Face aux urgences planétaires, nous pouvons parfois avoir un sentiment d’inertie, d’incompréhension de notre incapacité à faire bouger les choses efficacement. Pourquoi ne parvenons-nous pas à agir rapidement et à grande échelle malgré les symptômes de plus en plus visibles de cet état de stress environnemental et social ?


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    Beaucoup de décisions semblent liées à une lutte de pouvoir politique. En 2015, alors que j'étais en visite au Bourget pour la COP 21, je voyais deux catégories d'acteurs occuper le devant de la scène : d'une part les pays et les pouvoir publics, qui s'attelaient à négocier les accords historiques que sont devenus ceux de Paris, et d'autre part, les ONG et actions citoyennes, qui jouaient de leur force de pressionpression sur les gouvernements. Plus récemment, l'été dernier, je participais à un mouvementmouvement spontané rassemblant des dizaines de d'étudiants, entrepreneurs, ONG, économistes et responsables politiques, pour imaginer comment un mouvement de fond, écologique, pouvait voir le jour. Au-delà de la richesse des discussions et de la diversité de points de vue, j'ai remarqué qu'une question constituait la base des réflexions : comment prendre le pouvoir politique pour engager une réelle transition écologique et solidaire ?

    Ces deux situations m'ont interpellé : la transition serait-elle avant tout une question de pouvoir, venant soit par le haut, soit de la base ? Ne peut-on pas agir, dès à présent, sans attendre une autorisation ou un mandat pour changer le monde ?

    Oui, cela est possible, et preuve en est, certains le font déjà : ce sont les entreprises et les entrepreneurs. Ces acteurs, qui s'impliquent de plus en plus sur les sujets de la transition, agissent sans avoir de pouvoir politique et représentent aujourd'hui l'un des principaux moteurs de la transition.

    Citoyens et entreprises ont chacun un rôle à jouer pour changer le monde. © Svyatoslav Lypynskyy, Adobe Stock
    Citoyens et entreprises ont chacun un rôle à jouer pour changer le monde. © Svyatoslav Lypynskyy, Adobe Stock

    L’entreprise, chaînon indispensable de la transition

    Longtemps, deux approches étaient à l'œuvre : la transition se ferait soit par le haut, soit par la base. Les initiatives privées et les entreprises semblaient laissées de côté. Et pourtant, le cycle du changement se fait par différentes phases, où chacun a un rôle à jouer : citoyens et ONG, gouvernements et pouvoirs publics, mais aussi les entreprises.

    La première phase est celle de la sensibilisation. Dans cette phase, les ONG sensibilisent aux enjeux du changement, et mobilisent les parties prenantes. Les citoyens pèsent de tout leur poids dans le débat public et sur le territoire du marché. Ils constituent ce que l'on appelle « l'opinion ». Par leurs votes, par leurs choix de consommation, et d'une manière plus générale par leur liberté de pensée et d'action, ils jouent un rôle de contre-pouvoir. Et lorsque la société civile s'empare d'un sujet, elle pousse à légiférer, pour changer les règles du jeu.

    Or, pour être satisfaisant, un changement de législation a besoin de s'appuyer sur des alternatives viables... et surtout acceptables. Sans solutions concrètes, peu de chances de faire bouger les lignes. C'est dans cette deuxième phase, essentielle, celle de la création d'alternatives, qu'agissent les entreprises. Par leur capacité de création, les entreprises sont à même d'inventer et de développer les solutions alternatives qui rendront les nouveaux modèles acceptables. En février dernier, paraissait un nouveau projet dans la loi économie circulaire, obligeant les fabricants de machines à laver à intégrer des filtres à microparticules de plastiqueplastique dans tous les appareils à compter de 2025. Le problème des microparticules de plastique libérées à chaque lavage était pourtant connu de longue date, mais, faute de solution concrète, aucune législation ne pouvait être imposée. À l'occasion du sommet ChangeNOW dédié aux innovations à impact positif, la rencontre avec la solution anglaise Planetcare, permettant de filtrer ces microparticules directement en sortie de machine à laver, a permis au ministère de la Transition écologique et solidaire d'identifier une solution concrète, et de légiférer moins de trois semaines plus tard à ce sujet, étant le premier pays européen à mettre en place une telle mesure.

    La troisième phase du changement, la législation, peut alors intervenir. La création d'alternatives acceptables aura donné à l'État la capacité de légiférer de manière optimale et d'apporter des changements nécessaires à la société civile, tout en évitant d'engendrer de fracture sociale.

    Vers un « capitalhumanisme »

    Reconnaître le rôle de l'entreprise dans la transition, c'est aussi croire en la force humaniste qui peut s'exprimer à travers elle.

    Très tôt dans l'histoire économique, l'intérêt marchand et l'intérêt général avaient été séparés. C'est dans l'un des textes fondateurs de la science économique de 1776, « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations » d'Adam Smith que l'on retrouve ce précepte : « Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, [le marchand] travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. Je n'ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. » Ce passage est celui qui a inspiré l'idée selon laquelle la somme des intérêts personnels converge avec l'intérêt de la société.

    C'était cependant sans compter sur les externalités négatives, principe développé près d'un siècle plus tard. Ces externalités, par exemple les émissions de CO2, pour ne citer qu'elles, ont été stockées au fil des années et elles pèsent à présent de tout leur poids sur nos sociétés et notre Planète.

    Si nous avons longtemps cru dans le précepte qu'en poursuivant notre intérêt particulier nous contribuions à l'intérêt général, les dernières décennies ont épuisé ce modèle. Et laissé en héritage une situation d'urgence planétaire, prouvant que la somme des intérêts particuliers ne fait pas le bien commun. Un nouveau modèle d'entreprise émerge désormais, incarné par les entreprises à mission, entreprises de l'impact, ou encore à travers le mouvement B Corp, qui fait le choix d'œuvrer volontairement pour le bien commun en intégrant dans leur mission première celle de répondre à un enjeu d'intérêt général.

    J’ai toujours cru dans la capacité de l’entreprise à faire preuve d’humanisme

    J'ai toujours cru dans la capacité de l'entreprise à faire preuve d'humanisme, à créer de la valeur partagée, résoudre de grands problèmes, donner des perspectives. Ce « capitalhumanisme » où chacun reçoit sa juste part, dans le respect de l'autre et de l'environnement, et qui donne à l'Homme les moyens de déployer ses projets, pour lui et pour le monde.

    Alors face aux urgences de notre siècle, soyons audacieux, n'attendons pas d'avoir le pouvoir ou une quelconque autorisation pour changer le monde et écrire tous ensemble cette nouvelle page de l'histoire économique, écologique et solidaire.