L’alignement des dunes pourrait bien être un indicateur efficace des écoulements atmosphériques. Dans une nouvelle étude, une équipe franco-chinoise montre qu’en Mongolie Intérieure, les dunes deviennent obliques, avec un angle de 50° en réponse aux vents dominants. Les déserts, même sur d’autres planètes du système solaire pourraient donc être utiles dans l’étude de circulation atmosphérique.

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    Dune géante avec des formes de relief superposées près d'un lac du désert de Badain Jaran (Mongolie intérieure, Chine). © C.Narteau, IPGP (CNRS, Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité)

    Dune géante avec des formes de relief superposées près d'un lac du désert de Badain Jaran (Mongolie intérieure, Chine). © C.Narteau, IPGP (CNRS, Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité)

    Dans les déserts arides, les relations entre alignement des dunes et orientation des vents restent encore mal connues car hors de portée des moyens d'observation, en particulier dans les régions soumises à de fortes fluctuations climatiques saisonnières. Afin de lever une grande part de ces indéterminations, une équipe de chercheurs franco-chinoise a développé des expériences originales, grandeur nature dans le désert du Tengger (Mongolie Intérieure, Chine). Après avoir aplani une zone de 16 hectares en décembre 2007, des dunes se sont formées et propagées dans leur environnement naturel à partir de ces conditions initiales et aux limites contrôlées.

    Durant quatre années, les scientifiques ont procédé à des relevés topographiques et des mesures continues des vents. Ces expériences révèlent le développement d'un motif de dunes régulier, dont l'amplitude ne cesse de croître. Suivant les saisons, les dunes se déplacent dans différentes directions en fonction de l'orientation du vent dominant. Finalement, l'orientation des dunes se stabilise pour former un angle de 50° avec la résultante des flux de sable. Cette première validation de l'existence des dunes « obliques » suggère que l'alignement des dunes peut être utilisé pour déterminer les principales caractéristiques des écoulements atmosphériques sur Terre mais aussi sur d'autres planètes du système solairesystème solaire. Ces travaux sont publiés dans Nature Geoscience, publié en ligne le 12 janvier 2014.

    Dunes longitudinales de Mauritanie (7°34 ́58.99 Nord et 14°45 ́32.36 Ouest), (b) Dunes transverses en Chine (38°31 ́23.91 Nord et 105°05 ́40.97 Est). © CNRS, Insu

    Dunes longitudinales de Mauritanie (7°34 ́58.99 Nord et 14°45 ́32.36 Ouest), (b) Dunes transverses en Chine (38°31 ́23.91 Nord et 105°05 ́40.97 Est). © CNRS, Insu

    Les flux de sable maximaux lorsqu’ils sont perpendiculaires à la crête

    Sur Terre, comme sur Mars, les mers de sable présentent un très large éventail de formes dunaires qui constituent les paysages les plus révélateurs de l'activité éolienneéolienne, synonyme de circulation atmosphériquecirculation atmosphérique. Dans la plupart des cas, la saisonnalité du forçage climatique dans les régions subtropicales implique que ces zones désertiques sont soumises à des régimes de vents bimodaux.

    Sous de telles conditions, il est communément admis que les dunes s'alignent suivant la direction pour laquelle les flux de sable perpendiculaires à la crête atteignent un maximum. En fonction de l'angle de divergence entre les deux vents, les dunes peuvent alors être considérées comme transverses ou longitudinales si elles sont respectivement perpendiculaires ou parallèles à la résultante des flux de sable. Dans tous les autres cas, les dunes sont considérées comme obliques.

    Si cette classification a été vérifiée dans des expériences de laboratoires sous-marines ou à l'aide de modèles numériquesmodèles numériques, elle restait encore à être validée dans le cadre éolien. En effet, il a toujours été très difficile d'avoir accès à la dynamique des dunes obliques à la fois sur le terrain à cause du manque de données et des échelles de temps qui les caractérisent comme en soufflerie à cause de la taille minimum des dunes (environ dix mètres).

    Tengger, un site idéal pour étudier les dunes obliques

    Le site expérimental de l'Académie des Sciences de Chine se trouve dans le désert du Tengger qui constitue la partie la plus méridionale du désert de Gobi. Limité au nord-ouest par les monts du Yabrai et au sud par le fleuve Jaune, cette région possède un climat continentalclimat continental aride avec moins de 180 mm de précipitationsprécipitations annuellesannuelles. La température moyenne se situe entre 24,3 °C en juillet et -6,9 °C en janvier.

    Dans un tel désert froid, les flux sédimentaires résultent de l'alternance entre un vent dominant du nord-ouest généré par les hautes pressionspressions de l'anticyclone de Sibérie (hiverhiver et surtout printemps) et un vent secondaire d'est généré par la moussonmousson du sud-est asiatique (été). L'analyse statistique des mesures de vents locaux permet de mettre en évidence un cycle annuel qui se traduit par un angle de divergence d'environ 149° et un rapport d'intensité de 2 en faveur du vent du nord-ouest. Il s'agit donc d'un site idéal pour l'étude de la formation et de la dynamique des dunes obliques.

    Le site expérimental de l'Académie des Sciences de Chine dans le désert du Tengger (Mongolie Intérieure). On distingue très nettement les 16 hectares qui ont été aplanis en décembre 2007 et sur lesquels se développe l'instabilité dunaire. L'encart montre un bulldozer aplanissant les dunes sous la tour de mesure des vents d'une hauteur de 48 m. © CNRS, Insu <br />

    Le site expérimental de l'Académie des Sciences de Chine dans le désert du Tengger (Mongolie Intérieure). On distingue très nettement les 16 hectares qui ont été aplanis en décembre 2007 et sur lesquels se développe l'instabilité dunaire. L'encart montre un bulldozer aplanissant les dunes sous la tour de mesure des vents d'une hauteur de 48 m. © CNRS, Insu

    Suite à l'aplanissement de 16 hectares en décembre 2007, des relevés topographiques furent régulièrement réalisés entre mars 2008 et octobre 2011. Ces derniers montrent le développement d'une ondulation de surface de longueur d'ondelongueur d'onde constante (environ 23 m) et d'amplitude croissante. Ils permettent également de mesurer directement l'orientation des dunes et son évolution au cours du temps. En parallèle, l'acquisition des mesures de vent permet de prédire cette orientation à partir de l'estimation des flux sédimentaires.

    Des expériences en taille réelle

    La comparaison entre ces deux orientations issues de mesures totalement indépendantes permet de valider les relations qui existent entre l'alignement des dunes et les conditions de l'écoulement qui les ont produites. Intégré sur toute la duréedurée de l'expérience, ce travail permet aussi de comparer l'orientation des dunes à la résultante des flux de sables. L'angle de 50° entre ces deux directions constitue alors la première vérification expérimentale de la formation et du développement de dunes obliques en contexte éolien.

    Mener des expériences à l'échelle réelle est un concept original en géomorphologiegéomorphologie qui semble particulièrement bien adapté à la validation et à la quantificationquantification des processus physiquesphysiques participant à la dynamique des paysages. Étant donné les conditions extrêmes rencontrées dans les déserts arides et les échelles de temps associées à la formation des dunes, ces expériences in-situ doivent combiner logistique et mesures à long terme. Ces défis sont relevés dans le désert du Tengger et les nouveaux résultats montrent que les dunes obliques s'alignent dans une direction qui peut être prédite à partir des caractéristiques de l'écoulement.

    En raison de la saisonnalité des vents, les dunes obliques sont susceptibles d'être largement présentes sur Terre et d'autres planètes, comme Mars ou TitanTitan, la plus grande lunelune de SaturneSaturne. Leur identification pourrait conduire à de nouvelles estimations du transport sédimentaire et apporter de nouvelles contraintes aux modèles de circulation générale communément utilisés pour décrire le climat de ces planètes.