Recenser la biodiversité sur Terre relève du véritable défi. Comment connaître et décompter les milliards d’espèces qui peuplent notre Planète ? Grâce à l’ADN environnemental, la plateforme Vigilife tente de répondre d’une manière originale à cette question. L’un de ses fondateurs, Baptiste Mulot, nous détaille les magnifiques ambitions de ce projet mondial.


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    En 2011, le laboratoire SPYGEN s'est lancé le défi d'effectuer un inventaire de la biodiversité aquatique et terrestre grâce à l'ADNADN environnemental (ADNe). Au fil des ans, il a noué des partenariats avec diverses institutions publiques, entreprises, organisations non gouvernementales ou acteurs de la recherche scientifique pour créer l'alliance Vigilife. Cette dernière monte de nombreux projets à travers le monde pour recenser la biodiversité, veiller à la préservation des espèces, évaluer les politiques de conservation et fédérer les partenariats publics et privés. Une dizaine d'expéditions scientifiques se sont déjà déroulées et trente « fleuves sentinelles » font l'objet d'un suivi par les équipes.

    Baptiste Mulot, directeur de la recherche au zoo de Beauval et l'un des fondateurs de l'alliance Vigilife, nous présente cette initiative unique au monde.

    Baptiste Mulot, directeur de la recherche au zoo de Beauval, qui est l’un des fondateurs de l’alliance Vigilife. © DR
    Baptiste Mulot, directeur de la recherche au zoo de Beauval, qui est l’un des fondateurs de l’alliance Vigilife. © DR

    Qu’est-ce que l’ADN environnemental sur lequel repose Vigilife ?

    L'ADN est une moléculemolécule commune à tous les êtres vivants de la Planète (animaux végétaux, bactériesbactéries...). Cet ADN se retrouve sous forme de traces dans les milieux où ont évolué ces organismes vivants, par l'intermédiaire de la salivesalive, des gamètesgamètes, de l'urine, des excréments, ou lorsqu'un poisson perd ses écailles par exemple. Ces fragments d'ADNe sont décelables dans l'eau pendant quelques jours après le passage de leurs propriétaires, et jusqu'à plusieurs milliers d'années dans le sol.

    Concrètement, comment procèdent les scientifiques ?

    Tout d'abord, on prélève un échantillon d'eau (généralement plusieurs litres) ou quelques grammes de terre. Les séquences sont ensuite amplifiées et comparées à celles de bases de donnéesbases de données génétiquesgénétiques de référence grâce à des outils bio-informatiques, afin d'identifier les espèces présentes dans l'échantillon. On peut même estimer la densité des individus, en modélisant les espèces en fonction de la profondeur d'une rivière par exemple.

    L’ADN environnemental, un outil très puissant pour évaluer la biodiversité. © Vigilife
    L’ADN environnemental, un outil très puissant pour évaluer la biodiversité. © Vigilife

    Quels sont les avantages de cette technique par rapport aux autres méthodes de recensement ?

    L'ADNe est un filtre incroyablement fin de la biodiversité. Dans le Rhône, par exemple, on arrive à recenser autant d'espèces en filtrant 100 litres d'eau qu'en 10 ans de pêche électrique, la technique traditionnellement utilisée pour recenser et quantifier la biodiversité. Dans l'océan Indien, où nous avons monté un programme en collaboration avec l'aquarium de Monaco, avec seulement 250 échantillons, on a recensé 16 % d'espèces en plus qu'en 2.800 plongées et 13 ans d'exploration !

    L'ADNe permet en particulier de découvrir ou de redécouvrir des espèces trop petites pour être observées à l'œilœil nu ou qui se cachent des observateurs. Il s'agit en outre d'une technique non invasive, qui ne nécessite pas de capturer ou de déranger les animaux et les plantes.

    L’île de Malpelo, déclarée Patrimoine naturel de l’humanité par l’Unesco, accueille une biodiversité marine exceptionnelle. © Vigilife
    L’île de Malpelo, déclarée Patrimoine naturel de l’humanité par l’Unesco, accueille une biodiversité marine exceptionnelle. © Vigilife

    Quels animaux avez-vous découvert par exemple ?

    L'île de Malpelo, à 400 kilomètres des côtes colombiennes, et déclarée Patrimoine naturel de l'humanité par l'Unesco, accueille une biodiversité marine exceptionnelle, notamment des requins-marteaux, requins-baleinesrequins-baleines, thonsthons, cachalotscachalots, orquesorques... Mais l'isolement du site et les courants marins dangereux rendent le recensement de cette biodiversité très difficile.

    En 2018, une équipe a utilisé l'ADNe et a comparé les résultats avec plus de 25 heures d'enregistrements de vidéo. Le constat est sans appel : l'ADN a permis d'identifier beaucoup plus d'espèces marines tout en étant plus rapide à mettre en œuvre. Parmi les 80 espèces révélées par l'ADNe, on a notamment relevé la présence du cachalot nain qui n'avait jusqu'ici jamais été observé au abords de Malpelo.

    À quoi servent les « fleuves sentinelles » ?

    Vigilife établit un suivi de 30 fleuves sentinelles afin de vérifier comment la biodiversité évolue au sein de ces rivières. Parmi ces fleuves sentinelles figurent par exemple l'AmazoneAmazone au Brésil, le Yang-Tsé en Chine, le Congo en RDC ou le Mississippi aux États-Unis. Plus près de nous, nous collaborons aussi avec la Compagnie nationale du Rhône (CNR), l'un des membres fondateurs de Vigilife, et nous avons entamé le même travail de suivi dans le Rhin. On peut effectuer un recensement tous les cinq ans par exemple, pour estimer l'évolution de la biodiversité.

    Vigilife effectue un suivi dans 30 fleuves sentinelles à travers le monde. © Vigilife
    Vigilife effectue un suivi dans 30 fleuves sentinelles à travers le monde. © Vigilife

    Comment l'alliance Vigilife peut-elle aider à prévenir le déclin de la biodiversité ?

    L'inventaire de la biodiversité aquatique et terrestre sert d'abord à améliorer les connaissances sur la biodiversité et les conséquences du changement climatique sur les espèces. En améliorant la détection précoce et le suivi des espèces envahissantesespèces envahissantes et exotiquesexotiques, on peut aussi prévenir leur propagation. Vigilife peut également servir à évaluer l'efficacité des politiques de conservation. En Méditerranée par exemple, nous nous sommes aperçus que, dans les aires marines protégées, il y avait plus de gros poissons mais moins de petites espèces, lesquelles sont mangées par les grosses. Il faut donc trouver un équilibre pour préserver efficacement toutes les espèces.

    En quoi Vigilife est-elle unique et comment d’autres partenaires pourraient s’en saisir ?

    Notre projet vise à partager les connaissances acquises avec l'ensemble de la communauté scientifique et des acteurs publics. C'est pourquoi une grande partie de nos données sont en libre accès. Au fur et à mesure que l'on va alimenter les bases de données génétiques, on pourra ressortir nos échantillons et identifier de nouvelles espèces qui étaient jusque-là inconnues ! Nous mettons également à disposition nos technologies afin qu'elles servent de référence au niveau mondial et puissent être utilisées pour des comparaisons internationales et des études scientifiques. L'ADNe est une technique en pleine expansion, et il est certain que cela va nous amener des découvertes passionnantes dans les années à venir !