Fort de ce succès et de celui du programme Grip (forage au Groenland), Jean Jouzel met sur pied le programme Epica qui consiste à effectuer des forages dans l'Antarctique, et en devient directeur de 1995 à 2001.
Parallèlement, il assure les fonctions diverses de responsable du laboratoire de géochimie isotipique du CEA de 1986 à 1991, directeur adjoint du laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement (CNRS) de 1989 à 1995, directeur adjoint du laboratoire de modélisation du climat et de l'environnement (CEA) de 1991 à 1996, chef de ce même laboratoire en 1997 ou encore responsable du groupe « climat » au sein du laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (CEA/CNRS).
De 2001 à 2008, il est directeur de l'institut Pierre-Simon Laplace, une fédération de sept laboratoires créée en 1991, travaillant notamment sur les questions du climat. Depuis 1995, il est directeur de recherches au CEA.
En 1994, Jean Jouzel intègre le Giec(Groupe d'experts international sur l'évolution du climat), en tant qu'expert du groupe de travail n°1. Il fait maintenant partie du conseil d'administration du groupe d'experts.
En 2002, le CNRS lui décerne, conjointement avec Claude Lorius, sa médaille d'or, plus haute distinction de la recherche scientifique en France. En 2007, avec le Giec, il reçoit le prix Nobel de la paix.
Jean Jouzel est également membre de nombreuses académies ou sociétés savantes.
Au cours de sa carrière, il a été l'auteur de plus de 250 publications scientifiques dont environ 200 sont parues dans les meilleures revues scientifiques (revues de rang A, comme Nature ou Science). Il est l'un des auteurs les plus cités dans le domaine des sciences de l'univers.
Jean Jouzel : mes activités scientifiques
Mes travaux de recherche concernent, pour l'essentiel, l'utilisation des formes isotopiques de la molécule d'eau en vue de reconstruire les changements climatiques passés à partir des glaces polaires et la modélisation isotopique associée aussi bien à partir de modèles simples que de modèles de circulation générale de l'atmosphère (MCG). Depuis les années 70, j'ai activement participé à presque tous les grands programmes internationaux basés sur l'étude de forages glaciaires et au développement de la modélisation des isotopes de l'eau dans l'atmosphère avec, sur le plan international, un leadership reconnu dans ces deux domaines.
Après l'obtention d'un diplôme d'ingénieur chimiste, je me suis formé à la géochimie isotopique durant ma thèse préparée à Saclay et consacrée à l'étude de la formation de gros grêlons à partir de la répartition des isotopes de l'eau, HDO (deutérium), H218O (oxygène 18) et HTO (tritium). Cette thèse m'a familiarisé avec les différents aspects des fractionnements isotopiques qui affectent les molécules d'eau, ce qui m'a ensuite été fort utile pour aborder la modélisation de ces isotopes dans l'atmosphère et dans les précipitations à l'échelle globale. À l'issue de cette thèse, j'ai accompli l'ensemble de mes travaux de recherche comme ingénieur puis directeur de recherche au CEA, au sein d'un laboratoire dépendant de cet organisme (LGI), puis d'une UMR (LMCE puisLSCE, Unité mixte CEA-CNRS-UVSQ).
Le développement d'un modèle simple d'un point de vue dynamique (type modèle de Rayleigh) mais prenant en compte la complexité des processus de fractionnement liés à la différence des pressions de vapeur saturante (fractionnement à l'équilibre) et des diffusivités moléculaires (effet cinétique) a constitué une première contribution importante. J'ai ensuite étendu les modèles initialement développés dans les années 60 de façon à tenir compte des fractionnements cinétiques à la surface de l'océan et lors de la formation de la neige. Cette approche qui s'appuie sur une description détaillée de la physique des isotopes a également été appliquée aux systèmes convectifs et aux nuages mixtes. Les formulations que j'ai alors développées avec Liliane Merlivat et Philippe Ciais sont, depuis, très largement utilisées, y compris dans le cadre du développement de MCG incluant les molécules isotopiques.
À la fin des années 70, j'ai été à l'origine de cette approche novatrice consistant à introduire les isotopes de l'eau dans un modèle de circulation générale de l'atmosphère. Le premier MCG doté d'une version isotopique (IMCG) a été celui du Laboratoire de Météorologie Dynamique (thèse de Sylvie Joussaume). En collaboration avec Randy Koster, j'ai ensuite introduit les isotopes de l'eau dans le modèle du GISS (New-York), institut de la NASA où j'ai séjourné pendant deux ans. Avec ce modèle, j'ai réalisé des simulations aussi bien pour le climat moderne que pour celui du dernier maximum glaciaire et exploré le lien entre l'origine des précipitations et leur teneurs isotopiques. J'ai également collaboré de façon étroite avec Georg Hoffmann (modèle isotopique ECHAM) et été associé au développement de la nouvelle version isotopique du modèle du LMD.
C'est avec l'objectif d'améliorer l'interprétation climatique des profils isotopiques enregistrés dans les glaces polaires que je me suis impliqué dans cet effort de modélisation s'appuyant à la fois sur des modèles simples et sur des IMCG. Cette approche a permis d'examiner la validité du paléothermomètre isotopique basé sur l'utilisation des données observées dans les conditions actuelles pour interpréter les données du passé. Combinant modèles simples etIMCG, j'ai contribué à expliquer pourquoi cette approche est justifiée en Antarctique alors qu'elle ne l'est pas au Groenland. Cette modélisation a également permis d'établir un lien entre l'excès en deutérium (une combinaison linéaire des teneurs en deutérium et oxygène 18) et les conditions (température,humidité relative,...) prévalant dans les régions océaniques d'où proviennent ces précipitations.
Des fractionnements prennent également place lorsque l'eau gèle et là aussi, j'ai largement contribué, en collaboration avec Roland Souchez, à l'utilisation de cette propriété afin d'étudier la formation de la glace dans différents contextes (glaciers tempérés et polaires, glace de mer, glace de regel...). Elle a ainsi permis de caractériser la glace qui, sur une épaisseur de plus de 200 m, s'est accrétée par regel à la base de la calotte antarctique à partir de l'eau du Lac Vostok (lac sous-glaciaire).
J'ai commencé à étudier les glaces polaires dans les années 70, en collaboration avec Claude Lorius et ses collègues grenoblois, en participant à l'étude isotopique du premier forage Dome C réalisé en 1977. Je me suis ensuite pleinement consacré au projet Vostok conduit dans les années 80 et 90 avec des équipes russes et américaines, en apportant une contribution clé à l'obtention des séries climatiques. C'est largement grâce aux résultats obtenus sur ce carottage permettant de reconstruire climat et environnement - en particulier gaz à effet de serre - sur plus de 400 000 ans que Claude Lorius et moi-même avons conjointement reçu la Médaille d'or du CNRS en 2002. Mon nom est également associé à la mise sur pied et au succès du projet européen EPICA (European project for Ice Coring in Antarctica dont j'ai assuré la responsabilité de 1994 à 2000). Il s'est concrétisé par deux forages en Antarctique de l'Est dont l'un a permis d'étendre l'échelle de temps à 800 000 ans (Dome C) tandis que l'accumulation plus élevée à EDML (secteur atlantique) nous a offert l'opportunité d'examiner de façon optimale les relations de phase entre le climat du Groenland et celui de l'Antarctique.
Au-delà de l'analyse et de l'interprétation des profils isotopiques, j'ai fortement contribué à de nombreux autres aspects des projets Vostok et EPICA : établissement des chronologies, comparaison entre les variations climatiques et celles des gaz à effet de serre, corrélation avec d'autre enregistrements paléoclimatiques, contribution à l'interprétation de divers paramètres enregistrés dans ces glaces incluant les teneurs en poussière et en béryllium 10 ainsi que les teneurs isotopiques de l'oxygène de l'air, de l'azote, de l'argon et du soufre. Ces travaux ont été réalisés avec Valérie Masson - Delmotte, ma plus proche collaboratrice à Saclay depuis une quinzaine d'années, avec de brillants étudiants en thèse (cf liste) dont presque tous ont intégré le monde de la recherche, et avec de nombreux collègues français (en particulier du Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l'Environnement où j'ai été associé à l'équipe de direction de 1989 à 1995), et étrangers (européens, américains, argentins, australiens, chinois, japonais et russes). Notre contribution inclut également la démonstration - avec un article pionnier au début des années 80 - de l'intérêt de l'excès en deutérium comme outil permettant de mieux comprendre le fonctionnement du cycle de l'eau dans les régions polaires. De fait, en réponse à ces travaux, le deutérium et l'oxygène 18, sont depuis systématiquement analysés sur les tous les carottages glaciaires.
Quoique plus directement impliqué sur les projets conduits en Antarctique, j'ai aussi significativement contribué à ceux, GRIP et North GRIP, conduits au Groenland, en mettant l'accent sur l'étude des relations interhémisphériques.
En résumé, j'ai depuis environ 35 ans été un acteur de premier plan de presque tous les programmes de forages profonds réalisés en Antarctique ou au Groenland (ceci incluant des collaborations avec les scientifiques américains du projet GISP 2 au Groenland). J'ai eu la responsabilité de l'équipe "glaces" de notre laboratoire de Saclay jusqu'au milieu des années 1990, une responsabilité prise en charge, depuis, par Valérie Masson - Delmotte. Je suis toujours impliqué dans les activités de cette équipe qui travaille actuellement sur l'interprétation des données obtenues dans le cadre du projet EPICA et sur des projets en cours au Groenland (NEEM) et en Antarctique (Talos Dome).
En dehors de la communauté intéressée par les carottages glaciaires, j'ai établi des liens étroits avec les paléocéanographes avec l'objectif d'utiliser de façon optimale les enregistrements glaciaires pour déchiffrer les mécanismes à l'oeuvre aussi bien à l'échelle de temps des grands cycles climatiques qu'à celle des variations climatiques rapides. J'ai appliqué la même approche pour les enregistrements continentaux en développant des collaborations avec des spécialistes des sédiments lacustres et des enregistrements obtenus à partir de stalagmites. Outre ma forte contribution au développement de la modélisation isotopique, j'ai été à l'origine du lancement du projet d'intercomparaison des MCG pour des simulations de climats passés (projet PMIP).
J'ai également contribué à des projets visant à reconstruire les variations climatiques récentes (le dernier millénaire) et me suis beaucoup intéressé à ce en quoi l'étude des climats passés est pertinente pour mieux cerner son évolution future. Dans ce contexte, je peux citer ma participation aux travaux duGIEC, pratiquement dès son origine, comme auteur principal des 2e et 3e rapports et depuis 2001 comme membre de son bureau (vice-président du groupe scientifique). Je citerai également mon implication, au titre de la coordination française, dans un consortium européen engagé depuis cette année dans un projet de l'Institut Européen de Technologie largement dédié à l'innovation dans le domaine de la lutte contre l'effet de serre et de l'adaptation au réchauffement climatique.
Je suis auteur ou coauteur d'environ 400 publications, la plupart dans des revues à comité de lecture. Ceci inclut 48 publications dans les revues Nature ou Science et de nombreux articles dans des journaux de tout premier plan. La moitié d'entre elles concerne les glaces polaires (climat du quaternaire et changements climatiques rapides) tandis qu'environ 40 % sont liées aux isotopes dans les précipitations et à la modélisation associée (incluant les aspects touchant à l'excès en deutérium) ; les autres traitent du lien entre climat passé et climat futur. Ces publications sont très bien citées. Le nombre total de citations est proche de 25.000 (Facteur H de 73) avec un accroissement significatif au cours des toutes dernières années (~ 8.000 citations sur la période 2007-2011), mettant, je crois, en exergue l'importance des travaux basés sur l'analyse des glaces polaires.
La qualité de mes travaux a été pleinement reconnue aussi bien sur le plan national (Médaille d'Or du CNRS conjointement avec Claude Lorius) qu'international (Médaille Milankovitch de l'EGS et Médaille Revelle de l'EGU, Prix de la Fondation Prince Albert II de Monaco). Conjointement avec Susan Solomon, j'ai reçu le prix 2012 de la Fondation Vetlesen ; cette récompense décernée tous les 4 à 5 ans est considérée - c'est également le cas du Prix Craaford - comme le « Nobel des Sciences de la Terre et de l'Univers ».
En parallèle à mes activités de recherche, j'ai consacré une partie de mon temps au service de notre communauté en acceptant de prendre des responsabilités de direction et en m'investissant dans différentes initiatives ou organisations scientifiques aux plans national et international. En charge du Laboratoire de Géochimie Isotopique à partir de 1986, ces responsabilités ont, de 2001 à 2008, culminé avec la direction de l'IPSL, un institut qui fédère six laboratoires de la région parisienne dont les recherches concernent le climat et l'environnement (y compris planétaire).
J'ai par ailleurs présidé de nombreux comités au niveau national. Président jusqu'à fin 2009 du Conseil d'Administration de l'Institut Polaire Paul-Emile Victor (IPEV) et du Comité Scientifique Consultatif de Météo-France (COMSI), je préside actuellement le Haut Conseil de la Science et de la Technologie (HCST), placé auprès du Premier ministre. Mes activités internationales concernent ou ont concerné le GIEC, la Fondation Européenne de la Science, le Programme Recherche Mondial sur le Climat, le Programme International Biosphère Géosphère et le Conseil Européen de la Science. Je suis également actif en dehors du monde de la recherche (cf CV). Enfin je consacre une partie notable de mon temps à la communication vers le grand public et à la rédaction d'ouvrages s'intéressant à l'évolution passée et future de notre climat.